
La loi sur la responsabilité environnementale va t-elle créer un nouveau régime de responsabilité ?
Par Sylvie CAYET-SEZIKEYE
Promotion 2008/2009 Avocat stagiaire
Universite VSQ- CRFPA Versailles
Posté le: 30/05/2008 21:21
En vue de la transposition de la directive sur la responsabilité environnementale, le Ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, Monsieur BORLOO, a confié à Madame LEPAGE la réflexion sur ces enjeux environnementaux, pour la préparation du projet de loi cadre qui sera soumis au Parlement dans les prochains jours.
Le rapport de la Mission Lepage, rendu au début 2008, s’inspire des conclusions du Genelle de l’environnement, lancé par le gouvernement le 21 mai 2007.
La préoccupation du groupe de travail, tenant compte de la situation compétitive de notre pays, a été de concevoir, grâce à des mécanismes appropriés, la prévention des conséquences humaines, sanitaires, écologiques et aussi économiques de nos choix technologiques contemporains.
Prévenir les risques, c’est en déterminer le champ et le contenu, puis veiller à ce que l’intérêt économique des parties prenantes se fasse dans le sens de la sécurité et de la prévention, lesquelles impliquent la responsabilité et la transparence.
Dans cette optique « information », « expertise » et « responsabilité » doivent former un tout, qu’il y a lieu de lier.
Ce sont les trois axes de réflexion de la Mission Lepage.
Par ailleurs, il convient de délimiter le champ d’application du rapport en précisant que « environnement » s’entend au sens communautaire, c’est à dire incluant l’impact sanitaire de l’environnement, donc le concept d’environnement-santé.
I . LE DROIT A L’INFORMATION ENVIRONNEMENTALE :
En matière environnementale et sanitaire, ce droit est reconnu au niveau constitutionnel par la Charte de l’environnement de 2004, au niveau communautaire par la Directive du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement, et au niveau international par la Convention d’Aarhus, enfin par la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme.
Sept points pour améliorer l’information environnementale :
1- l’accès aux données
2- le secret industriel et le secret défense
3- l’effectivité de l’accès à l’information
4- la protection des lanceurs d’alerte
5- l’information des consommateurs
6- la création d’un délit de rétention d’information
7- la déontologie de l’information
1) Pour permettre l’accès aux données, il faudrait un organisme coordinateur efficace et revoir le régime de communicabilité.
L’accès à l’information environnementale ne pourra être effectif que si l’on passe d’un droit à communication pour les particuliers à une obligation d’information des autorités publiques.
2) Pour limiter le secret industriel, il faut exclure de son champ d’application tout ce qui concerne les études et informations relatives à la santé et à l’environnement.
Quant au secret défense, il faut faire la balance entre la sécurité nationale et l’information du public.
3) Pour assurer l’effectivité de l’accès à l’information, il faut doter la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) d’un pouvoir de décision.
L’inaction de l’administration, à la suite d’une décision de la CADA, pourrait faire l’objet d’une action en justice.
Il est proposé de créer, devant le juge administratif, un « référé communication » pour des informations environnementales, à juger sous huitaine.
4) Protéger les lanceurs d’alerte et étendre la liberté d’expression en matière environnementale. Par ailleurs, le lancement d’une alerte devrait avoir pour effet de générer des crédits de recherche pour savoir rapidement si celle-ci est justifiée ou non et permettre la mise en œuvre du principe de précaution pour empêcher l’entreprise ou le secteur d’activité concerné, d’invoquer le risque de développement.
5) Renforcer l’information des consommateurs car si l’on veut assurer un développement durable, il faut promouvoir une « consommation durable » qui ne soit pas une consommation d’élite, mais à la portée de tous les citoyens.
6) Il faut sanctionner pénalement la rétention d’information environnementale, infraction qui s’apparente à la mise en danger délibérée de la vie d’autrui.
7) Il serait intéressant qu’une véritable déontologie de l’information se mette en place, en s’inspirant par exemple des normes de certification ISAS 9100 BC pour les médias audiovisuels et ISAS 9100 P pour la presse papier.
II . L’EXPERTISE :
Quatre points pour améliorer l’expertise:
1- Les sujets d’expertise
2- La qualité d’expert
3- La procédure d’expertise
4- Le rôle d’une Haute Autorité de l’expertise
L’expertise, mobilisée pour répondre aux exigences de la protection de l’environnement, consiste principalement à évaluer les risques sanitaires et environnementaux résultant de l’utilisation des différentes technologies tant en amont qu’en aval de leur mise sur le marché.
Il s’agit ici des expertises préalables à la décision ou exceptionnellement postérieures pour en apprécier le bien-fondé, mais pas des expertises judiciaires obéissant à des règles propres.
1) Pour déterminer les sujets d’expertise, il est indispensable d’identifier les contours de la recherche en appui au développement durable.
2) Quant à la qualité d’expert, il y a lieu de connaître les intérêts de l’expert, d’affirmer sa compétence tout en prévoyant sa responsabilité. Il faut donc élaborer un statut de l’expert.
3) Une procédure d’expertise qui doit reposer sur le principe d’un exposé contradictoire des expertises et d’un débat pluraliste au sein d’une commission, composée notamment de représentants des ONG et des associations de consommateurs.
4) Il faut créer la Haute Autorité de l’expertise, instance composée également de représentants de la société civile, qui doit être la garante de la qualité du processus de l’expertise.
III . LA RESPONSABILITE :
Les propositions relatives à la responsabilité s’articulent autour de la responsabilité pénale, de la responsabilité civile, de la responsabilité administrative, de la transcription de la directive « responsabilité environnementale » et de l’accès à la justice.
L’option européenne consiste à privilégier le principe de précaution comme élément indispensable de choix de la collectivité publique pour décider d’autoriser ou non une technologie dont elle pourrait un jour avoir à supporter financièrement les conséquences et qui serait en tous cas susceptible de menacer l’intérêt général.
La directive sur la responsabilité environnementale ne concerne que les dommages causés à l’environnement.
Sur le plan des principes, la réparation en nature est préférable à la réparation monétaire, mais en pratique, elle est souvent impossible.
Par ailleurs, alors qu’une causalité directe et immédiate entre l’acte et le risque est requise, on pourrait envisager la possibilité d’une causalité indirecte et non immédiate pour l’appliquer aux conséquences sanitaires à long terme des atteintes à l’environnement.
Il faut favoriser la prévention pour éviter d’avoir à poser la question de la réparation.
1) La responsabilité pénale :
Le droit pénal devrait ne concerner que les seules infractions graves.
- Création dans le code pénal d’un délit spécifique d’atteinte à l’environnement
- Création d’un délit autonome de mise en danger d’autrui dans le cadre des atteintes d’origine environnementale à la santé.
- Instauration de peines complémentaires
- Modification du code de la consommation
2) La responsabilité civile :
• Propositions de modification du code civil :
- Formuler un principe général de responsabilité pour faute ayant causé un dommage à l’environnement : donner une formulation civiliste du principe pollueur-payeur.
- Consacrer la prise en compte du risque crée sans autorisation administrative
- Formuler un principe général de responsabilité des sociétés mères du fait de leurs filiales, en cas de défaillance de celles-ci : l’objet de cette proposition est restreint aux seuls préjudices environnementaux et sanitaires graves, établis à l’aide d’éléments objectifs.
- Consacrer la responsabilité civile objective liée aux ICPE soumises à autorisation : si la victime ne peut obtenir une indemnisation de l’exploitant, il faut prévoir un recours à un fonds d’indemnisation.
- Consacrer la théorie des troubles anormaux de voisinage
- Intégrer les dommages et intérêts punitifs pour atteinte à l’environnement : la proposition se limite aux professionnels et aux personnes morales, donc évince la possible condamnation de particuliers. Elle impose de tenir compte des ressources du responsable.
- Assurances et principe de précaution : le principe devrait être, en matière de risques pour la santé et l’environnement, une obligation d’assurance ou a minima de mutualisation du risque, pour les seuls acteurs économiques concernés.
• Propositions de modification du code de commerce :
- Elargir le champ d’application des exigences de divulgation sociale et environnementale aux sociétés non cotées : étendre à toutes les sociétés l’obligation de mentionner dans le rapport annuel les informations sociales et environnementales imposées par la loi NRE aux sociétés cotées.
- Consacrer le principe de l’implication des sociétés multinationales dans la politique sociale et environnementale de leurs filiales et fournisseurs : imposer aux sociétés établissant des comptes consolidés de mentionner dans le rapport consolidé de gestion des informations relatives au respect des normes environnementales, sociales et de gouvernance dans les filiales.
• Propositions de modification du Code Monétaire et Financier :
- Imposer aux OPCVM de préciser s’ils prennent en compte des considérations environnementales, sociales et éthiques
- Intégrer aux missions de l’association française des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et du Comité consultatif du secteur financier la promotion du développement durable au sein du secteur financier
3) La responsabilité administrative :
- Prendre en compte les évolutions sociétaires par le droit des ICPE : car l’administration est impuissante à contrôler et même suivre les évolutions induites par diverses opérations telles que les apports partiels d’actifs, les fusions ou les cessions de blocs de contrôle.
- Aménager l’obligation d’information du vendeur d’un ancien site industriel : il est proposé d’étendre l’obligation d’information aux cessions de contrôle de sociétés ayant dans leurs actifs des sites relevant de cette catégorie.
- Généraliser l’obligation de constituer des garanties financières à toutes les ICPE et assouplir leurs modalités en élargissant le champ des garanties pouvant intervenir. Développer des mécanismes qui assurent que les fonds soient placés dans un patrimoine distinct de celui de la société potentiellement en procédure collective et puissent être mobilisés à tout moment.
4) La transcription de la directive « responsabilité environnementale » :
- La définition de l’exploitant par la directive : « toute personne physique ou morale, privée ou publique, qui exerce ou contrôle une activité professionnelle ou, lorsque la législation nationale le prévoit, qui a reçu par délégation un pouvoir économique important sur le fonctionnement technique, y compris le titulaire d’un permis ou d’une autorisation pour une telle activité, ou la personne faisant enregistrer ou notifiant une telle activité. »
- Les cas d’exonération : le choix fait dans la transcription de refuser l’exonération du fait de l’autorisation, ou respect du permis, ne doit pas être remis en cause.
En ce qui concerne le risque de développement, il est indispensable, au-delà de cette transcription, de revoir le sujet dans la perspective décrite ci-dessus.
- L’exigence de garantie de l’exploitant : poser un principe général d’assurance ou de garanties lié aux activités potentiellement dangereuses pour l’environnement et identifiées comme telles, permettant à l’exploitant de faire face à la mise en cause de sa responsabilité civile ( pour ce qui est des dommages aux biens et aux personnes) ou administrative ( pour ce qui est des dommages à l’environnement)
- Le problème du double recouvrement : la directive ne fait pas obstacle à l’adoption par les Etats membres de dispositions appropriées, notamment l’interdiction du double recouvrement des coûts, lorsqu’un double recouvrement pourrait avoir lieu à la suite d’actions concurrentes menées par une autorité compétente en application de la présente directive et par une personne dont les biens sont affectés par les dommages environnementaux.
Le risque est donc d’avoir une double action, du propriétaire et de l’autorité compétente, qui se traduise pour l’exploitant par deux indemnisations à supporter : l’une au titre du préjudice du propriétaire et l’autre au titre des coûts des mesures de réparation.
5) L’accès à la justice :
- Permettre aux collectivités locales de se constituer partie civile plus facilement
- La Cour Européenne des Droits de l’Homme est venue rappeler l’intérêt général qui s’attache à ce que des associations défendant l’environnement puissent aller en justice, d’où la nécessité de revoir le projet de « class action » pour permettre que le domaine de la santé et de l’environnement soit couvert.