Trois mois après le dépôt de la proposition de loi « visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France » par Patrick CHAIZE — sénateur de l’Ain et président du Groupe numérique — à la demande de la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, le Sénat a adopté le 12 janvier 2021 ledit texte en première lecture avec des modifications. Ladite proposition a été transmise à l’Assemblée nationale — également saisie du projet de loi, quelque peu similaire eu égard à certaines propositions des sénateurs, « Climat et Résilience » appliquant les propositions tendant à réduire les impacts environnementaux du numérique de la Convention citoyenne pour le climat — afin que cette dernière puisse de même adopter ce texte.
Dans le dessein de faire évoluer les marchés à travers la généralisation de pratiques vertueuses, de nombreux secteurs tels que l’économie et le droit doivent être saisis de cette problématique. Force est de constater l’importance de ce texte puisque plus de 130 sénateurs de divers horizons politiques l’ont signé. Cette loi est inédite puisqu’elle aborde le numérique dans son ensemble, c'est-à-dire des terminaux au centres de données. La prise en considération du pan matériel du numérique, soit les infrastructures, les équipements, les câbles, et autres composants est capitale pour agir de manière efficace contre les impacts environnementaux. En effet, le processus de fabrication desdits équipements — extraction des ressources, raffinage, utilisation d’eau, d’énergie primaire et de métaux peu recyclés et émissions de gaz à effet de serre importantes — représente 80% des impacts environnementaux relatif au numérique ; les 20% restant sont le fruit de l’utilisation faite de ces équipements par le consommateur. Toutefois, la transparence de ces données est encore trop opaque à l’échelle nationale et les politiques publiques environnementales et climatiques visant à atteindre les objectifs climatiques consolidés dans l’Accord de Paris ne semblent pas prendre en compte le poids du numérique dans leurs stratégies. Dès lors, il paraît urgent d’enchevêtrer transition numérique et transition écologique afin que le secteur du numérique ne se transforme pas en source de pollution incontrôlable mais plutôt en allié porteur d’innovations, en particulier dans les secteurs les plus polluants, respectueux des engagements climatiques inscrits dans l’accord susmentionné.

Cette proposition de loi structurée en cinq chapitres a pour objectif, en sus de réduire l’empreinte environnementale, de sensibiliser la population dès le plus jeune âge, les entreprises — qui devront inscrire dans leur bilan RSE les actions mises en oeuvre pour réduire leur impact environnemental (article 4 venant modifier l’article L.225-102-1 du Code de commerce) — et les opérateurs de réseaux « à l’impact environnemental des usages du numérique et à la sobriété numérique » (article 1), notamment à travers le droit à l’instruction dans les formations d’ingénieurs en informatique (article 2) ou par la mise à disposition générale de données fiables et objectives par la création d’un observatoire de recherche des impacts environnementaux du numérique auprès de l’ADEME. Ledit observatoire aurait pour mission d’analyser et de quantifier « les impacts directs et indirects du numérique sur l’environnement, ainsi que les gains potentiels apportés par le numérique à la transition écologique et solidaire » (article 3). Quatre axes émergent de cette proposition de loi.
Tout d’abord, la lutte contre l’obsolescence marketing des smartphones via un renforcement du devoir d’information envers le consommateur concernant les « offres subventionnées », c'est-à-dire les offres qui conditionnent l’achat d’un téléphone mobile à la souscription d’un abonnement pouvant aller jusqu’à 24 mois et permettant par la suite le renouvellement du terminal, introduit à l’article 14bis (chapitre II) de la proposition de loi. Pour remédier au caractère infructueux de la condamnation du délit d’obsolescence programmée depuis sa mise en place en 2015, la proposition de loi dans ses articles 7 à 10 consacre l’obsolescence logicielle en l’introduisant dans la définition de l’obsolescence programmée donnée par le Code de la consommation. En ce sens, ces articles venant modifier le Code de la consommation imposent aux vendeurs d’informer intelligiblement le consommateur et de dissocier les mises à jour correctives de celles évolutives afin que ce dernier puisse choisir de ne faire que celles nécessaires à la conformité du bien (article 8) ; d’augmenter de deux à cinq ans la durée minimale de réception des mises à jour permettant la conformité dudit bien par le consommateur (article 9) ; et la possibilité pour l’utilisateur de rétablir les mises à jour antérieures du logiciel (article 10). L’encadrement des mises à jour permet en pratique une « meilleure » effectivité du délit d’obsolescence programmée à travers l’extension de son champ d’application à l’obsolescence logicielle et l’assouplissement des conditions de preuve. La modification du Code la consommation par la proposition de loi a pour objectif de favoriser la réparation des biens plutôt que de les remplacer. Dans cette perspective, l’article 14 de la proposition de loi sénatoriale argue d’une réduction du taux de TVA relatif à la réparation des terminaux et à l’acquisition d’objets électroniques reconditionnés de façon à limiter l’achat de produits neufs malgré sa non conformité à la directive du Conseil de l’Union européenne relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée du 28 novembre 2006. De même, Patrick CHAIZE a proposé un article 14bis B — ajout d’un II ter à l’article L. 311-8 du Code de la propriété intellectuelle — exonérant les produits reconditionnés de la rémunération pour copie privée. En ce qui concerne les PME, l’article 5 instaure un crédit d’impôt à la numérisation durable de manière à les inciter à faire des études d’impact environnemental transparentes tendant à la mise en oeuvre d’une stratégie de transformation durable des services numériques et partant, à se procurer des produits numériques reconditionnés.
Ensuite, le chapitre III de la proposition de loi portant sur l’émergence et le développement des usages du numérique écologiquement vertueux à son article 16 établit la création d’un référentiel général de l’écoconception des sites web fixant des règles, en particulier sur l’ergonomie des services numériques, sur l’affichage et sur la lecture des contenus multimédias, ainsi que des critères conduisant au freinage des recours aux stratégies de captation de l’attention des utilisateurs. Afin de rendre tangible le contenu dudit référentiel, les principaux fournisseurs de contenu devront le respecter et concevoir des sites autant performants mais avec une quantité de données et d’énergie utilisée plus faible, puisque ces derniers occupent une grande partie de la bande passante.
En outre, la proposition de loi traite en son chapitre IV, article 23, de la réduction des impacts environnementaux associés à la fabrication et à l’utilisation des boîtiers de connexion internet et des décodeurs à travers la systématisation de l’extinction automatique par les opérateurs, des anciennes générations ayant une consommation excessive d’électricité. Ledit article dispose que les opérateurs doivent le 1er janvier 2023 au plus tard souscrire à des engagements environnementaux pluriannuels contraignants qui seront contrôlés par l’autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP), titulaire d’un pouvoir de sanction. En vertu des dispositions de l’article 23bis, l’ARCEP peut collecter les données nécessaires à la régulation environnementale, dans l’optique de conjuguer développement des usages et réduction de l’empreinte environnementale du numérique. Tel est le cas concernant le déploiement de la 5G qui a fait l’objet d’une demande d’évaluation environnementale auprès du Haut Conseil pour le climat par le président du Sénat. L’avis rendu par le Haut Conseil préconise une évaluation ex ante systématique de toute nouvelle technologie. La 5G pourrait, d’ici 2030, entraîner une augmentation de 45% des émissions de gaz à effet de serre du numérique, dont la moitié de l’impact carbone serait causée du fait du renouvellement ou de l’acquisition de terminaux. Patrick CHAIZE souhaite aller plus loin en luttant contre les pratiques spéculatives de gels de terrains et de construction d’infrastructures mobiles sans fourniture de services de certaines Tower companies. En effet, lesdites pratiques conduiraient à l’édification de pylônes de télécommunications inactifs, soit à l’artificialisation des sols, et donc à des retentissements négatifs sur l’environnement. La Commission de l’aménagement du territoire a introduit un article 21bis qui tend à permettre aux petits centres de données de bénéficier des montants TICFE dans le dessein que ces derniers s’engagent dans une démarche plus verte.
Enfin, sur proposition de la Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable un chapitre V portant sur la promotion d’ une stratégie numérique responsable dans les territoires, notamment dans les communes de plus de 50 000 habitants, a été ajouté à cette proposition de loi. Cette stratégie doit être présentée chaque année en amont du débat budgétaire (article 26 portant modification des articles L. 2311-1-1, L. 3311-2, L. 4310-1 et L. 4425-2 du Code général des collectivités territoriales) et doit intégrer le potentiel de récupération de chaleur des centres de données (article 25 portant modification de l’article L. 229-26 du Code de l’environnement).