Organisations et démarche de développement durable : la douce utopie des lignes directrices relatives à la RSO
Par Remi LAVIGNE
Avocat
Cabinet Me LAVIGNE
Posté le: 25/03/2011 10:50
Le capitalisme porte-t-il réellement en lui les germes de sa propre destruction ? Marx avait-il déjà compris que le schéma d’une société capitaliste se ferait en sacrifiant la nature sur l’autel du profit de l’homme ? (Le Capital, Livre III, Karl Marx, 1867) Les structures socio-économiques du monde ont-elles à ce point suivi ses prédictions afin que la société actuelle soit désormais en agonie devant la nécessité d’instaurer enfin un développement qui soit durable ? On peut le croire…
Le Rapport Brundtland de 1987 avait défini le développement durable, ou Sustainable development, comme « Un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Ce schéma, reposant sur la prise de conscience de l’impact de l’homme sur sa planète, préconise une égalité de développement sur les trois piliers majeurs de toute société, à savoir l’économie, le social, et l’écologie. A terme un développement durable représente la vision d’un monde équilibré et durable.
Pendant très longtemps ce concept a été négligé, apparaissant aux yeux des praticiens comme une démarche purement écologiste ayant pour seul avantage une utilité marketing. Cela étant, même si cette conception est encore répandue, en France notamment, force est de constater qu’après vingt ans d’existence, le concept de développement durable est finalement arrivé à maturité. Les idéologies ont évolué, et les prises de conscience récentes des nouvelles nécessités incombant à notre société ont fait comprendre aux individus l’intérêt de tous dans l’action de chacun.
De cette prise de conscience est né le concept de « Responsabilité Sociétale des Organisations » ou RSO. Selon la commission européenne, celui-ci est « un concept par lequel les organisations intègrent des considérations sociales et environnementales dans leurs opérations et dans leur interactions avec leurs parties prenantes, sur une base volontaire. » En d’autres termes, la responsabilité sociétale des organisations est la concrétisation du développement durable non seulement dans l’esprit des organisations, mais également dans leurs organes et leurs actions.
Ce concept, originellement focalisé sur des aspects philanthropiques des entreprises s’est progressivement élargi notamment avec la mondialisation de la société, en prenant en compte le travail, les droits de l’homme, et l’environnement. L’aboutissement de cette évolution est arrivé, il y a quelques mois avec l’édiction d’un texte majeur de la démarche de développement durable en entreprise : la norme internationale ISO 26000.
Cette nouvelle norme, inspirée du bon sens et de l’extraordinaire popularité des codes de bonnes pratiques privées a été publiée après cinq années de négociations aboutissant à une approbation massive, le 1er novembre dernier par l’organisation internationale de normalisation. Elle présente de façon quasi-exhaustive les lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale des entreprises du secteur privé et des organisations publiques.
Elle n’a pas de valeur juridique, et ne conduit pas à une certification, mais au contraire fait la promotion d’un engagement volontaire et responsable des organisations dans le développement durable par le biais d’une liste (non-exhaustive) de bonnes pratiques répondant aux attentes actuelles de la société et à la vulnérabilité économique, sociale et environnementale de chacun. Il y est ainsi préconisé la mise en œuvre de sept principes et de sept questions centrales relevant du bon sens.
Cependant ce rappel de bon sens édicté au sein des « lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale » n’est pas sans générer un certain scepticisme face à des notions poussées à l’extrême, qui oublient quelque peu l’envergure concrète d’une réelle démarche responsable. Il conviendra conséquemment de s’intéresser aux limites des principes (I) et des questions centrales (II) de la RSO version ISO 26000 avant de voir les limites relatives à L’intégration de la norme dans les organisations (III).
I) L’intérêt et la limite des sept principes de la RSO
La norme ISO 26000 présente en ses articles 4.1 et suivants, les sept principes à respecter lorsqu’il s’agit d’entreprendre une démarche sociétalement responsable. Ces sept principes sont la redevabilité, la transparence, le respect du principe de légalité, la reconnaissance des intérêts des parties prenantes, le comportement éthique, le respect des normes internationales de comportement, et enfin le respect des droits de l’homme. Ils constituent idéalement une liste qui, au regard des évolutions de la société, semble complète, mais qui non seulement n’est pas finale, mais d’application très souvent limitée ou limitable ; de plus, certains apparaissent nettement plus pertinents et compréhensibles que d’autres.
Le principe de redevabilité, affirmé à l’article 4.2 de la norme se définit en la capacité de chacun à pouvoir reconnaître et répondre de ses impacts sur la société, sur l’économie et l’environnement et entreprendre des actions visant à les limiter voire à les supprimer. Cela inclut de pouvoir répondre de soi même, mais également des intérêts des mandants, du respect des normes étatiques et internationales. La redevabilité est un concept logique d’une démarche de développement durable. En effet, outre la mise en application du principe pollueur-payeur présent aux articles 3 et 4 de la charte de l’environnement du 24 juin 2004 et des dispositions législatives relatives notamment aux installations classées, la norme internationale préconise d’aller au-delà en englobant la prise de conscience et une réaction positive face aux impacts des mandants et ceux causés par l’interaction entre l’organisation et ses parties prenantes. A travers ce concept totalement prévisible de redevabilité est donc préconisé un respect renforcé, voire même prospectif du principe pollueur-payeur qui, au regard de l’inflation législative des obligations environnementales incombant aux organisations, semble indiquer à celles-ci la voie à entreprendre afin de se placer en position d’exemplarité, et accessoirement de se conformer pour le futur. Cependant il apparaît nécessaire de souligner que ce concept restera nécessairement limité dans les faits. Il est difficile d’imaginer une entreprise tentant de financer régulièrement la réhabilitation d’un sol ayant été pollué par une de ses parties prenantes sans contrepartie. Ainsi il est sans nul doute pléthore de situations où se conformer à ses obligations législatives et réglementaires sera l’unique objectif des organisations, et où aller au-delà ne sera qu’un investissement accessoire potentiellement négligé.
Le principe de transparence se définit à l’article 4.3 de la norme comme étant la capacité de chacun de pouvoir être transparent sur ses décisions et ses activités ayant un impact sur la société et l’environnement en privilégiant l’information des parties prenantes qu’elles soient directes ou indirectes. Cela revient idéalement à diffuser de manière claire, précise, et complète les politiques, décisions, projets et activité dont l’organisation est responsable. Ce principe, répond cette fois ci aux obligations légales et réglementaires relatives à l’information environnementale (notamment les art. 7 et 8 de la charte de l’environnement de 2004, ou art. L124-1 à L126-1 C. env.). Il est à noter en outre que la transparence est complémentaire à la redevabilité. En effet il apparaît difficile d’imaginer une organisation respectant le principe de redevabilité en restant obscure sur ses activités. Ainsi la transparence est la condition sine qua non à l’effectivité du principe de redevabilité. Toutefois, notons que ce principe doit s’exercer dans le respect des obligations de confidentialité, ce qui peut limiter grandement le principe de transparence. En effet il est des cas où assurer la confidentialité des données est nécessaire à la survie d’une société, particulièrement dans les branches à forte concurrence. Ainsi une organisation ne peut appliquer la transparence sans potentiellement s’affaiblir. C’est pourquoi dans les faits, la transparence sur les éléments résiduels ne peut être que privilégiée par un organisme, encore faut-il qu’il soit possible de distinguer les éléments pour lesquels il est possible d’être transparent sans s’affaiblir économiquement, et ceux sur lesquels il faut rester secret. Ainsi négliger le principe de transparence peut-être pour les organisations un frein économique tout autant qu’un avantage concurrentiel.
La reconnaissance des intérêts des parties prenantes est un des principes majeurs de toute démarche RSO. Elle est affirmée en son article 4.5, et a pour objectif d’identifier les partenaires et autres parties prenantes de l’organisation dans le but d’identifier les relations économiques qu’il est nécessaire de privilégier et celles qui sont moins prioritaires. Ainsi la prise en considération et la réponse éventuelle aux intérêt de ses parties prenantes permet de reconnaître de surcroît l’intérêt commun et l’utilité d’un dialogue avec celles-ci. Ainsi son clarifiés les intérêts de l’organisation et la pertinence des relations, notamment au niveau économique. Il est cependant à noter que ce rappel de bon sens se fait, considérant l’individualisation croissante de la société, à juste titre et ne peut être que favorable à chaque organisation dans le sens où elle identifie les éléments à privilégier et ceux à abandonner. A ce titre la norme préconise de prendre en considération la possible vulnérabilité des intérêts des parties prenantes et de ne pas s’en prévaloir. Cette préconisation apparaît quant à elle quelque peu difficile à appliquer lorsqu’un concurrent choisit de se prévaloir de la faiblesse de ces parties prenantes. C’est le cas notamment dans les entreprises du bâtiment où beaucoup de sous-traitants vivent du bon vouloir des fortes organisations qui les emploient.
Le respect de la légalité est un principe inévitablement rappelé par ISO 26000. Il propose, très logiquement, de respecter les normes étatiques et internationales et donc concrètement de se conformer à ses obligations légales et réglementaires. Idéalement cela inclut la nécessité de non seulement assurer une veille réglementaire afin de se conformer à ses obligations partout où l’organisation opère, mais également de contrôler périodiquement cette conformité. Même si ce respect est une obligation légale en soi, il est important de souligner le geste responsable que fait une organisation en s’impliquant ‘’psychologiquement’’ dans sa conformité. Il reste cependant évident que certaines entreprises présentant de légères irrégularités se refusent à engager des frais dont les dépenses valent plus que le risque encouru. C’est là que ce rappel par la norme, en son article 4.6 trouve bien sûr sa limite.
Le comportement éthique est l’un des principes abstraits, ou tout du moins difficilement appréhensibles, affirmé à l’article 4.4 de la norme. Selon ce dernier l’organisation doit se comporter de manière éthique. Cela inclut une phase d’auto-identification, dans laquelle il convient de détecter et d’afficher ses valeurs essentielles, de promouvoir un comportement éthique dans l’organisation via l’instauration de standards qu’il sera possible d’exporter. Enfin il s’agit de mettre en place des actions préventives et ou correctives et de tenter de pallier la carence de réglementation éthique dans certains domaines. L’avantage de ce principe réside en un travail de reconnaissance de son rôle et du bien qu’une organisation peut apporter au-delà de ses obligations légales. Ainsi le comportement éthique se détache du principe de redevabilité en ce sens qu’il n’est nul besoin d’impacter sur la société et l’environnement pour se montrer éthiquement correct. En outre cela permet aux organisations de s’ériger en exemple. Cependant si ce principe a l’avantage de se détacher totalement du cadre juridique des organisations pour donner libre cours à celle-ci de promouvoir leurs standards, il a pour inconvénient le fait que l’éthique est une notion aussi subjective qu’abstraite. En outre il n’est pas encadré par des obligations légales ou réglementaires et donc peut être tout simplement négligeable face aux contraintes de productivité. Les standards éthiques ont donc, corrélativement à l’avantage tiré de leur liberté de mise en place, l’inconvénient d’être difficiles à encadrer et donc difficilement à respectables.
La prise en compte des normes internationales de comportement est un autre principe difficile dans sa mise en pratique. On le retrouve à l’article 4.7. Ce principe, assez ressemblant à celui du comportement éthique, semble assez utopiste, puisqu’il revient à prendre en considération, dans la politique et les actions de l’organisation, les normes internationales de comportement. Ainsi une organisation mettant en place une démarche de responsabilité sociétale devrait prendre en compte ces normes comportementales internationales et ce surtout lorsqu’il y a carence de protection réglementaire en la matière, voire contradiction avec les normes étatiques. Or il est de d’une effroyable évidence que les organisations ne connaissent ni ne comprennent ce concept de normes internationales de comportement. Ce faisant il semble de surcroît tout simplement impossible d’intervenir en compensation à un vide dans la réglementation étatique, ni même d’intervenir en contradiction face à cette dernière. Appliquer des normes internationales de comportement autres que ce qui est déjà exprimé dans la loi ou le règlement semble à la fois utopiste, abstrait, et quasiment impossible à mettre en pratique.
Enfin, à l’instar de la prise en compte des normes internationales de comportement est rappelé la nécessité pour les organisations de respecter les droits de l’homme, de reconnaître leur importance et leur universalité. Ce principe a l’avantage d’être beaucoup plus accessible que celui des normes comportementales puisqu’il est préconisé le respect de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, des Pactes internationaux sur les Droits civils et politiques et relatifs aux Droits économiques, sociaux et culturels entrés en vigueur en 1976, et des autres pactes relatifs aux droit de la Femme, des enfants, des conflits armés, ainsi que les déclarations universelles nationales, et d’une manière générale les droits universels et indivisibles et inaliénables de l’humain. Ces textes se recoupent, et présentent des notions beaucoup plus concrètes que du droit coutumier ou les normes internationales de comportement. Il est ainsi proposé aux organisations de les respecter et d’agir face à leur non-respect, tout en prenant éventuellement compte - si nécessaire et évidemment si possible - des normes internationales de comportement. Sans pour autant comparer les entreprises à des organisations humanitaires, ce principe semble accessible aux organisations, notamment en droit du travail ou en ce qui concerne la sécurité des parties prenantes. Ce principe, encadré par de nombreuses déclarations nationales et internationales ne semble de prime abord pas majeur dans la démarche de l’organisation. Mais c’est pourtant à juste titre que la norme le rappelle en son article 4.8, en soulignant la possibilité, au-delà du respect direct du droit, d’investir et de collaborer avec des associations, ce qui peut avoir plus d’un avantage, notamment en marketing.
Il reste cependant à souligner que respecter ces sept principes ne représente rien sans la nécessité d’orienter ceux-ci dans des domaines d’actions bien définis, c’est là que ce trouve l’intérêt des sept questions centrales de la RSO.
II) L’intérêt et la limite des sept questions centrales de la RSO
Afin de permettre aux organisations une mise en place concrète d’une démarche de responsabilité sociale et environnementale, il est nécessaire de définir les domaines dans lesquels focaliser ces démarches. C’est à ce titre qu’ISO 26000 a défini sept questions centrales – sous divisibles en domaines d’action - dans lesquelles une organisation mettant en place une démarche responsable peut agir. La norme présente ainsi en ses article 6.1 et suivants six questions centrales interdépendantes (les droits de l’homme, les relations et conditions de travail, l’environnement, les pratiques loyales, le respect du consommateur, et l’engagement local de l’organisation) imbriquées de manière holistique autour d’une septième : la gouvernance de l’organisation. Il conviendra d’examiner une à une ces questions centrales, leur pertinence, et bien évidemment leurs limites.
La gouvernance de l’organisation (art. 6.2) est la fonction essentielle à chaque organisation. Le ou les membres du processus décisionnaires sont fondamentaux lorsqu’il s’agit de mettre en place des actions responsables. Cependant il est nécessaire de constater que la gouvernance d’une organisation ne consiste pas forcément aux mécanismes formels de décisions. En entreprise, les actions sont souvent subordonnées à l’action de management intermédiaire, et à des organes décisionnels informels. L’intégration effective de la responsabilité sociétale ne peut nécessairement se faire qu’avec la prise en compte de la totalité de la gouvernance.
A l’instar du principe de respect des droits de l’homme, il semble que la norme se répète quelque peu en plaçant comme question centrale de l’organisation le respect des droits de l’homme. Cependant, comme il a été souligné précédemment ISO 26000 préconise de façon détaillée et concrète un respect des droits civils, politiques et sociaux au sein de l’organisation et avec les parties prenantes et la société. La norme préconise l’utilisation de mécanismes légitimes et accessibles, le respect d’un devoir de vigilance en cas de violation de ces droits afin de combattre la discrimination et de protéger les groupes vulnérables. En outre est préconisé le respect d’un devoir de prévention des risques pour les droits de l’Homme (avec notamment la prévention de la complicité d’acte les transgressant) et de réponse face aux atteintes à ces droits. En l’espèce, à travers le choix de qualifier les droits de l’Homme de question centrale, les principes d’équité, de transparence, et de dialogue sont privilégiés. Le problème qui se pose néanmoins est celui de connaître la limite entre ce qu’il est envisageable et ce qui relève d’un investissement impossible. En effet lorsqu’une opération économique risque de générer du chômage, lorsqu’il est nécessaire, suite à un dommage, de mettre en cause un responsable employant de nombreux salariés pouvant difficilement retrouver un emploi, le problème se pose alors de savoir jusqu’où va cette démarche de respect des droits de l’Homme et jusqu’où vont le devoir de vigilance, ou la nécessité de combattre les discriminations. Au final cette question centrale, si elle semble légitime, pourrait amener les organisations à se poser une seule question : « Est-ce réellement à moi de faire cela ? »
Une des questions centrales les plus importantes de la démarche de responsabilité sociétale, et s’inscrivant dans la suite du respect des droits de l’Homme, est la mise en place d’actions relatives aux relations et conditions de travail des employés qui sont considérés comme des parties prenantes « internes » à l’organisation. Ainsi il convient de satisfaire ses obligations légales, de promouvoir la santé et la sécurité, avec notamment l’élaboration du document unique d’évaluation des risques en entreprise, et de promouvoir des conditions de travail éthiques. Il est également préconisé une prise en compte, via une optimisation du dialogue social, de la situation des employés et de leur vulnérabilité. Au final ce choix de mettre les relations et conditions de travail en question centrale vient de la prise de conscience de la nécessité de protéger les salariés, et de l’élargissement considérable du principe d’obligation de sécurité de l’employeur issu notamment de l’article L4121-1 du Code du travail. Au-delà de cette vision sécuritaire, il y a l’ambition de promouvoir l’humain, en favorisant l’embauche utile et les relations saines. Cependant il faut souligner le fait qu’une entreprise existe en premier lieu pour générer du profit, et non pour faire du bénévolat. L’augmentation du capital humain n’étant pas forcément la meilleure solution en terme de productivité.
Contrairement à ce qu’il est possible d’imaginer, la responsabilité sociétale des organisations ne se focalise pas sur l’environnement. Cependant, une démarche organisationnelle de développement durable ne peut que nécessairement prendre en compte les impacts de l’organisation et de ses parties prenantes sur l’environnement. Ainsi, selon ISO 26000 il est nécessaire de respecter les normes étatiques et coutumières, de respecter les principes de précaution et de prévention (notamment des pollutions) et le principe pollueur payeur, et d’adopter une démarche visant à une gestion optimale des risques, dans l’application du principe de redevabilité. Cette mise en exergue de la dimension environnementale de l’organisation s’accompagne d’une approche dite « cycle de vie » des actions et produits liés à l’organisation, pour une appréciation de leurs impacts par l’organisation et y compris lorsqu’ils sont sous le contrôle des parties prenantes. Cela permet d’améliorer les performances socio-économiques tout en s’occupant de l’environnement car il y est compris une production plus propre, une meilleure gestion de l’énergie et des rejets de GES, ainsi que des achats durables, des investissements socialement responsable, la collaboration avec les associations environnementales, la participation à des process de protection et de réhabilitation de l’environnement naturel etc. Outre l’ambition intéressante de la norme dans le domaine environnemental, il est nécessaire de mettre un bémol sur l’utilité concrète de certaines de ses préconisations. En effet même si le dialogue avec les associations et la préconisation des achats durables peut être bénéfique en théorie, le sera-t-elle en pratique ? L’excès d’engagement environnemental est la meilleure manière de se retrouver vulnérable, investir aveuglément dans des process de protection et de réhabilitation ne doit pas se faire sans avoir conscience des véritables responsabilité juridique, notamment en ce qui concerne la réhabilitation de sites pollués.
Une autre question sur laquelle il convient de se focaliser est la loyauté des pratiques de l’organisation. Cette question, majeure puisque celle-ci définit en majeure partie la conduite des organisations avec leurs parties prenantes, préconise ainsi une conduite ‘’éthique’’ des organisations. Ainsi il appartient à une organisation mettant en place une démarche RSO de ne pas s’avérer intimidante, coercitive, ou manipulatrice. Idéalement, la position à adopter est celle d’exemple luttant contre la corruption, et privilégiant des relations légitimes et productives ainsi qu’une concurrence loyale. Or dans le schéma de crise actuel, les entreprises ont besoin de se montrer coercitives sans quoi elle se retrouverait dans une position de vulnérabilité face à des concurrents trop libres. A l’instar de toute règle n’étant réellement appliquée que si elle est assortie d’une sanction, la possibilité de se montrer, si besoin, coercitif est à la base de toute relation avec ses parties prenantes. Sur ce point là, ISO 26000 ne semble manifestement pas avoir intégré la notion de conflit d’intérêt. Il est d’ailleurs inutile de souligner que, si légalement une entreprise a la possibilité d’utiliser des pratiques moralement déloyales pour obtenir un avantage économique substantiel, il y a tout simplement de grandes chances qu’elle le fasse, l’inconvénient de l’un étant une opportunité non négligeable pour l’autre. Ainsi il apparaît que la notion de concurrence loyale doit concrètement être mise en œuvre lorsque cela est possible et non gênant, pour éventuellement un intérêt marketing ou pour des avantages économiques ultérieurs. Une entreprise n’est pas un bon samaritain.
A la suite de cette nécessité d’adopter des pratiques loyales se trouve la question, beaucoup plus accessible, de la protection des consommateurs. En effet il est inutile de rappeler que ceux-ci sont également des parties prenantes à l’organisation. Il est donc nécessaire, dans l’adoption d’une conduite saine avec ses parties prenantes, de respecter voire de protéger les parties les plus faibles. La sécurité des consommateurs est donc primordiale en démarche RSO. Il faut, outre l’obligation de se conformer au droit de la consommation, informer, sensibiliser, écouter, protéger le consommateur, lui offrir un environnement de consommation sain. Il faut également l’assister dans ses choix de consommation, l’orienter vers l’option la meilleure pour lui et lui fournir un accès facile aux services qui lui sont essentiels, même les services de réclamation. La question des consommateurs, nettement plus défendable que celle de la concurrence loyale semble trouver son utilité non seulement en marketing mais au-delà. Elle permet de fidéliser les clients et d’avoir une meilleure gestion de la qualité. Cependant ici encore il est possible de rencontrer des entreprises peu scrupuleuses, tentées d’utiliser les informations sur leurs consommateurs, pour étudier le marché, et de fournir ses informations à leur parties prenantes complices. Ainsi, ne pas vouloir protéger les consommateurs autant qu’ISO 26000 le préconise peut permettre aux organisations de se prévaloir de leur position de force face à eux. De plus, l’avantage issu de pratiques loyales de consommation n’est pas forcément aussi important que celui de pratiques déloyales, mais légales (ex : conditions générales de vente très favorable au vendeur, sans pour autant tomber dans l’abusif, difficile mise en cause de la responsabilité des agences de voyage etc.).
Enfin, il apparaît important de souligner le rôle croissant des organismes privés dans les politiques locales. A ce titre une démarche responsable peut également s’engager par le biais d’une implication auprès des collectivités. Cela inclut le dialogue, le respect et la prise en considération des organismes de la collectivité locale dans laquelle la société est implantée, comme si celle-ci était une partie prenante. On reconnaît ainsi le rôle des membres de la communauté, on s'engage dans des partenariats tout en développant l’accès à l’information. Promotion du développement économique local. A noter que cet appui des organismes locaux est évidemment beaucoup plus attractif lorsqu’il présente un avantage économique, notamment en terme d’image.
Les sept principes et les sept questions centrales de la responsabilité sociétale des organisation ont l’avantage, en plus d’être relativement complets et détaillés, de déboucher sur les méthodes et outils nécessaires à l’intégration concrète de la démarche dans l’organisation : l’article sept d’ISO 26000 : les lignes directrices relatives à l’intégration de la responsabilité sociétale dans l’ensemble de l’organisation.
III) L’intégration méthodique mais limitée de la RSO dans l’organisation
La norme détaille de façon très structurée et par étapes, en son article sept, la méthode visant à instaurer une démarche de responsabilité sociétale au sein d’une organisation. (A) Cependant force est de constater qu’elle soulève de nombreuses questions, tant au niveau de son application, qu’au niveau de sa philosophie. (B)
A) La méthode d’intégration concrète dans les systèmes et process de l’organisation
La mise en place, au sein d’une organisation, d ‘une responsabilité sociale et environnementale est relativement attractive, d’autant plus qu’elle est peu contraignante, en théorie, puisqu’elle se fait sur la base du volontariat et n’est soumise à aucun contrôle. En outre il apparaît que se prévaloir d’une démarche RSO place nécessairement les organisations, et surtout les entreprises en avant-garde par rapport à la concurrence en terme d’image, de fidélisation et soutien des parties prenantes, et de productivité.
L’approche de cette démarche nécessite de suivre un raisonnement critère/résultat et d’évaluer ses performances internes, et externes au moyen d’un benchmarking, d’une revue de performance, d’une veille réglementaire, et surtout dans l’absolu, une mise en place de démarches concrètes soumises à un principe d’amélioration continue.
Ainsi l’intégration de la démarche socialement responsable se fait en plusieurs étape : il convient tout d’abord de passer intégralement en revue les caractéristiques de l’organisation, de ses activités (histoire, philosophie, types et natures d’activité etc.), et de son processus décisionnel afin d’identifier sa propre responsabilité sociétale et sa sphère d’influence. Il est ensuite nécessaire de faire de même avec les parties prenantes en identifiant clairement les problématiques et préoccupations internes et générées par celles-ci. Cela permet d’évaluer la responsabilité sociétale et la sphère d’influence de l’organisation et de faire de même avec ses parties prenantes. Ces évaluations serviront de base à un dialogue positif et une potentielle relation gagnant gagnant.
Ensuite il est nécessaire d’identifier, parmi les sept questions centrales, les domaines d’action à privilégier par l’organisation et leur importance. L’établissement de ces priorités est suivi d’une sensibilisation à tous les organes de l’organisation.
Enfin est entrepris la mise en place d’actions concrètes par ces organes et le développement des compétences « responsables » de l’organisation dans les domaines et avec les principes privilégiés et ce à tous les stades possibles de la responsabilité sociétale. L’objectif principal étant une intégration parfaite de la démarche responsable dans le système et les process (le corps et la vie) de l’organisation. L’objectif annexe étant de faire la communication sur les actions déjà entreprises et les engagements pris, le tout dans une démarche d’amélioration continue allant bien au-delà des préconisations de la loi.
L’intégration de la Responsabilité sociétale au sein de tout type d’organisation se fait sur la base du volontariat. Ainsi elle n’est soumise à aucun contrôle ni aucune tutelle. Cependant la norme tient à souligner que ce volontariat doit être concret et effectif, sans quoi l’engagement n’a sensiblement pas de valeur. Ainsi l’intégration de la RS est subordonnée à la récurrence, l’ampleur, et la crédibilité de l’engagement. Une réelle volonté de s’engager s’avère aussi nécessaire que le contrôle périodique de la persévérance de l’organisation. C’est le principe d’amélioration continue (application de la Roue de Deming) qui, une fois entrepris, donne un vrai rôle de cale à ISO 26000. Il doit également être communicatif et prendre en compte les parties prenantes. Ainsi une entreprise souhaitant mettre en place une démarche de RSO ne peut en aucun cas faire l’impasse sur ses parties prenantes et le dialogue avec elles.
B) Les limites inhérentes à l’intégration d’une démarche volontaire
La première critique qu’il est possible de faire concernant ISO 26000 et la RSO repose dans les fondements de l’application de cette dernière. En effet il est dans l’esprit de la norme que celle-ci ne fait que traduire une démarche volontaire et non contrôlée par des organes extérieurs, et donc ne conduit pas à une certification. Or lorsqu’une la mise en place d’une démarche n’est pas soumise à une coercition extérieure significative, l’ampleur ou la crédibilité de la démarche ne peut que se retrouver compromise, notamment en cas de conflits d’intérêts, et de toute façon, une démarche volontaire conduit nécessaire à une interprétation subjective de la RSO par les organisations qui seraient ainsi tentées de favoriser en priorité leur intérêt personnel sous couvert de développement durable.
De plus, il apparaît qu’en sept articles, la norme présente sept principes et sept questions centrales qui au final ont l’inévitable inconvénient de se recouper, et de s’interchanger. Cela pose un problème de clarté et de compréhension sur l’envergure concrète de la démarche RSO ; Cela peut également avoir pour conséquence d’ébranler son pseudo rôle de cale empêchant de régresser, rôle déjà bien abîmé par l’absence de certification
En ce qui concerne l’identification de la responsabilité sociétale de ses parties prenantes, il apparaît que celle-ci s’avère plus ardue que d’identifier sa propre responsabilité. Il s’agit en effet d’identifier la responsabilité de tous les types d’acteurs, des plus directs aux moins évidents, afin de dialoguer avec ceux-ci. Or il peut être difficile de dialoguer avec toutes, ou de ne serait-ce que vouloir dialoguer avec toute. En outre le but est non seulement d’identifier et de valoriser les intérêts communs et de privilégier les relations gagnant-gagnant, ce qui semble assez utopiste, mais également d’endiguer leurs potentielles vulnérabilités ou à défaut d’éviter de s’en prévaloir. On retrouve ici l’esprit encore plus utopiste de la loyauté des pratiques, préconisant à une organisation ayant un avantage concurrentiel de ne pas utiliser cette position de force qui lui est offerte, tout en sachant qu’une partie prenante vulnérable peut être un avantage économique, car ses prix peuvent par exemple être bas et sa dépendance élevée. Les préserver de leur vulnérabilité ne paraît alors envisageable que si cela constitue un avantage. De plus, se prévaloir de la faiblesse d’une partie prenante peut être nécessaire à la durabilité d’une organisation, ce qui entre totalement en contradiction avec le principe de loyauté. Au final dans un monde individualiste et ou le but principal d’une entreprise est de générer du profit, privilégier la morale, les principes éthiques ou la loyauté des pratiques plutôt que de se prévaloir de la faiblesse d’un concurrent ou d’une législation moralement injuste pouvant rapporter des avantages économiques relève quasiment de l’impossible.
Au final il apparaît qu’ISO 26000 préconise un engagement qui paraît très éloigné des réelles problématiques des entreprises, (cibles prioritaires d’ISO 26000). Il s’agit là d’une application lourde et non-exhaustive d’une philosophie responsable. Et toutes les entreprises n’ont pas la capacité, voire même la volonté de suivre ces lignes directrices qui ne seront pas forcément suivies par leurs concurrents. Or s’engager représente un investissement sans la garantie d’une contre partie financière. Le problème avec ISO 26000 est que seules les lignes directrices les plus susceptibles de générer un profit financier et social (et peut être environnemental) seront sujettes à un engagement de la part des organisations. Au final des engagements « handicapants » tels que la loyauté des pratiques ou le respect des droits de l’homme, voire même aussi le respect des droits des consommateurs seront beaucoup plus ardus à mettre en pratique et à respecter. Sous-couvert d’une volonté de bonne pratique peuvent ainsi se cacher des pratiques déloyales destinées au final à rapporter de l’argent aux mêmes destinataires qu’avant, la seule différence étant que l’hypocrisie ne sera plus camouflée, mais communiquée.
Dans un sens, ISO 26000 constitue un texte long et plutôt rébarbatif nous rappelant finalement les quelques questions de bon sens, fondamentales, que doit se poser toute organisation et que l’évolution de la société nous avait forcés à oublier : Quelle est son influence sur la société et ses parties prenantes ? Que peut-on se permettre de faire légalement et jusqu’où évoluer en suivant la morale ? Récapituler des règles de bon sens que l'on s’est acharné à négliger nous fait ainsi revenir au même point de départ : il faut faire cela, va-t-on le faire ? Quelles sont les conséquences en ne le faisant pas ? Quel est l’utilité de le faire ? Est-ce moral ? Utilement ISO 26000 nous le rappelle, mais au final, nous le savons.
Comme l’avait souligné The Economist, « Le rôle d’une entreprise est de gagner de l’argent pour ses actionnaires, légalement. La moralité est la province de l’individu privé et des gouvernements » Sans cette préoccupation, la survie d’une entreprise, ou de toute organisation est tout simplement impossible. Or il convient, face aux nouvelles prises de conscience, de ne pas oublier l’ambition fondamentale qui est de survivre dans la société. De plus le but de la RSO, au final, est la durabilité des organisations. Cependant une démarche RSO mal entreprise a la paradoxale tendance à entraîner leur ruine et leur destruction.
Ainsi la démarche RSO serait-elle le reflet difficile à discerner des conséquences du progrès capitaliste, progrès au sein duquel l’individu sublimait sa propriété et son propre développement par le biais d’entreprises toujours florissantes, en oubliant son bon sens ? En effet, il semble que les germes, selon Marx, destructeurs du capitalisme se seraient mis à pousser.