Pour rappel, la procédure de la QPC est une nouveauté procédurale entrée en vigueur depuis le 1er mars 2010. Cette procédure permet aux requérants de soulever en cours d’instance l’inconstitutionnalité d’une disposition légale. La juridiction procède sans délai à un premier examen afin de savoir si la question est recevable. Si elle l’estime recevable, la question est transmise à la Cour de cassation qui procède à un examen plus approfondi et examine la recevabilité par rapport aux critères imposés par la loi organique. Ce sont les juges de la Cour de cassation qui décident de saisir le Conseil des sages.
Les trois critères nécessaires pour qu’une QPC soit transmise sont cumulatifs :
- La disposition législative critiquée doit être applicable au litige,
- Elle ne doit jamais avoir été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel
- La question doit être soit nouvelle soit avoir un caractère sérieux.

En l’espèce, les requérants ont invoqué devant le TGI de Troyes une indemnisation de leur préjudice dû aux nuisances générées par un parking non goudronné d’un restaurant routier, jouxtant leur propriété et les empêchant de jouir de leur jardin. Le parking étant également un lieu de dépôt d’ordures par les chauffeurs routier. C’est au fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage, création jurisprudentielle depuis l’article 544 du Code civil que les requérants ont demandé leur indemnisation en nature ainsi que la construction d’un mur séparant les deux propriétés. Ils se sont vus contrariés dans leur demande par l’invocation par l’exploitant du restaurant de la théorie de la préoccupation selon l’article L. 112-16 CCH. C’est pourquoi, les requérants ont en vertu de l’article 61-1 de la Constitution, mis en cause la conformité de cet article à la Constitution et notamment, à la Charte de l’environnement intégrée au bloc de constitutionnalité depuis le 1er mars 2005. Les juges de première instance, confortés par les juges de cassation ont considéré que cette question de conformité était recevable à être transmise devant le Conseil constitutionnel, notamment par sa nouveauté et son caractère sérieux au regard de l’article 1er de la Charte de l’environnement.
Les sages de la rue Montpensier se sont donc livrés à une analyse de conformité de l’article L. 112-16 du code de la construction et de l’habitation à la Constitution, article du code qui exonère l’auteur de nuisances dues à une activité agricole, industrielle, artisanale, commerciale ou aéronautique de toute obligation de réparer les dommages causés aux personnes installées postérieurement à l’existence de l’activité occasionnant ces nuisances, dés lors que cette activité s’exerce en conformité avec les lois et règlements.
Deux intérêts sont à retirer de cette QPC; d'une part, elle permet de rappeler que la Charte de l'environnement est applicable à tous et qu'elle est un outils pour tout citoyen et d'autre part, la solution énoncée par les neuf membres présents à la délibération du 7 avril 2011 est celle d’une « conformité de l’article L. 112-16 du CCH à la Constitution et à la charte de l’environnement dés lors qu’il est sans incidence sur la mise en jeu de la responsabilité de l’auteur des nuisances en cas de faute ».


I/ L’intérêt de l’article L. 112-16 du Code de la construction et de l’habitation

Cet article du CCH vient directement limiter la théorie des troubles anormaux de voisinage, création jurisprudentielle, de plus en plus utilisée par les requérants afin de protéger leur environnement face à des installations générant des nuisances sonores, odorantes ou encore esthétiques (notamment les installations classées).
Par l’article L. 112-16 du CCH, l’auteur des nuisances souvent exploitant d’une installation classée va pouvoir s’exonérer de toute indemnisation grâce à la théorie de la préoccupation. L’esprit de cette théorie est en quelque sorte une acception des risques par la personne qui se dit victime de nuisances, puisque cette dernière est venue s’installer sciemment aux abords d’un établissement polluant. Elle savait donc pertinemment qu’elle risquait d’être exposée à des nuisances, qui pourraient affecter son « droit à un environnement sain », attaché, au vu de la jurisprudence actuelle, à son droit de propriété.

De nombreuses critiques ont été faites à cette théorie car elle aménage au nom de l’intérêt économique un « droit acquis de nuire à autrui » pour le premier occupant. Toutefois, la cour de cassation fait en sorte d’encadrer avec minutie cette exonération des exploitants en vérifiant les trois conditions cumulatives à son application à savoir :
- l’exploitation est conforme aux lois et règlements,
- elle doit être antérieure à la propriété des requérants ;
- l’activité de l’exploitation s’est poursuivie dans les mêmes conditions.
Cette théorie de la préoccupation est donc mise en œuvre avant tout pour un intérêt économique. Les exploitations installées en conformité avec les lois et règlements génèrent une activité dont l’impact économique est souvent important, et notamment emploient un certains nombre de salariés, facteur essentiel dans la prise en compte de cet intérêt économique et social.

II/ La conformité de l’article L.112-16 CCH à la Constitution

Dans la décision du 8 avril 2011, le Conseil constitutionnel a considéré que l’article L.112-16 du CCH était conforme à la Constitution, en ce qu’il n’empêchait pas une personne victime de nuisances d’invoquer la responsabilité de l’exploitant en cas de faute de sa part, faute qui selon les membres du Conseil découlent d’un manquement à une obligation de vigilance quant aux atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de son activité. Il ne consacre ainsi qu’une obligation de vigilance à l’égard de l’environnement découlant de l’article 2 de la Charte sans prendre en compte l’article 1er qui affirme un « droit à un environnement sain », lequel fait naître un droit réel, déjà défini comme tel en jurisprudence. De plus, en fondant toute sa décision sur la responsabilité pour faute, le Conseil ne donne aucun poids à la théorie des troubles anormaux de voisinage, qui est pourtant bien ancrée en matière civile.
C’est d’ailleurs sur ce fondement que les requérants s’appuyaient dans leur action contre l’exploitant et non pas sur la responsabilité pour faute de l’article 1382 du Code civil, laquelle n’a pas du tout le même impact car le requérant en se fondant sur les TAV n’a pas à rapporter de faute de l’exploitant mais uniquement l’anormalité des nuisances.

On aurait pu attendre une analyse par les membres du conseil des intérêts fondamentaux en présence, à savoir l’intérêt économique énoncé plus haut et l’intérêt environnemental qu’est le droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé. On sait que lorsque deux intérêts fondamentaux sont mis en balance, le législateur peut décider de limiter un droit fondamental pour des raisons d’intérêt général à condition qu’il n’y ait pas d’atteintes disproportionnées au regard des objectifs poursuivis. Il aurait donc été intéressant que le Conseil constitutionnel mette en balance ces deux intérêts.
D’autant plus qu’il semble que la théorie de la préoccupation soit trop générale et apporte ainsi une limite disproportionnée dans certains cas de pollutions avérées. C’est d’ailleurs le cas en l’espèce, car les pollutions sont générées par un parking de restaurant. Or, le restaurateur aurait pu prendre des mesures afin de limiter les nuisances et les pollutions, qui certes sont gênantes pour le voisinage, mais le sont également pour l’environnement. Ces pollutions sont tout à fait gérables par l’exploitant qui peut simplement améliorer son environnement pour lui, pour ses clients et ainsi pour le voisinage (gérer les déchets des routiers, modifier le sol pour réduire les poussières), sans que cette prise de mesure nuise à son activité économique. Il existe donc des situations où l’article L. 112-16 du CCH apparaît comme trop général et n’a pas vocation à s’appliquer car il donne à l’exploitant une servitude d’intérêt économique, et un droit à polluer, laissant les personnes arrivées postérieurement dans un environnement qui ne correspond plus aux volontés de la Charte constitutionnelle.

C’est dommage que l’analyse de conformité ne soit pas plus complète, d’autant que la théorie de la préoccupation est reprise dans le projet de réforme du droit des biens malgré les critiques doctrinales.