Le 3 février dernier, le tribunal administratif rendait une décision que certains qualifient de jugement historique en condamnant l’Etat français pour inaction climatique.
A l’origine, une pétition en ligne lancée par 4 ONG (Greenpeace, Oxfam, la Fondation pour la nature et l’Homme et l’association Notre affaire à tous) le 18 décembre 2018 en plein mouvement des Gilets Jaunes. Le but de la pétition était de recueillir le soutien des citoyens pour l’action en justice contre l’Etat français. Avec plus de 2 millions de signatures, cette pétition est la plus signée de l’histoire en France. Fortes de ces signatures et du soutien public reçu, ces 4 ONG ont finalement déposé une requête et un mémoire complémentaire les 14 mars et 20 mai 2019, demandant au tribunal d’accéder à plusieurs requêtes ayant pour finalité de voir reconnaître la responsabilité de l’Etat pour son inaction climatique mais également de le voir condamner à agir. Pour se faire les associations ont demandé réparation pour leur préjudice écologique en se fondant sur les carences et manquements de l’Etat quant aux différents objectifs en matière environnementale qu’il s’était fixé mais également pour leur préjudice moral dû aux carences de l’Etat qui ont fortement impacté l’intérêt collectif qu’elles défendent.
Présenté comme une victoire sans précédent, ce jugement est pourtant en demi-teinte.
Le tribunal administratif a d’abord reconnu que l’Etat français s’était engagé, en signant des conventions internationales et en faisant la publicité d’objectifs à atteindre à des échéances précises en termes d’émissions de gaz à effet de serre, à lutter contre le réchauffement climatique et avait reconnu « sa capacité à agir effectivement sur ce phénomène ».
Deux conditions par la négative ont ensuite été posées par celui-ci afin de déterminer si l’Etat était directement responsable de l’aggravation du préjudice écologique dont se prévalait les ONG. En effet, celles-ci estimaient que le fait pour l’Etat de ne pas atteindre les objectifs qu’il s’était fixé, en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre et en termes d’amélioration énergétique, constituait une aggravation de leur préjudice écologique. La Cour a refusé cette application en relevant que l’écart entre l’objectif et la réalisation n’était pas assez significatif à partir du moment où l’amélioration de l’efficacité énergétique n’était « qu’une des politiques sectorielles mobilisables en ce domaine ». Cette même logique a également été appliquée pour refuser la demande en réparation pour non respect de l’augmentation de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie.
Le tribunal a cependant reconnu l’aggravation du préjudice écologique par l’Etat en ce que celui-ci n’a pas respecté les objectifs qui avait été fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2050. En effet, à partir du moment où l’Etat ne suit pas de manière fidèle la trajectoire qu’il s’est fixé et engendre de ce fait des émissions de gaz supplémentaires, gaz qui auront un impact durant toute leur durée de vie, celui-ci se rend responsable de la pollution engendrée par ces gaz.
En matière d’insuffisance des objectifs pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, le tribunal administratif relève que les requérants n’ont pas réussi à établir que l’insuffisance des objectifs, si celle-ci était prouvée, que la France a déterminé pour elle-même était directement à l’origine du préjudice écologique qu’ils invoquaient. La Cour juge aussi que l’insuffisance des mesures d’évaluation et de suivi et des mesures d’adaptation n’est pas établie et que, même si elle l’était, on ne peut la considérer comme étant une cause directe du préjudice écologique dont les requérants se prévalent.
Ainsi, la seule cause reconnue par la Cour pour accéder à la demande en réparation du préjudice écologique est le non-respect des engagements pris par l’Etat dans le cadre du premier budget carbone. En matière de responsabilité, la Cour reconnait l’Etat comme était responsable « d’une partie du préjudice écologique ».
Pas de réparation immédiate du préjudice écologique.

En effet, la Cour commence d’abord par rejeter la première demande en réparation pour un montant symbolique d’un euro au motif que, pour un préjudice écologique, on doit privilégier la réparation en nature et qu’il n’a pas été prouvé que l’incompétence de l’Etat pour le faire et que, en cas de versement de dommages intérêts, le montant était destiné à la réparation en nature et que le montant ici demandé ne pouvait répondre à cette obligation, entrainant nécessairement un rejet de cette demande en réparation en argent.
Dans un second temps, les requérants avaient également demandé au tribunal la réparation en nature avec les injonctions qui l’accompagnent. La Cour accepte ces demandes d’injonction mais seulement en ce qu’elles serviront à réparer le préjudice ou à prévenir une aggravation de celui-ci causé par son manquement à respecter les engagements pris lors du premier budget carbone. La Cour ne pouvant pour le moment évaluer avec précision quelles mesures elle doit ordonner à l’Etat de mettre en place pour réparer ce préjudice précis, elle ordonne donc un supplément d’instruction et rendra donc sa décision dans 2 mois. Enfin, en ce qui concerne le préjudice moral, les associations obtiennent réparation de celui-ci pour un euro symbolique chacune.
Ce qui a donc été présenté comme une victoire indéniable pour l’environnement n’est en somme qu’une victoire en demi-teinte, loin du triomphe dont la presse s’est faite les échos. On peut ainsi reconnaitre une certaine avancée dans la reconnaissance d’un préjudice moral dû à l’inaction de l’Etat même si le principe avait déjà été reconnu par la 3è Chambre civile de la Cour de cassation (8 juin 2011, n°10-15.500) qui avait reconnu le préjudice moral d’une association lorsqu’une ICPE n’avait pas respecté les prescriptions qui s’imposait à elle. Cela fait donc des années qu’un préjudice moral causé par un danger à l’environnement à une association de protection de celui-ci est reconnu.
En matière de préjudice écologique, le tribunal a rejeté toutes les demandes des associations exceptées une, celle portant sur le non-respect par l’Etat de la trajectoire fixé par le premier budget carbone. Cependant, cette décision ne fait que confirmer celle du Conseil d’Etat le 19 novembre 2020 qui avait déjà jugé illégale la situation de l’Etat quant à ce budget. La véritable victoire a été retardée car l’objectif premier, la véritable importance de ce jugement, réside dans les injonctions que le tribunal administratif pourrait adresser à l’Etat en matière de politique environnementale lors de sa prochaine décision annoncée dans le jugement.