À la signature de l'accord de Paris, un mouvement dans lequel les entreprises et les investisseurs les plus engagés dans le climat, principalement situés dans les pays développés, ont pris l'initiative de faire du climat une priorité. L'accord de Paris a finalement été le bon signal pour les acteurs économiques de tourner le dos aux énergies fossiles et d'embrasser les énergies propres et sûres. Toutefois, cet espoir est aujourd'hui quasiment réduit en néant. Les entreprises sont toujours polluantes et certaines ne répondent pas aux exigences posées par la loi de mars 2017 sur « le devoir de vigilance ».

En octobre dernier, six ONG ont poursuivi le groupe Total contre un méga-projet pétrolier en Ouganda. Cette action est la première en justice française fondée sur la loi relative au «devoir de vigilance» des multinationales. Ce mardi 28 janvier, plus d'une vingtaine de villes, collectivités et associations ont encore assigné en justice le géant pétrolier pour des raisons quasi similaires.

Sur quelles bases légales s'appuient-ils pour traduire le groupe en justice?

Le collectif hétérogène s'appuie sur différentes bases juridiques pour justifier ce recours: le premier provient du premier article de la constitution où le terme «environnement» était écrit, ainsi que l'article 2 qui stipule que «toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l’environnement ». D’autre part, la loi de mars 2017 relative au «devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre», qui oblige les entreprises d'une certaine taille (plus de 5000 salariés) à appliquer un «plan de vigilance» «pour prévenir les risques en la matière.
 
Malgré un plan de vigilance en place, Total "n'a pas suffisamment identifié les risques climatiques, indiquent les défenseurs du climat. Ils demandent désormais une meilleure adaptation de ce plan à la gravité du risque climatique, en utilisant notamment l'accord de Paris" qui vise à limiter le réchauffement climatique à moins de 2° Celsius, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre"et le rapport spécial 2018 du GIEC sur les conséquences du réchauffement climatique de 1,5 ° C. Ils attendent de Total qu'il révise son plan de vigilance et modifie son modèle économique car c’est une obligation légale de mettre en œuvre un plan de vigilance conforme.
 
Enfin, le collectif invoque l'article 1252 du Code civil selon lequel une entreprise peut être mise en demeure en cas de retard dans l'exécution demandée suite à un dommage causé par sa contribution au changement climatique. Les ONG, accusent Total d’avoir causé des dommages importants à l’environnement en s’appuyant sur les chiffres du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) selon lesquels, pour limiter le réchauffement climatique, il faut une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et limiter le réchauffement climatique à 1,5 ° C.

 La justice climatique, une nouvelle arme militante?

Selon un rapport du Grantham Research Institute de la London School of Economics, plus de 1300 procédures judiciaires concernant le changement climatique ont été engagées depuis 1990, dont 1023 aux États-Unis. 2019 est l'année la plus active en recours juridiques de ce type " explique Marta Torre-Schaub, directrice de recherche au CNRS. Pour Florence Denier-Pasquier," ce n'est qu'une arme parmi d’autres." Le collectif a besoin des citoyens et des marches pour le climat afin de démontrer qu'une action en justice est une lutte pour le bien public. » Lorsque les citoyens sont prêts, les autorités appliquent les solutions plus rapidement. "D'autant plus que cette année, certaines ONG ont attaqué l'Etat français pour" inaction climatique ".

L’action est-elle espoir d'un changement de modèle économique ?

Le vice-président de "France Nature Environnement Florence" Denier-Pasquier considère également qu'en cas de condamnation, la sanction pécuniaire qui serait infligée à Total en cas de défaite judiciaire serait "proportionnelle à la taille de l'entreprise" et pourrait ainsi devenir très pénible pour le groupe. Le collectif exige que Total applique les exigences et se met en conformité aux recommandations scientifiques. Globalement, les émissions de gaz à effet de serre associées aux installations de Total s'élèvent à 42 millions de tonnes de CO2, soit moins de 0,1 des émissions mondiales selon l’entreprise. Ce chiffre est contredit par le collectif qui estiment que sans compter les émissions indirectes telles que celles des véhicules alimentés par le carburant acheté chez elle , les émissions mondiales de Total seraient entre 7 et 8 fois plus élevées.

Quels sont les enjeux de cette action ?

Traduire une entreprise privée en justice pour son inaction climatique est sans précédent en France. L'objectif est d'obliger à Total et les principaux pollueurs climatiques à agir dans les domaines de leurs responsabilités. Total est visé car elle se classe 19e parmi les 100 entreprises les plus polluantes de la planète et est le premier pollueur français. Si les ONG gagnaient, ce serait une première mondiale, ce qui rendrait l'objectif de l'Accord de Paris opposable aux entreprises privées par la jurisprudence. L'objectif est alors de faire la lumière sur Total, le plus gros pollueur, pour un effet domino. D'autant plus que certaines entreprises n'ont pas attendu d'être traduites en justice avant d'agir. Selon Me Sébastien Mabile, plusieurs acteurs majeurs du secteur sont déjà engagés "sous la pression des actionnaires" comme l'Espagnol Repsol ou le Norvégien Equinor mais pas Total.
Pour l'avocat du groupe Total, l'action est également prise au sérieux par la compagnie pétrolière, puisqu'elle a engagé un cabinet d'avocats très reconnu. "S'il perd, cela impliquerait des changements majeurs dans son modèle ».Toutefois, Total déplore également cette action en justice et propose une coopération entre les différents acteurs.