
La biodiversité est-elle une réelle priorité pour l’agriculture ?
Par Nelly SUNDERLAND
Elève avocat
Ministère de l'Environnement, du Développement Durable, du Logement et des Transports
Posté le: 04/08/2011 13:17
Alors que le projet de Stratégie pour la biodiversité prévu pour 2020 a été approuvé le 21 juin dernier à Luxembourg par les Ministres de l’environnement, Bruno Lemaire Ministre français de l’agriculture, a procédé à une réduction des contraintes environnementales pour 2012. En effet, ce dernier a annoncé « une révision à la baisse des contraintes environnementales à respecter pour toucher les aides de la politique agricole commune (PAC) : la part de l’exploitation dédiée à la biodiversité, qui devait passer à 5% en 2012, restera à 3% comme en 2011 ». Force est de constater une absence de cohésion entre la décision de ce dernier et la stratégie européenne, d’une part, et les démarches environnementales françaises d’autre part. Cette mesure est d’autant plus surprenante que la protection de la biodiversité est une des priorités majeure de l’Europe et de la France. En effet, l’année 2010 avait été placée sous l’égide de l’année de la biodiversité. Sa préservation est d’ailleurs aujourd’hui au cœur des préoccupations avec la mise en place en France d’une démarche de certification environnementale des exploitations agricoles, qui avait été lancée le 21 juin dernier par le Ministère de l’agriculture lui-même.
Pour atteindre l’objectif de Haute valeur environnementale (HVE), les exploitations agricoles sont, en principe, soumises à une obligation d’identification et de protection des zones les plus importantes pour le maintien de la biodiversité. Cette démarche était, à l’origine, prévue par la loi Grenelle 1.
1. La certification environnementale : une mesure non juridiquement contraignante ?
La certification environnementale, délivrée pour trois ans par un organisme certificateur agréé, concerne l’ensemble de la profession agricole. Il s’agit d’une certification volontaire prévoyant que « 50% des exploitations agricoles puissent être largement engagées en 2012 ».
La démarche de reconnaissance de Haute valeur environnementale se décline à plusieurs niveaux : un premier niveau d’exigence environnementale à atteindre par l’exploitation agricole, est intégré dans le dispositif de conditionnalité des aides de la politique agricole commune. Par exemple, les mesures concernant l’environnement, la santé-productions végétales ainsi que les bonnes conditions agricoles et environnementales.
Ce premier niveau d’exigence relève de l’entière responsabilité de l’exploitant agricole, tenu d’établir son propre diagnostic environnemental qu’il soumettra pour contrôle à l’organisme certificateur. Ce premier niveau atteint, l’exploitant agricole s’engagera vers les niveaux 2 et 3 de la démarche environnementale.
Le deuxième niveau permet d’atteindre la certification environnementale de l’exploitation. Celle-ci se décline en 4 thèmes comprenant 16 exigences : « identifier et protéger les zones les plus importantes pour le maintien de la biodiversité, adapter l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, stocker les fertilisants, optimiser les apports en eau aux cultures en fonction de l’état hydrique du sol et des besoins de la plante ».
Dans certaines hypothèses, des dérogations sont prévues en vue d’atteindre directement le niveau 2 de la démarche environnementale. Par exemple, l’agriculture raisonnée qui, en considération de ses exigences compatibles avec la certification environnementale, respecte les principes du dispositif de certification. De plus, si le référentiel ne couvre pas l’intégralité des exigences environnementales du second niveau mais que le contrôle effectué conclut aux mêmes garanties que celles exigées par la certification environnementale, une reconnaissance partielle pourra être délivrée.
Enfin, le troisième et dernier niveau correspond à celui de la reconnaissance de la Haute valeur environnementale. Pour ce faire, l’exploitation agricole doit être en phase avec les exigences environnementales incluses dans les domaines de la biodiversité, de la stratégie phytosanitaire, de la gestion de fertilisation ainsi que de la ressource en eau. L’arrêté du 20 juin dernier permet de choisir entre deux démarches :
- Soit, l’exploitant agricole se concentre sur quatre marqueurs thématiques déclinés en objectifs correspondant chacun à une échelle de notation. Dans cette hypothèse, la note globale correspond à la somme des objectifs atteints et doit être égale ou supérieure à 10 ;
- Soit la mise en œuvre de cette reconnaissance porte sur deux indicateurs globaux. Pour faire reconnaître à son exploitation le statut de Haute valeur environnementale, l’exploitant agricole est tenu de garantir qu’au moins 10% de sa surface agricole utile (SAU) est constituée en infrastructures agro-écologiques, ou qu’au moins 50% de la SAU correspond à des prairies permanentes de plus de 5 ans.
La Commission chargée de la reconnaissance de cette certification environnementale, demandée par l’exploitation agricole, est composée de représentants de l’Etat, de représentants syndicaux d’exploitants agricoles, de représentants d’associations agréées pour la protection de l’environnement, de représentants de l’industrie agro-alimentaire et d’organisations de consommateurs. Elle aura notamment le pouvoir d’émettre des « propositions sur l’évolution du dispositif, notamment concernant les référentiels et seuils de performance environnementale ».
Plus qu’une obligation de moyens d’atteindre les objectifs environnementaux définis par cette certification environnementale, celle-ci met, à la charge de l’exploitant agricole voulant se voir reconnaître la Haute valeur environnementale, une véritable obligation de résultat. Cette démarche semble d’ailleurs aller dans le droit chemin de la Stratégie européenne pour la biodiversité récemment adoptée par le Conseil européen.
2. La Stratégie pour la biodiversité : quels objectifs ?
Les Ministres de l’environnement des Etats membres de l’Union Européenne ont trouvé un consensus sur la Stratégie pour la biodiversité proposée par la Commission européenne au mois de mai 2011. C’est un véritable compromis décliné en plusieurs objectifs visant à lutter – d’ici 2020 - contre les menaces d’extinction pesant sur certaines espèces.
Ces objectifs sont déclinés en ces termes : « amélioration de l’état de conservation des espèces et des habitats protégés » en renforçant l’application du réseau européen Natura 2000 et la « mise en œuvre des directives Oiseaux et Habitat », le « maintien et la restauration des écosystèmes et de leurs services » notamment dans le domaine agricole en allouant des fonds de la Politique commune agricole (PAC), une gestion « durable des forêts et des pêcheries européennes » (d’ici 2015) mais aussi des « mesures visant à lutter contre la menace des espèces exotiques envahissantes » et « l’intensification de la contribution de l’UE contre la perte de la biodiversité au niveau mondial », en réaction de la conférence de Nagoya tenue au mois de novembre 2010. Celle-ci, reconnue comme prioritaire pour la préservation de la biodiversité par les Ministres de l’environnement, représente un atout important pour les ressources génétiques. Il est rappelé que c’est dans ce contexte que la commission développement durable de l’Assemblée nationale française, à la demande du Groupe de travail du Grenelle sur la biodiversité, avait déposé une série de propositions réclamant plus de cohérence et d’harmonisation en matière de biodiversité.
Selon le Conseil de l’Europe, « la stratégie répond aux principaux obstacles qui ont empêché la réalisation des objectifs précédents de l’UE relatives à la biodiversité : l’intégration et le financement insuffisants de la biodiversité dans les politiques communautaires, et les lacunes politiques ainsi que des connaissances et des données ». Les Ministres de l’environnement ont appuyé sur la « nécessité d’intégrer la biodiversité dans les préoccupations sectorielles pertinentes politiques, telles que la PAC et la politique commune de la pêche ».
Une simple ombre au tableau persiste, celle du « financement nécessaire pour répondre à l’enjeu de la perte de la biodiversité ». Ce n’est pas moins de 20 actions prioritaires qui sont prévues dans cette stratégie. On attend les réactions de la future présidence polonaise, débutée le 1er juillet 2011, pour entrevoir des préconisations quant aux modalités de financement de la Stratégie pour la biodiversité. Toutefois, selon Sandrine Bélier, eurodéputée Europe Ecologie Les verts, « La position de la Pologne sur le développement et l’exploitation des gaz de schiste et leur inscription dans la stratégie énergétique (au détriment des milieux naturels aquatiques et terrestres) ne laisse rien présager de bon ! ».
A titre de conclusion, on ne peut que s’interroger sur le récent recul du Ministre de l’agriculture, Bruno Lemaire, en complète incohérence avec les priorités européennes et françaises en matière de biodiversité. Ce recul des contraintes environnementales est d’autant plus inquiétant que la Fédération Nature Environnement (FNE) n’a pas été consultée au préalable. En effet, la « FNE s’étonne d’apprendre par voie de presse que cet accord est remis en cause sans concertation, ni même information préalable ». Elle ajoute que cette décision favorise essentiellement les céréaliers, « dont les exploitations sont pauvres en biodiversité », alors que dans d’autres domaines tels que les zones d’élevage, ces objectifs sont en phase d’être atteints en totalité. Aussi selon la FNE, « En plus d’être un recul pour l’environnement, cette mesure est particulièrement injuste quand on voit les difficultés économiques auxquelles sont confrontées les exploitations d’élevage tandis que les céréaliers sont les principaux bénéficiaires de la PAC ». Et, Jean-Claude Bévillard, responsable des questions agricoles à la FNE d’ajouter qu’ « En pleine négociation à Bruxelles sur l’avenir de la PAC après 2013, ce très mauvais signal va à l’encontre de tous ceux qui se battent pour redonner une légitimité à ces subventions européennes ».