(*) Introduction

La société SpaceLife Origin a suscité un fort intérêt médiatique et pour cause ; son objectif déclaré était alors de cibler un « segment de marché de 30 millions de personnes » prêtes à envoyer leurs « graines de vie » dans l’espace pour 25 à 110 000 euros », ou encore de permettre la première naissance extraterrestre.


(*) L'enregistrement des naissances

L'enregistrement des naissances a longtemps été utile aux gouvernements, leur permettant de taxer, de conscrire et de compter la population. Traditionnellement du ressort des églises ce n'est qu'au XIXe siècle, en Angleterre et au Pays de Galles, que l'enregistrement des naissances est devenu standardisé, obligatoire et soumis au contrôle gouvernemental.

Un certificat de naissance est donc un acte obligatoire et la première possession d'une personne. Il est le fondement, partout dans le monde, d’une légitimité juridique, sociale et économique.

Le certificat de naissance est également « un champ de bataille » pour les débats sur la filiation, le sexe, l'identité et pour la citoyenneté.


Dans le cas d’espèce, nous nous intéressons à la naissance d’un bébé dans l’espace et à la nationalité de ce dernier.


(*) Afin d’éclairer notre cas, qu’en est-il des naissances à bord d’un avion ?

Le plus souvent, l’enfant acquiert la nationalité de ses parents.
Un seul texte contient une disposition concernant la nationalité d’un enfant né en vol. Selon l’article 3 de la Convention sur la réduction des cas d’apatridie, « Un enfant né à bord d’un bateau ou d’un avion aura la nationalité du pays auquel est enregistré l’appareil ». Mais attention, ce texte ne s’applique que si l’enfant est apatride, autant dire dans de très rares cas.

Il n’existe également aucune convention internationale réglementant les naissances en vol. Pour déterminer la nationalité du nourrisson, il faut se référer à la loi interne de chaque État.

En France, par exemple, c’est le droit du sang, donc la nationalité des parents qui prévaut. Un enfant n’est pas considéré comme né en France parce qu’il est né à bord d’un avion français. Un bébé né dans les airs, qui a au moins un parent français, sera ainsi français. La plupart des pays fonctionnent sur ce système. Les Etats-Unis qu’en à eux font prévaloir le droit du sol, cependant ils ont adopté un amendement qui stipule que les avions ne font pas partie du territoire national s'ils ne survolent pas le pays. Ainsi, le bébé pourra obtenir la nationalité américaine seulement si l’avion volait au-dessus des Etats-Unis au moment de la naissance. Si la maman a accouché au-dessus de l'océan, le petit obtiendra la nationalité de ses parents.


(*) Pas de loi sur la citoyenneté qui régisse une naissance extra-terrestre

Bien qu'aucune loi existante ne traite spécifiquement des « bébés nés dans l'espace », il semble que les lois sur la citoyenneté qui régissent les naissances extraterritoriales pourraient être pertinentes. La façon dont ces réglementations s'appliqueraient dépendra en grande partie de la nation qui est responsable de l’appareil ou la station. Ou encore de la nation qui a envoyé, ou contrôle l’appareil qui a servi de lieu de naissance dans l'espace extra-atmosphérique.


Comme un tribunal, avant de pouvoir aborder la question de fond de la citoyenneté, nous devons déterminer la compétence et les lois que nous devons appliquer. Par conséquent, nous nous réfèrerons ici à tout ce qui se trouve au-dessus de la ligne Kármán, l’Espace.


(*) l’article II du Traité séminal

En vertu de l’article II du Traité séminal sur l’espace extra-atmosphérique, aucune nation ne peut revendiquer de souveraineté « par l’utilisation ou l’occupation, ou par tout autre moyen » à l’espace extra-atmosphérique et à tout corps céleste. Par conséquent, sur le plan juridictionnel, les territoires de l'espace extra-atmosphérique agissent comme des eaux internationales sans droit de propriété ni possibilité de fonctionner librement. De fait, une naissance dans un territoire n'appartenant à personne, l'individu né semblerait être apatride à la naissance.

Comme évoqué précédemment, le lieu précis de la naissance serait probablement un vaisseau spatial, une station spatiale ou une base spatiale. Ici, l'article VIII du Traité sur l'espace extra-atmosphérique stipule que la nation « dont le registre d'un objet lancé dans l'espace extra-atmosphérique est transporté conserve la juridiction et le contrôle sur cet objet, et tout membre de son personnel, dans l'espace ou sur un corps céleste ». Par conséquence, une nation serait toujours en mesure de « revendiquer » des territoires utiles dans l'espace extra-atmosphérique comme les siens, car les humains ne peuvent pas vivre dans le vide. Ainsi, ce bébé pourrait ne pas être apatride si la nation « contrôlant » le lieu de naissance a des lois qui accordent automatiquement la citoyenneté aux bébés nés sur ses territoires.

(*) Autour de la question de citoyenneté, « 2 écoles » existent : Jus Soli (latin pour « droit du sol ») contre Jus Sanguinis (latin pour « droit du sang »).

A ce titre nous renvoyons le lecteur au schéma se trouvant à la fin de l’article et ayant comme origine : https://alexsli.com/thespacebar/2018/9/24/space-born-baby-whats-your-citizenship


Les nations qui accordent la citoyenneté en fonction du pays où le bébé est né (Jus Soli) comme les nations de la Common Law ont rendu, au fil du temps, leurs lois sur la citoyenneté plus restrictives. Par exemple, les États-Unis ne considèrent pas leurs installations à l'étranger comme faisant partie de leurs territoires.

Dans la « seconde école » nous retrouvons les nations qui appliquent la forme Jus Sanguinis qui examinent le statut de citoyenneté des parents du bébé pour déterminer si le bébé serait admissible à la citoyenneté de ce pays.


Dans ce contexte, nous pouvons maintenant passer à la question principale : comment un bébé né dans l'espace pourrait-il acquérir la citoyenneté ? Sans surprise, comme la plupart des réponses juridiques, cela dépend vraiment des circonstances de la naissance. Dans ce cas, c'est une analyse « d'arbre de décision » qui commence par la question simple : quelle nation contrôle l'installation de naissance ?


(*) les différents scénarii

Si le bébé est né sur une station spatiale / un navire / une base d'un pays qui fonctionne selon le modèle Jus Sanguinis, ce bébé héritera très probablement de la citoyenneté de ses parents. Étant donné que la citoyenneté est « indépendante du sol », le lieu de naissance de l'espace extra-atmosphérique, bien qu'il soit unique, ne devrait pas avoir d'incidence sur le statut de citoyenneté de ce bébé.


Si le bébé est né sur une station spatiale / un navire / une base d'un pays qui applique la théorie Jus Soli et qu'une telle nation n'a pas de restrictions pour ces territoires, alors ce bébé obtiendrait automatiquement la citoyenneté de ce pays en vertu du « droit du sol ».
Mais s'il y a des restrictions, alors nous aurions besoin de déterminer si le bébé obtiendrait la citoyenneté par le biais d'autres lois sur la citoyenneté de ce pays ou si le bébé pourrait obtenir la citoyenneté des parents grâce à la doctrine indépendante du territoire Jus Sanguinis.

« Par exemple, un bébé né dans un vaisseau spatial battant pavillon américain n'aurait probablement pas la citoyenneté américaine automatique via le « droit du sol » en raison du règlement FAM 301.1-3. Dans ce cas, nous examinerons ensuite le statut de citoyenneté des parents du bébé. Si les parents du bébé sont des citoyens américains, alors en vertu des lois américaines, cela activerait le statut martial des parents du bébé. Si les parents sont mariés, les règles du 8 U.S. 1401 s'appliqueraient, mais si le bébé est né hors mariage, les procédures prévues au 8 U.S. 1409 s'appliqueraient. Si les parents du bébé ont la citoyenneté dans un pays qui applique la doctrine Jus Sanguinis, alors nous chercherons à voir si le bébé peut satisfaire aux exigences de citoyenneté par naissance de ce pays ».
https://alexsli.com/thespacebar/2018/9/24/space-born-baby-whats-your-citizenship


« Ainsi, bien que l'espace extra-atmosphérique n'appartienne à aucune nation, le lieu de naissance exact et le pays qui contrôle cet espace seront primordiales pour définir la citoyenneté du nouveau-né. Si un bébé né dans l'espace extra-atmosphérique ne remplit pas les conditions requises pour obtenir la nationalité d'un pays, cet individu pourrait devenir apatride. Dans ce cas, le Traité des Nations Unies sur la Convention relative au statut des apatrides devrait entrer en jeu et fournir des protections au bébé apatride né dans l'espace. Cependant, le traité n'a été signé que par 23 États-nations, et la plupart d'entre eux ne possèdent pas d'engins spatiaux ni n'ont envoyé d'individus dans l'espace extra-atmosphérique ».

Pourtant, si une telle naissance devait se produire le bébé deviendrait automatiquement une célébrité à part entière et n’aurait aucun risque de devenir apatride.


(*) Propos conclusifs

Les projets « décomplexés » d’entreprises telle que SpaceLife Origin’s apportent de nombreuses interrogations techniques, juridiques et éthiques.

Plus que des casse-têtes juridiques ces nouvelles situations doivent être vues comme des opportunités pour nos sociétés de raisonner sur elles-mêmes, sur leurs cohérences juridiques et sur des sujets sociétaux qui, sur Terre déchainent les passions et déchirent des nations.

En cela, le droit de l’Espace est une formidable occasion d’anticiper des problèmes juridico-éthiques que poussent l’accélération des biotechnologies.
Les donneurs de sperme, les donneurs d'ovules, les mères porteuses et autres apparaîtront-ils dans les certificats de naissance ? Ces documents permettront-ils trois personnes ou plus d'être nommées parents ? Quelles seront les conséquences en termes de citoyenneté ?

Pour finir notons qu’au-delà d’une naissance humaine « classique » dans l’Espace, « le fil de la pelote de laine peut être tiré » :
Qu’en est-il du droit extraterrestre d’un embryon, de cellules, spermatozoïdes et d’ovules ? Dans le cas où l’ovule est fécondé dans l’Espace et qu’il y reste 8 mois, puis redescend sur Terre pour la naissance, quelle serait alors la citoyenneté de l’enfant ?

(*) Principales références:
https://www.parents.fr/etre-parent/droits-et-administratif/droits-de-l-enfant/quelle-est-la-nationalite-dun-bebe-ne-a-bord-dun-avion-13837
https://en.wikipedia.org/wiki/Jus_soli
https://en.wikipedia.org/wiki/Jus_sanguinis
https://usbeketrica.com/article/spacelife-bebe-espace
https://www.parents.fr/etre-parent/droits-et-administratif/droits-de-l-enfant/quelle-est-la-nationalite-dun-bebe-ne-a-bord-dun-avion-13837
https://www.theatlantic.com/science/archive/2019/01/space-childbirth-babies/579064/
https://alexsli.com/thespacebar/2018/9/24/space-born-baby-whats-your-citizenship
https://www.spacelegalissues.com/space-law-the-legal-status-of-biosatellites-and-their-payloads/