
Le monopole de la distribution d’énergie électrique et le principe du droit d’accès au réseau public de distribution
Par Antonin CHOLET
Avocat
Posté le: 25/06/2011 17:44
L’organisation du secteur de l’électricité en France a été marquée par une loi importante en date du 8 avril 1946 qui, dans les années d’après guerre et du fait des besoins en énergie électrique de l’époque, a procédé à une recomposition importante du paysage économique de l’électricité.
Ainsi, le secteur de l’électricité a été nationalisé et un monopole d’Etat a été institué au profit d’un établissement nouvellement créé : Electricité De France (EDF). Cet établissement public s’est vu confier aussi bien la production que la distribution, le transport ou encore l’importation et l’exportation de l’électricité.
En ce qui concerne plus particulièrement la distribution de l’électricité, la loi du 8 avril 1946 laissait subsister certaines régies locales et certains établissements publics locaux chargés de cette distribution et qui ont dès lors été qualifiés de Distributeurs Non Nationalisés (DNN).
Au niveau européen, d’autres monopoles dans le secteur de l’électricité ont également été créés. Ces monopoles ont perdurés jusqu’à leur remise en cause avec l’ouverture progressive à la concurrence de ce marché initiée par trois directives européennes en date du 19 décembre 1996, 26 juin 2003 et 13 juillet 2009. Ces directives ont été transposées dans l’ordre interne par les lois du 10 février 2000, 9 aout 2004 et 7 décembre 2006 ainsi que par l’ordonnance du 9 mai 2011.
Il convient de préciser que seulement certaines activités du secteur de l’électricité ont été ouvertes à la concurrence par ces directives. Il s’agit des activités de production et de fourniture (commercialisation auprès du consommateur final) de l’électricité.
Les autres, correspondant à ce que l’on nomme les « infrastructures essentielles », sont demeurées des monopoles. Il s’agit des activités de transport et de distribution de l’électricité.
Le réseau de distribution consiste en l’acheminement de l’énergie électrique depuis le réseau de transport jusqu’aux consommateurs finals et inversement en ce qui concerne les producteurs d'électricité. Il comprend donc l’ensemble des lignes de moyenne et basse tension, c'est-à-dire les lignes de tension inférieure à 50 Kilovolts.
Il est approximativement délimité, en amont, par les bornes d’entrée des transformateurs HTB/HTA des postes sources transformant la haute tension en moyenne tension et, en aval, par les bornes de sortie des compteurs.
La société Electricité Réseau Distribution France (ERDF), créée en 2006, détient sur ce réseau un monopole qu’elle partage avec les DNN, dont l’existence n’a pas été remise en cause. La zone de desserte exclusive des DNN (aujourd’hui dénommées « Entreprises locales de distribution ») est toutefois beaucoup plus restreinte et ne couvre environ que 5 % du territoire national.
Le monopole de la distribution d’énergie électrique dont bénéficie ERDF (I) s’accompagne d’une mission de service public dont le principe du droit d’accès au réseau est un corollaire nécessaire (II).
I / Le monopole de la distribution d'énergie électrique
L'article 24 de la directive 2009/72/CE, en vigueur depuis le 3 mars 2011, énonce le principe selon lequel les Etats membres désignent un ou plusieurs gestionnaires de réseau de distribution.
C'est conformément à la directive que l'article 18 de la loi du 10 février 2000 modifiée établissait un monopole de la distribution d'énergie électrique au profit de « EDF et des distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi du 8 avril 1946 ».
Cette disposition est aujourd’hui reprise par le tout récent Code de l’énergie (issu de l’ordonnance n°2011-504 du 9 mai 2011 portant codification de la partie législative du code de l’énergie et transposant la directive 2009/72/CE) en son article L 111-52.
En conséquence, seuls ERDF et les Entreprises locales de distribution sont légalement investies du pouvoir de gérer des réseaux de distribution en France et ce de manière exclusive.
Il existe cependant deux exceptions au monopole de la distribution d'électricité : les lignes directes (A) et les réseaux fermés de distribution (B).
A / L'exception des lignes directes
Une ligne directe est un ouvrage permettant un acheminement d’énergie électrique sans transit par les réseaux publics de transport et de distribution.
L'article 34 de la directive 2009/72/CE concernant les lignes directes établi que « les États membres prennent les mesures nécessaires pour permettre:
a) à tous les producteurs d'électricité et à toutes les entreprises de fourniture d'électricité établis sur leur territoire d'approvisionner par une ligne directe leurs propres établissements, filiales et clients éligibles;
b) à tout client éligible établi sur leur territoire d'être approvisionné en électricité par une ligne directe par un producteur et des entreprises de fourniture ».
En France, l’article 24 de la loi n°2000-108 du 10 février 2000 indiquait que cette possibilité devait faire l'objet d'une autorisation de construction de ligne directe.
Cette obligation est aujourd’hui reprise à l’article L 343-1 du Code de l’énergie : « Afin d'assurer l'exécution des contrats prévus à l'article L. 331-1 [Tout client qui achète de l'électricité pour sa propre consommation] […] et afin de permettre l'approvisionnement par un producteur de ses établissements, la construction de lignes directes complémentaires aux réseaux publics de transport et de distribution est autorisée par l'autorité administrative […] sous réserve que le demandeur ait la libre disposition des terrains où doivent être situés les ouvrages projetés ou bénéficie d'une permission de voirie. Pour délivrer les autorisations, l'autorité administrative prend en compte les prescriptions environnementales applicables dans la zone concernée ».
Toutefois, l'autorité administrative peut refuser, après avis de la Commission de régulation de l'énergie, l'autorisation de construire une ligne directe si l'octroi de cette autorisation est incompatible avec des impératifs d'intérêt général ou le bon accomplissement des missions de service public.
La procédure et les conditions de délivrance des autorisations sont précisées au décret 2001-366 du 26 avril 2001, elle implique par ailleurs la consultation d'ERDF.
Ce décret comporte notamment l’obligation de prouver « le caractère complémentaire aux réseaux publics de transport et de distribution de la ligne directe, lorsque les ouvrages des réseaux publics, existants ou en cours de réalisation, ne permettent pas de remplir, dans des conditions équivalentes ou meilleures au regard du bon fonctionnement du service public de l'électricité, les mêmes fonctions que la ligne directe projetée ».
Cependant, quand bien même une ligne directe aurait été autorisée, l'article 34 §3 de la directive 2009/72/CE ajoute que « les possibilités de fourniture d'électricité par ligne directe […] n'affectent pas la possibilité de conclure des contrats de fourniture d'électricité, conformément à l'article 32 », c'est à dire en conformité avec le principe du droit d'accès des tiers aux réseaux de transport et de distribution. Ainsi, la fourniture d'électricité via des lignes directes ne doit pas empêcher tout client de bénéficier de son droit d'accès au réseau de distribution d’énergie électrique.
Des dispositions pénales sont aussi prévues aux articles L 343-3 et suivants du Code de l’énergie.
B / L'exception des réseaux fermés
La directive 2009/72/CE met en place en son article 28 un dispositif dit de "réseaux fermés de distribution" qui permet aux Etats membres de faire qualifier de réseau fermé de distribution un réseau qui distribue de l'électricité à l'intérieur d'un site industriel, commercial ou de partage de services géographiquement limité.
A l'intérieur de ces réseaux fermés, certaines des dispositions contenues dans la directive connaissent des aménagements.
L'une des deux conditions suivantes doit être remplie pour qu'un site puisse se voir qualifié de réseau fermé:
- Soit, pour des raisons spécifiques ayant trait à la technique ou à la sécurité, les opérations ou le processus de production des utilisateurs de ce réseau sont intégrés
- Soit ce réseau fournit de l'électricité essentiellement au propriétaire ou au gestionnaire du réseau, ou aux entreprises qui leur sont liées.
Cependant, à ce jour, ces dispositions de la directive 2009/72/CE n'ont pas été transposées dans l'ordre juridique interne. Elles ne sont donc pas applicables.
Il convient de noter à ce titre qu'étant donné le caractère purement optionnel des dispositions en matière de réseaux fermés de l’article 28 (« Les Etats membres peuvent prévoir […] »), leur transposition par les Etats membres n’est pas obligatoire.
II / Le principe d'accès au réseau de distribution et de libre choix du fournisseur
Le troisième considérant de la directive 2009/72/CE énonce qu' « un marché entièrement ouvert est un marché qui permet à tous les consommateurs de choisir librement leur fournisseur et à tous les fournisseurs de délivrer librement leurs produits à leurs clients ».
Aux termes de l'article 32 de la directive 2009/72/CE, « les États membres veillent à ce que soit mis en place, pour tous les clients éligibles, un système d'accès des tiers aux réseaux de transport et de distribution. Ce système, fondé sur des tarifs publiés, doit être appliqué objectivement et sans discrimination entre les utilisateurs du réseau [...] ».
La directive 2009/72/CE consacre donc un droit d'accès au réseau de distribution d’énergie électrique.
Ces principes de libre choix du fournisseur et de droit d’accès avaient été repris à l’article 22 de la loi n°2000-108 du 10 février 2000. Ils figurent aujourd’hui respectivement aux articles L 331-1 et suivants et L 111-91 et suivants du Code de l’énergie.
Ainsi, notamment, l’article L 331-1 dispose que « tout client qui achète de l'électricité pour sa propre consommation ou qui achète de l'électricité pour la revendre a le droit de choisir son fournisseur d'électricité. Il peut conclure un contrat d'achat d'électricité avec un producteur ou un fournisseur d'électricité de son choix installé sur le territoire d'un Etat membre de l'Union européenne ou, dans le cadre de l'exécution d'accords internationaux, sur le territoire d'un autre Etat ». Tout en sachant que ce droit est exercé par tout consommateur final par site de consommation.
La Cour de Justice de l'Union Européenne a notamment réaffirmé ce droit d'accès des tiers aux réseaux de distribution dans un arrêt CJCE, 22 mai 2008, Citiworks AG, C-439/06.
Elle considère que compte tenu de son importance, le principe d'accès des tiers aux réseaux de distribution ne saurait être écarté hormis les exceptions prévues par la directive elle-même. Comme toute exception, celles-ci sont d'application stricte.
Dans cet arrêt, la société Citiworks, société dont l'activité principale est l'approvisionnement en électricité, fournissait de l'électricité à une société implantée sur le site aéroportuaire de Leipzig.
La société FHL, exploitant du site aéroportuaire, entretenait pour sa part un réseau d'approvisionnement électrique et lui refusait la possibilité d'effectuer cette fourniture en s'appuyant sur des dispositions de la législation allemande.
La Cour de Justice a jugé que les dispositions en question de la législation allemande ne rentraient pas dans le champ d'application des exceptions au droit d'accès prévues par la directive.
Ces exceptions sont de trois ordres:
- L'article 32 de la directive 2009/72/CE : un gestionnaire de réseau de distribution peut refuser l'accès à son réseau s'il ne dispose pas de la capacité nécessaire, sous réserve qu'il motive et justifie ce refus.
- L'article 3 §14 de la directive 2009/72/CE : les Etats membres peuvent décider de restreindre le droit d'accès des tiers au réseau de distribution afin de garantir la fourniture d'un service public d'électricité.
- L'article 44 §1 de la directive 2009/72/CE : les Etats membres qui peuvent prouver que des problèmes importants se posent pour l'exploitation de petits réseaux isolés peuvent demander des dérogations à certaines dispositions de la directive 2009/72/CE. Ces dérogations nécessitent l'accord de la Commission Européenne.
En conclusion, chaque client doit pouvoir avoir accès au réseau de distribution et librement choisir son fournisseur.
B / La garantie du droit d'accès au réseau de distribution :
La garantie du droit d’accès par le gestionnaire du réseau de distribution d’énergie électrique a été reprise à l’article 23 de la loi n°2000-108 du 10 février 2000. Elle figure aujourd’hui aux articles L 111-91 et suivants du Code de l’énergie.
Aux termes de ces dispositions, le gestionnaire du réseau public de distribution d’énergie électrique doit garantir le droit d'accès des tiers au réseau public de distribution.
Ce droit d'accès est garanti pour assurer la mission de service public du gestionnaire du réseau public de distribution et également pour assurer l'exécution des contrats d'achat ou d’exportation d'électricité.
Afin de mettre en œuvre ce droit d’accès, des contrats relatifs à l’accès au réseau sont conclus entre le gestionnaire du réseau public de distribution concerné et les utilisateurs de ce réseau.
Il convient ici de noter que dans le cadre du dispositif du contrat unique conclu par la majorité des consommateurs particuliers finals, ce contrat relatif à l’accès au réseau est conclu entre le gestionnaire de réseau et le fournisseur (contrat dit « GRD-F »).
Tout refus de conclure un contrat d'accès au réseau public doit être motivé. Il est notifié au demandeur et à la Commission de régulation de l'énergie (CRE).
L’article L 111-93 dispose que ce refus doit résulter de « critères, objectifs et non discriminatoires, qui ne peuvent être fondés que sur des impératifs liés au bon accomplissement des missions de service public et sur des motifs techniques tenant à la sécurité et la sûreté des réseaux, et à la qualité de leur fonctionnement ».
De plus, aux termes de ce même article, le gestionnaire du réseau est tenu de refuser l'accès au réseau à un producteur non autorisé ainsi qu’à un fournisseur qui exerce une activité d'achat pour revente non conforme aux textes.
Enfin, les sanctions prévues à l’article L 142-31 du Code de l’énergie peuvent trouver à s’appliquer en cas de manquement.
Dans le cadre de sa mission de service public, ERDF est donc le garant du droit d'accès au réseau de distribution dont bénéficie chaque "client".