L'arrêt du 09/06/11: Une solution encourageante pour les victimes du Distilbène
Par Elodie COMBE
Jutiste sécurité-qualité-environnement
Alliance Custom and Trade Division Renault SAS
Posté le: 10/06/2011 13:57
Les risques liés à la prise du Distilbène semblent encore aujourd’hui porter leurs conséquences.
Un arrêt du 9 juin dernier (Cour d’Appel de Versailles) est venu mettre en lumière les effets du Distilbène sur la troisième génération.
La Cour d’Appel a reconnu que le handicap de la victime, née très prématurément dans les années 90, était directement lié à la prise du Distilbène par sa grand-mère lors de sa grossesse à la fin des années 50.
La mère de la victime avait rapporté la preuve de son exposition in-utéro au Distilbène, qui, ayant entraîné des anomalies morphologiques, avait provoqué un accouchement prématuré.
La Cour estime que cet accouchement prématuré, à défaut de toute autre cause rapportée (maladie ou accident) est en rapport direct avec le handicap de la victime.
Elle vient donc confirmer le jugement de première instance, qui, dans un arrêt de 2009, avait reconnu le préjudice subi par l’enfant, au motif qu’en l’état des connaissance médico-scientifiques entre 1939 et 1962 (la première grossesse date de 1958), « les laboratoires [avaient] manqué à leur obligation de vigilance, attitude constitutive d'une faute de nature à engager leur responsabilité ».
La reconnaissance d’un lien de causalité sur trois générations, semble s'inscrire dans la logique des décisions précédemment admises, marquant une protection toujours plus accrue des victimes du Distilbène.
I- Historique d’un médicament contesté
Le Distilbène aussi connu sous le nom de Stilboestrol-Borne (D.E.S) est un œstrogène de synthèse.
Ce médicament, fabriqué par deux principaux laboratoires, UCB pharma et Novartis santé familiale, était prescrit depuis 1948, aux femmes enceintes présentant des risques de fausse couche (notamment du fait d’un taux trop bas d’œstrogènes).
Les indications du D.E.S avaient par la suite été étendues allant jusqu’au traitement des stérilités.
Les raisons du retrait du D.E.S du marché des médicaments:
C’est aux États-Unis que les premiers risques de dangers du traitement sont rendus publics en 1971, via une étude menée par un gynécologue américain. Celle-ci visait à établir une relation entre des cas de cancers chez sept filles de 15 à 22 ans et la prise du D.E.S par leur mère durant la grossesse. La même année, le médicament était retiré du marché.
En France, la première communication visant à établir les dangers du D.E.S date de 1974, à la suite de cas de cancers du vagin et du col de l’utérus chez les filles exposées au D.E.S in utéro : « les filles Distilbène ».
Ce n’est que 3 ans plus tard, et 6 ans après les Etats-Unis, que ledit médicament fut mentionné « contre-indiqué chez les femmes enceintes » et retiré du marché des médicaments.
Dès lors, de nouvelles études avaient été publiées, visant non seulement à démontrer que le médicament n’aurait aucune action bénéfique sur les grossesses à risque, mais qu’en plus il provoquerait des risques d’anomalies au niveau du système génital, susceptibles d’entraîner des problèmes de fertilité et des accidents de grossesse.
Par la suite, divers enquêtes et rapports étaient venus renforcer ces présomptions au cours des années 80.
II- Vers le renforcement de la présomption de causalité au profit des victimes
C’est l’arrêt du TGI Nanterre du 24 mai 2002 qui reconnait pour la première fois la responsabilité d’un des laboratoires fabricants de la molécule (UCB pharma).
Le TGI s’était fondé sur la responsabilité contractuelle (sans faute) du laboratoire, estimant que ce dernier avait manqué à son obligation de sécurité de résultat en mettant en circulation un produit défectueux « qui n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre ».
Mais la CA Versailles avait retenu, dans un arrêt du 30 avril 2004, la responsabilité délictuelle pour faute dudit laboratoire, estimant que celui-ci avait manqué à son obligation de vigilance.
A partir de là , les juges du fond avaient admis que le lien de causalité entre la faute du laboratoire et les cancers développés chez les victimes dont les mères avaient ingéré le D.E.S durant leur grossesse, pouvait être établi sur la base de « présomptions graves, précises et concordantes ».
Suite à cela, la 1ère chambre civile avait rendu deux arrêts du 24 septembre 2009, opposant deux « filles Distilbène » aux deux laboratoires fabricants.
Dans le premier arrêt, elle avait rejeté le pourvoi de la victime, qui avait été déboutée par la CA au motif qu’elle n’avait pas rapporté la preuve de son exposition à la molécule D.E.S (défaut de lien de causalité entre la faute et le dommage).
Mais dans un second arrêt, elle avait estimé que ledit lien de causalité était acquis sur la base d’une présomption de droit, établissant que la victime avait été exposée in-utéro au D.E.S et que ce dernier était donc à l’origine de sa pathologie.
Restait alors à la victime à démontrer le lien de causalité entre le dommage et l’auteur entre les deux laboratoires. La Cour décida qu’il appartenait audits laboratoires de démontrer que le produit mis en circulation par chacun d’eux n’était pas à l’origine du dommage.
La Cour de cassation avait ainsi renversé la charge de la preuve au profit de la victime, qui s'était vu exemptée de rapporter ledit lien de causalité.
La reconnaissance d'un lien de causalité sur trois génération marque une nouvelle étape, qui n'est pas à l'abri de futures décisions dans ce domaine, notamment quant on sait qu'aujourd'hui, le nombre d'enfants nés de mères exposées au DES s'échelonne entre 100 000 et 160 000.