Un jugement condamnant les auteurs d’une pollution de l’environnement marin à de la prison ferme et à des dommages et intérêts a été rendu au Sénégal en 2013. L’audace des juges dakarois dans un contexte où la jurisprudence environnementale des pays africains était jeune et quantitativement faible doit être soulignée. Différentes raisons justifient cet état de fait, parmi lesquelles un manque de moyens matériels et humains.
En ce qui concerne plus spécifiquement le contentieux du droit de l’environnement, il n’est pas encore développé au Sénégal et les juges sénégalais n’ont pas eu beaucoup d’occasions d’appliquer les dispositions protectrices de l’environnement ni de contribuer à leur élaboration. La plupart des décisions prennent la forme de contentieux en matière de troubles de voisinage. Ce jugement du tribunal régional de Dakar, en date du 09 octobre 2013 s’en distinguait en ce que les juges avaient retenu la qualification de dommage à la nature et plus globalement à l’environnement marin. En cela, on peut considérer que ce jugement constituait une des premières représentations de la nature devant les juges sénégalais. De nombreux contentieux ont été jugés en droit maritime mais ces jugements relevaient plus de contentieux commerciaux et n’abordaient pas la question de l’environnement. Dans le cadre spécifique de l’environnement marin qui était en cause ici, il importe de noter l’absence de pollutions accidentelles par hydrocarbures importantes en Afrique de l’Ouest, ce qui participe également à la faiblesse du contentieux en la matière. Le niveau de pollution peut être important, et c’est le cas notamment à Dakar dans la baie de Hann mais il s’agit le plus souvent de pollution diffuse difficilement sanctionnable. En l’espèce, le caractère accidentel de l’événement, sa situation au cœur d’un parc national et le contexte politique avaient permis une intervention des juges. En effet, ce jugement était intervenu à un moment où la condamnation des atteintes à l’environnement commençait à être de plus en plus prégnante à différentes échelles. A l’échelle régionale, dans l’affaire SERAP contre Nigeria, la Cour de la CEDEAO avait ordonné au gouvernement du Nigéria de sanctionner les compagnies pétrolières responsables de pollution. A l’échelle nationale, une telle dynamique s’était traduite par l’arraisonnement de plusieurs navires étrangers dont l’Oleg NAIDANOV pour pêche illégale dans les eaux sous juridiction sénégalaise.
Dans ce jugement, les atteintes à l’environnement résultaient d’un nombre important de manquements aux obligations en termes de navigation et sécurité maritime. L’Almadraba Uno est un navire de pêche, battant pavillon espagnol, qui se trouvait le jour du naufrage au Sénégal pour des raisons de déchargement et d’avitaillement. Une fois arrivé au port de Dakar, le navire avait rempli ses réservoirs, mais également ses ballasts, par une quantité importante de gasoil. En partance vers ses zones de pêche, le capitaine avait mis le pilotage automatique en marche avant de descendre en soute. Le maître de pêche était en passerelle mais était occupé à la reconnaissance des balises de pêche. Et ce n’est que lorsqu’ils ont entendu un gros bruit qu’ils se sont rendus compte que le navire s’était échoué sur les rochers du Parc national des îles de la Madeleine situé au large de Dakar. Les tentatives pour dégager le navire étant restées vaines, les autorités ont été prévenues mais face à l’ampleur des dégâts causés par le déversement des 310 000 litres d’hydrocarbures que contenait le navire, il a été nécessaire de faire intervenir des entreprises spécialisées dans les opérations de nettoyage. Le Tribunal régional de Dakar s’est distingué en reconnaissant l’importance des atteintes à l’environnement mais également en sanctionnant les préjudices causés à l’environnement marin.
La reconnaissance par le juge d’atteintes à l’environnement
Malgré la faible jurisprudence existant jusque-là, plusieurs catégories de préjudices environnementaux ont été reconnues par le juge.
Les reconnaissances antérieures d’atteintes à l’environnement
Cette affaire est importante pour le droit de l’environnement au Sénégal ne serait-ce que par sa seule existence. Il est vrai qu’il existe peu de jugements au Sénégal en matière d’environnement, mais il importe également de souligner la prépondérance de la procédure dite de transaction au Sénégal. En matière environnementale, comme en matière de pêche, les autorités administratives compétentes, face au non-respect de la règle de droit, ont la possibilité de transiger. Cette procédure implique l’établissement d’un procès-verbal et d’une demande de transaction adressée au ministre concerné. Celui-ci fixe alors, en cas d’acceptation de la transaction, le montant à régler en accord avec le Ministre des finances. Dans la majorité des cas, cette procédure va être utilisée et de fait, les affaires relatives à la protection de l’environnement passent alors rarement par les juridictions.
Pourtant, la doctrine a pu souligner à quelques reprises des arrêts intéressant la protection de l’environnement. Ainsi en 1971, la Cour d’appel de Dakar, à propos d’une installation d’usine de fabrication de farine de poisson, avait affirmé que l’autorisation de cette installation ne mettait nullement son titulaire à l’abri du recours des propriétaires voisins (CA Dakar, 19 mars 1971, D. Pizano c/ M.B. Bachir). En l’occurrence, les incommodités constatées constituaient bien des troubles de voisinage même pour une propriété située en zone industrielle. Cependant, la cour s’était limitée à reconnaître les troubles de voisinage sans s’attacher aux dommages causés à l’environnement. D’autres arrêts peuvent être cités en ce qui concerne les troubles de voisinage comme par exemple celui de la Cour d’appel de Dakar de 1984 (CA Dakar, 26 juillet 1984, affaire Aidara contre Mbaye), mais aucun n’identifie de dommages à l’environnement. C’est pourquoi la reconnaissance des préjudices environnementaux par les juges dakarois suite au naufrage de l’Almadraba Uno revêt une importance particulière.
La nature des préjudices environnementaux reconnus par les juges
Il importe avant tout de souligner qu’il n’existe pas de cadre normatif communautaire qui encadre le contentieux du dommage écologique en Afrique de l’ouest et encore moins au Sénégal. Les seules traces que l’on peut noter résident dans la définition du dommage écologique dans le Code de l’environnement du Sénégal. L’article L2 le définit comme : « Tout dommage subi par le milieu naturel, les personnes et les biens, et affectant l’équilibre écologique. Ce peut être : des dommages de pollution causés par l’homme et subis par des patrimoines identifiables et particuliers ; des dommages subis par des éléments inappropriés du milieu naturel ; des dommages causés aux récoltes et aux biens par le gibier ». Cette définition souligne l’importance de l’environnement et on a pu y voir les prémisses d’une traduction juridique de ces dommages.
En l’espèce, les juges du Tribunal régional avaient reconnu plusieurs dommages environnementaux. Ils avaient ainsi pu distinguer les préjudices causés à l’environnement des préjudices causés à l’homme.
Le jugement avait ainsi relevé deux sortes d’atteintes à l’environnement. La première concernait l’atteinte aux milieux aquatiques et à ses fonctions. Le jugement précisait qu’avec « la quantité de gasoil déversée (…) il y a nécessairement des conséquences sur l’écosystème » et soulignait également que l’espace naturel atteint constituait une « zone de frayère pour les poissons mollusques et autres crustacés ». La deuxième forme d’atteinte portait sur les espèces et leurs fonctions. Le jugement identifiait plusieurs atteintes aux espèces sans toutefois leur associer de degré de gravité. La pollution par l’ammoniac qui s’était répandue par le déversement de gasoil était ainsi mise au même niveau que la présence du navire échoué qui perturbait la quiétude des oiseaux, ou que la présence de l’épave qui empêchait la remontée des tortues.
Par ailleurs, le jugement identifiait des préjudices qui relevaient de préjudices collectifs causés à l’homme et considérés comme « les atteintes portées à des intérêts humains dépassant la somme des intérêts individuels et qui affectent les bénéfices collectifs procurés par l’environnement ou qui nuisent à la défense de l’environnement sous différents aspects ». Les juges dakarois en identifiant le préjudice causé aux ressources halieutiques pointaient du doigt l’impact économique de la pollution due au naufrage.
Ils ont également souligné une autre forme de préjudice économique liée au coût des mesures de réparation en précisant que les opérations de remorquage et de dépollution du navire avaient nécessité des moyens colossaux.
L’évaluation et la sanction judiciaires des préjudices causés à l’environnement
Dans ce jugement, le préjudice à l’environnement avait été caractérisé du fait des atteintes au milieu marin, mais, les comportements fautifs des prévenus paraissaient avoir influencé les juges. Par ailleurs, le Tribunal n’avait pas utilisé de méthode particulière pour évaluer les dommages et intérêts et s’était principalement basé sur le chef de préjudice de pollution marine.
La qualification du préjudice
Le terme de préjudice environnemental n’avait pas été utilisé par le jugement du Tribunal de Dakar mais le jugement précisait expressément que la condamnation était intervenue pour « toutes causes de préjudices confondues ». Il semblerait que deux points aient particulièrement contribué à établir la conviction de la nécessité de sanctionner et d’indemniser les préjudices. Il s’agissait tant du lieu du naufrage en plein cœur d’un espace naturel protégé que de l’accumulation de fautes par les membres de l’équipage.
Le lieu du naufrage n’était en effet pas anodin puisque le navire s’était échoué en plein cœur d’un espace naturel protégé depuis le milieu des années 50 comme réserve ornithologique puis comme parc national depuis 1976 (Décret n° 76-0033 du 16 janvier 1976 portant création du Parc national des îles de la Madeleine), du fait de son importance pour la protection des oiseaux. Ce groupe d’îles se situe à environ 4 km à l’ouest du centre de Dakar. Le règlement intérieur du parc interdit la pêche et le mouillage dans le parc national et soumet l’accès à autorisation (Article 10 de l’arrêté n° 7164/PM/DGT du 24 juin 1976 portant règlement intérieur du Parc national de l’île des Madeleines). Le navire se trouvait donc de fait immobilisé dans une zone qui lui était interdite d’accès. Le juge, en assimilant mouillage et naufrage, utilise les moyens issus du règlement intérieur du parc pour sanctionner le fait que le navire ne devait pas être à l’intérieur du périmètre de la zone protégée et pour souligner l’importance de cet espace comme des espèces qui s’y trouvaient.
Par ailleurs, et sans lien avec le lieu du naufrage, un autre point avait certainement poussé les juges à intervenir et à sanctionner les préjudices environnementaux. Il s’agissait des comportements fautifs de l’équipage. En effet, les réquisitions du parquet avaient permis de déceler dans les agissements des membres de l’équipage la violation de nombreuses règles issues de différents textes juridiques. L’accumulation d’infractions avait donc certainement favorisé le choix du juge de sanctionner et d’indemniser les préjudices subis.
La pollution : principal fondement de la responsabilité
La pollution était le principal fondement de la responsabilité utilisé dans ce jugement. Le tribunal s’était basé sur l’article L. 98 du Code de l’environnement qui punit le rejet en mer d’hydrocarbures ou d’autres substances nocives pour l’environnement. Le jugement rappelait la définition de la pollution du milieu marin établie par l’article 1er du même code et se basait sur les analyses réalisées par le Laboratoire d’Analyses et d’Essais de l’Ecole Supérieure Polytechnique de l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar. Ces analyses corroboraient la présence d’hydrocarbures et d’ammoniac en mer. D’ailleurs, les juges sanctionnaient fort logiquement la pollution des eaux par les hydrocarbures, qui avait été aggravée par le choix du capitaine de remplir ses ballasts de gasoil en lieu et place d’eau.
Les juges auraient pu également utiliser d’autres articles du même code, qui interdisent la pollution du milieu marin. Ainsi, les articles L63 et L64 sont aussi relatifs à la pollution des eaux dans les limites territoriales. Or, le navire s’était bien échoué dans les eaux intérieures de l’Etat et la pollution était bien caractérisée. Une référence aurait également pu être faite à l’article R. 56 qui, dans le cadre de la police de l’eau interdit également les rejets polluants.
Malgré la ratification d’un nombre important de conventions internationales relatives à l’environnement et particulièrement à l’environnement marin, les juges n’avaient également pas fait référence à ces traités dans le cadre du jugement.
Par ailleurs ce jugement fournit l’occasion de souligner l’absence de reconnaissance du principe pollueur-payeur dans le droit positif sénégalais. Si l’article L. 26 du Code de l’environnement dispose bien qu’en « cas de pollution constatée par les services compétents du Ministère chargé de l’environnement ou de toute autre structure habilitée, il est procédé à la remise en état des lieux par les soins du ou des pollueurs », son positionnement dans le chapitre des installations classées limite son champ d’application à celles-ci, même si ce n’est pas explicitement mentionné. Le principe pollueur-payeur n’existe donc qu’en ce qui concerne les installations classées et ne s’applique pas en dehors de ce régime particulier, même si dernièrement, on remarque une volonté affichée des autorités publiques de le mettre en place. Ce qui est d’autant plus regrettable que l’article L.4 du Code de l’environnement énonce plusieurs autres principes dont celui de prévention et de précaution.