Au cours des dernières décennies, la multiplication des scandales liés aux produits de santé a incité les professionnels du droit à adopter une interprétation dynamique de la responsabilité du fait des produits défectueux engagée sur le fondement de la loi du 19 mai 1998.
La responsabilité du fait des produits de santé défectueux, qui instaure une responsabilité de plein droit des laboratoires, peut être perçue à cet égard comme un régime favorable aux victimes. Cependant, la difficulté de rapporter les preuves afin de mettre en oeuvre ladite responsabilité pèse sur les victimes (I) et entraîne des conséquences (II).

I. Les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité du fait des produits de santé

Deux difficultés juridiques se posent pour engager la responsabilité des laboratoires. La victime doit prouver la défectuosité du produit de santé (A) et l’existence d’un lien de causalité (B).

A. Le caractère défectueux du produit de santé

Le défaut du produit est la preuve du fait générateur de la responsabilité de plein droit du producteur ou du fabricant du produit de santé. En ce sens, l’article 1245-9 du Code civil dispose que « le producteur peut être responsable du défaut alors même que le produit a été fabriqué dans le respect des règles de l'art ou de normes existantes ou qu'il a fait l'objet d'une autorisation administrative ». Il implique dans la grande majorité des cas les industriels mais est difficile à prouver jusqu’à l’éclatement d’un scandale venant mettre un terme à cette omerta. Le caractère défectueux du produit s’apprécie de manière casuistique et se détermine en fonction de la sécurité à laquelle la victime peut légitimement s’attendre. Tel est par exemple le cas de la Dépakine dans l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation en date du 27 novembre 2019 par lequel la Haute juridiction a jugé que le respect de normes minimales de sécurité par le producteur était insuffisant au regard des attentes légitimes puisque ce dernier ne doit pas s’en contenter. En l’espèce, la notice de la Dépakine, destinée aux patients, n’indiquait pas les risques de malformation du nouveau né en cas de prise pendant la grossesse. Dès lors, la défectuosité du produit peut s’apprécier par rapport au défaut d’information sur les risques graves au sein de la notice, alors que le producteur en avait connaissance au moment de l’autorisation de mise sur le marché — inscrit dans l’édition du Vidal de 2001. Partant, le défaut de sécurité du médicament est caractérisé.
Ainsi, en vertu des dispositions de l’article 1245 du Code civil, les dommages causés par un défaut du produit —vaccins, médicaments, prothèses— engagent la responsabilité de plein droit du producteur, soit des laboratoires, et ce même s’ils ne sont pas liés par un contrat avec la victime. Mais, des garanties financières peuvent être octroyées quant au défaut du produit si les laboratoires ont fait preuve de transparence et que les avancées scientifiques ne suffisent pas à assurer l’absence d’effets secondaires. C’est le cas du vaccin contre le COVID-19, du fait de sa production prompte —un an au lieu d’une dizaine d’années— causée par le caractère inédit de la pandémie et de la nécessité de protéger les populations. Dans ce cas particulier, les laboratoires, sous l’égide du droit de l’Union européenne, à travers la clause stipulée dans les contrats d’achat anticipé avec les États membres de l’UE, sont exemptés de l’indemnisation qui se trouve à la charge de l’État.
Toutefois, pour engager la responsabilité des laboratoires du fait d’un produit de santé défectueux, la preuve du défaut n’est que la prémisse de cette action en responsabilité. La victime doit également démontrer l’existence d’un lien de causalité entre le dommage et l’administration du produit, ainsi qu’entre le défaut et le dommage.

B. L’existence d’un lien de causalité

Le lien de causalité est particulièrement difficile à établir, notamment du fait que les incidences quant au défaut d’un médicament peuvent être multiples. Néanmoins, il est de jurisprudence constante, depuis un arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 22 mai 2008, affirmée par la Cour de justice de l’Union européenne dans un arrêt de 2017, que s’il n’existe pas de consensus au sein de la communauté scientifique quant au défaut d’un produit de santé et de lien de causalité entre ledit produit et le dommage ainsi que son exposition, la preuve peut être apportée par un faisceau d’indices graves, précis et concordants. De ce fait, l’incertitude scientifique n’est pas un obstacle pour rapporter la preuve de la double condition.
En ce qui concerne la preuve d’une exposition au produit de santé, elle peut être rapportée de plusieurs manières selon que l’étiologie soit unique ou multifactorielle. En cas d’étiologie unique, comme l’adénocarcinome à cellules claires, spécifique à l’exposition au distilbène, on relève un renversement de la charge de la preuve, du fait de la présomption simple d’exposition de la victime au distilbène, qui incombe désormais aux laboratoires. A contrario, dans le cas où il n’est pas certain que le produit de santé soit la seule cause possible du dommage, la preuve de l’exposition au produit, à l’instar de son imputabilité au dommage, pour établir le lien de causalité demeure à la charge de la victime. Mais la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt daté du 19 juin 2019, qui s’inscrit dans le prolongement du courant jurisprudentiel, affirme la possibilité de recourir aux présomptions du fait de l’homme, soit à l’appréciation des juges du fond. Cependant, cette appréciation souveraine est tempérée puisque les juges de la Haute juridiction peuvent faire un contrôle de motivation, bien qu’en règle générale ils refusent d’apprécier le faisceau d’indices contrairement au juge administratif.
Eu égard à l’imputabilité du dommage au produit de santé, cette dernière peut être apportée par tout moyen, par des présomptions graves, précises et concordantes comme susmentionné, mais elle reste « une notion ambiguë, aux contours fluctuants », source de difficultés juridiques dès l’affaire relative au vaccin contre l’hépatite B. En effet, l’imputabilité peut être entendue de deux manières. Elle peut renvoyer au concept doctrinal de causalité scientifique exigeant une preuve directe, ou à la notion d’imputation du dommage à une des causes de l’exposition.

Dès lors, la mise en oeuvre de la responsabilité des produits de santé entraîne des conséquences.

II. Les conséquences de la responsabilité du fait des produits de santé

Le régime de responsabilité de plein droit du producteur présente des difficultés pour les victimes —outre le délai de forclusion décennale— telles que l’exonération de la responsabilité des laboratoires pour risque de développement (A). Nonobstant, les victimes d’un dommage causé par un produit de santé ont droit d’être indemnisé, que la responsabilité du producteur soit engagée ou non (B).

A. La cause d’exonération pour risque de développement

La doctrine définit le risque de développement comme « le défaut d'un produit que le producteur n'a pu découvrir, ni éviter, pour la raison que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit, ne le lui permettait pas ». Pour le constater, il faut alors étudier la temporalité du risque quant au produit au moment de sa mise en circulation et le développement de la connaissance permettant de découvrir son défaut. Depuis un arrêt du 29 mai 1997, la CJCE a précisé que cette cause exonératoire doit être entendue de manière stricte. En effet, puisque la responsabilité du laboratoire est de plein droit, celui-ci ne peut s’en exonérer à moins de prouver, au regard des dispositions de l’article 1245-10 4° du Code civil transposant celles de l’article 7e) de la directive européenne de 1985, qu’au moment de la mise en circulation du produit de santé, soit la date de commercialisation du lot dont le produit défectueux fait parti (art. 1245-15 C.civ.), l’état des connaissances scientifiques mais aussi techniques n’a pas permis de déceler l’existence du défaut précédemment mentionné.
Lesdites connaissances ne s’apprécient pas uniquement en fonction de celles en usage dans le secteur industriel du producteur ; il est impératif de prendre en considération « le niveau le plus avancé tel qu'il existait au moment de la mise en circulation du produit en cause », c'est-à-dire qu’il ne faut pas prendre en compte l’état des connaissances connu ou qui pouvait l’être de la part du producteur, mais l’état objectif selon lequel le producteur est présumé en connaître. Cela signifie que les connaissances scientifiques et techniques, au moment de la mise en circulation du produit, doivent être accessibles à l’échelle mondiale. À cet effet, les laboratoires ont un devoir de précaution. Les juges peuvent alors refuser l’exonération du producteur pour risque de développement en cas de risques avérés par des études internationales confirmant la dangerosité de produits similaires, ayant le même principe actif provoquant des retentissements néfastes et le retrait par certains pays limitrophes comme tel était le cas pour le Mediator ; ou en cas de négligence (défaut de vigilance) de la part du laboratoire qui a continué la commercialisation sans prendre en considération les réserves de la communauté scientifique quant à l’innocuité du produit ou encore les « effets tératogènes sur les animaux » résultant d’une étude, pour le Distilbène.
En sus de la charge de la preuve, la possible exonération des producteurs pour risque de développement engendre des effets importants sur l’indemnisation des victimes.

B. L’indemnisation des victimes

Les laboratoires sont tenus d’indemniser les victimes lorsque leur responsabilité est engagée. Dans le cas contraire, l’ONIAM peut indemniser les victimes de dommages causés par le produit de santé défectueux, après avoir été saisie d’une demande d’indemnisation. Cette demande se fait soit par procédure amiable, soit par procédure devant un collège d’experts.
Au titre de la procédure amiable, concernant les vaccins, seules les victimes d’une vaccination obligatoire peuvent obtenir réparation sans ester en justice. Des dérogations quant aux dommages liés à la vaccination sont admises en cas d’épidémie pour la grippe H1N1 ou de pandémie pour le COVID-19, mais la victime devra néanmoins prouver le lien de causalité. Aussi, dans le dessein d’indemniser les victimes ayant subi des dommages dus au Benfluorex (principe actif du Mediator), un dispositif amiable, régi par le Code de la santé publique, a été mis en place en 2011 sous le contrôle de l’ONIAM.
L’appel à un collège d’experts, composé de médecins et de juristes permettant une expertise globale, n’interférant pas avec la jurisprudence établie —et non médico-centrée— dans le traitement de dommages sériels est apprécié des avocats qui souhaitent que ce dernier procède au « chiffrage indemnitaire des préjudices ». Toutefois, concentrer ce pouvoir sous la direction d’un organe unique pourrait engendrer une permissivité dangereuse dans l’instauration d’un barème.
L’importante quantité de victimes d’un produit de santé défectueux entre dans la catégorie des accidents collectifs, encore trop floue en droit interne. Ainsi le travail des associations est déterminant pour permettre de mobiliser les victimes afin d’obtenir des solutions collectives à un préjudice individuel et de renforcer l’accès à la justice par une procédure unique pour les victimes d’un même dommage ou d’un dommage similaire. Dans le cas du Mediator, de nombreuses procédures —en référé, en matière pénale, administrative, devant la CIVI— ont été intentées avant que soit mis en place le dispositif amiable susmentionné, qui se superpose aux voies existantes. Ce système d’indemnisation des victimes est financé de manière modique par la solidarité nationale, soit l’ONIAM, et aucunement par le producteur responsable. Partant, des avocats en charge de ces dossiers estiment que le laboratoire responsable du dommage bénéficie à « double titre du système : il ne finance pas le processus indemnitaire et bénéficie d’un barème très inférieur aux références jurisprudentielles. » Il est suggéré qu’afin de lutter contre l’incohérence de la prise en charge des indemnisations des victimes, la création d’un fonds unique de réparation financé par des dommages et intérêts punitifs versés par les producteurs pourrait être une solution.