L’exposition aux particules émises par les activités humaines causerait chaque année, d’après l’Agence européenne pour l’Environnement, près de 400.000 décès prématurés au sein de l’Union européenne dont 50.000 en France. Il n’est plus question, dans les publications scientifiques récentes, de remettre en question la nocivité des polluants atmosphériques tels que les oxydes d’azote, les oxydes de soufre, l’ozone, ainsi que les particules d’un diamètre inférieur à 10 micromètres et autres particules dites « fines ». Mais à l’heure actuelle, le débat concerne la proportion des victimes de cette pollution.
L’étude Européenne menée par l’Institut Max Planck de Chimie a utilisé un modèle statistique jugé plus complet et plus précis s’agissant du lien entre les taux de particules d’un diamètre inférieur à 10 micromètres et l’apparition de maladies cardiovasculaires. Elle a ainsi attribué à la pollution aux particules environ 800.000 décès prématurés au sein de l’Union européenne.
En France, les principales zones concernées par les dépassements fréquents des seuils réglementaires sont connues. La Commission européenne a en effet, dans un premier temps, saisi la Cour de Justice de l’Union européenne dès 2011 à la suite des insuffisances du Gouvernement français à réduire les émissions dans 16 zones.
D’autre part, les associations agrémentées pour la surveillance de la qualité de l’air publient quotidiennement des données relatives aux taux de polluants présents dans l’air des grandes villes. Ces informations sont alors interprétées et donnent lieu à des rapports et recommandations. Les travaux de l’association Respire relatifs à l’exposition des établissements scolaires, publiés en avril 2019, suivi de près par un rapport de l’UNICEF sur le même sujet. Les différents travaux épidémiologiques sur les dangers de la pollution de l’air observent en outre que le respect des seuils d’exposition fixés par l’Union européenne n’est toujours pas assuré.
les études constatent que ces seuils eux-mêmes se révèlent trop peu exigeants pour assurer une protection de la santé humaine suffisante. Les normes proposées par l’OMS depuis le début des années 2.000, parfois 2 à 3 fois plus contraignantes que celles en vigueur sur le territoire de l’Union, seraient au contraire véritablement efficaces et permettraient d’éviter près de 20.000 décès prématurés par an en France.

Les dangers de l’exposition chronique à des taux importants de polluants atmosphériques sont donc aujourd’hui bien connus. Une telle situation, qui ne manque pas de rappeler l’affaire de l’amiante, interroge alors sur les voies judiciaires mises à la disposition du public pour prévenir les risques auxquels ils sont exposés.





En ce qui concerne les normes juridiques relatives à la qualité de l’air, le droit de vivre dans un environnement respectueux de sa santé a acquis une valeur constitutionnelle en figurant à l’article 1 de la Charte de l’environnement a été codifié à l’article L.220-1 du Code de l’environnement reconnaissant le droit à chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé.
La politiques publiques sont dictées par un ensemble de directives européenne relatives à la préservation de la qualité de l’air, notamment la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe est l’une des directives principales adoptées en vue de lutter contre la pollution atmosphérique. Elle impose aux États membres de définir et de mettre en œuvre les mesures de réduction les plus efficaces au niveau local, national et communautaire ainsi que de prendre toutes les mesures nécessaires en vue de respecter les valeurs limites de concentrations prévues pour les substances mentionnées dans son annexe II. Dans certaines zones particulièrement exposées à la pollution atmosphérique, un report de délai de cinq ans était accordé pour atteindre ces valeurs limites, à condition qu’un plan relatif à la qualité de l’air soit établi. De manière générale, l’existence d’une réglementation dense en vue de préserver la qualité de l’air n’est pas en elle-même suffisante pour assurer le respect d’objectifs chiffrés. La volonté politique, concrétisée par des mesures effectives visant à limiter les émissions de polluants atmosphériques, est le pendant indispensable d’une réglementation ambitieuse et un impératif pour la rendre efficace.
Face à l’absence de volonté politique des gouvernements des États membres, le juge joue un rôle important. En effet, dans un arrêt rendu le 19 novembre 2014 sur une saisine de l’organisation ClientEarth, la Cour de Justice de l’Union Européenne a rappelé le rôle du juge dans le contrôle de l’application des Directives européennes transposées en droit interne. Lorsqu’un État membre ne respecte pas les exigences communautaires, la Cour a indiqué qu’il appartient à la juridiction nationale compétente, éventuellement saisie, de prendre, à l’égard de l’autorité nationale, toute mesure nécessaire. Dans cette affaire, les juges anglais avaient été saisis par l’organisation en raison du non-respect par le Royaume-Uni de ses obligations en matière de qualité de l’air résultant de la Directive 2008/50/CE. A la suite de cette décision, les juges anglais se sont prononcés à plusieurs reprises sur la carence du gouvernement anglais.
Finalement, par une décision du 23 février 2018, la High Court of Justice a finalement enjoint le Secrétaire d’État pour l’environnement de compléter le plan relatif à la qualité de l’air proposé, afin qu’il permette de respecter les exigences de la Directive européenne 2008/50 ainsi que la réglementation anglaise en la matière. Le gouvernement anglais n’a pas fait appel de la décision
Suite à cela, les citoyens européens se sont emparés de cette décision pour exercer des recours en carence à l’encontre des Etats membres. En effet ces dernières années, la CJUE a été saisie de plusieurs affaires relatives à la carence d’États membres dans la lutte contre la pollution de l’air. Elle a ainsi constaté le manquement de la Bulgarie et de la Pologne à certaines dispositions de la Directive 2008/50/CE en raison du dépassement systématique et persistant des valeurs limites applicables aux concentrations de PM10 dans plusieurs zones et agglomérations.
A l’issue de la procédure, la CJUE se contente généralement de constater l’existence d’un manquement. Ce constat implique une action de l’État en vue de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour. A défaut, la Commission peut saisir à nouveau la Cour en indiquant le montant de la somme forfaitaire ou de l’astreinte à payer par l’État membre concerné.
Le risque pour un État de ne pas se conformer aux traités européens est donc purement financier. Si aucune sanction n’est intervenue en matière de qualité de l’air, il convient de signaler qu’en 2015, un rapport d’une commission sénatoriale indiquait que le coût total de la pollution de l’air s’établissait entre 68 et 97 milliards d’euros par an pour la France. Ces montants laissent présager une sanction record dans l’hypothèse où la CJUE entrait en voie de condamnation à l’encontre de la France.



En France, le Conseil d’État, saisi par l’association Les Amis de la Terre, a également eu l’occasion de rappeler à l’ordre le gouvernement par une décision du 12 juillet 2017. Le Conseil d’État a ainsi enjoint au Premier ministre et au ministre chargé de l’Environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre, pour chacune des 14 zones concernées par le dépassement des seuils de concentration en particules fines et en dioxyde d’azote, un plan relatif à la qualité de l’air permettant de ramener lesdites concentrations sous les valeurs limites prévues. La Haute juridiction s’est donc prononcée sur la qualité des mesures ayant vocation à mettre en œuvre l’obligation d’élaborer un plan relatif à la qualité de l’air, et non simplement sur l’existence d’un tel plan.
En février 2018, la France a transmis les principaux axes de son plan d’action à la Commission européenne. Les lacunes de ce plan ont rapidement été mises en évidence par un groupe de travail du Sénat qui relevait le caractère hétéroclite des mesures et leurs divergences d’objet, de calendrier et de portée. Ces lacunes ont également été relevées par la Commission européenne qui, le 17 mai 2018, a saisi la Cour de Justice de l’Union européenne d’un recours contre la France pour non-respect des valeurs limites fixées pour le dioxyde d’azote et pour manquement à l’obligation de prendre des mesures appropriées pour écourter le plus possible les périodes de dépassement.
La Commission a ainsi considéré que les mesures adoptées par la France ne constituent pas des « mesures crédibles, efficaces et prises en temps utile pour réduire la pollution ». Le déroulé de la procédure devant le Conseil d’État en matière de qualité de l’air peut être mis en parallèle avec celle engagée devant le Tribunal administratif de Paris le 14 mars 2019 en matière climatique dans le cadre de l’Affaire du siècle. Si le Ministre de la transition écologique, François de Rugy a indiqué en réponse à ce recours qu’il ne relevait pas de la compétence du juge de « forcer le gouvernement à prendre une Loi », l’arrêt ClientEarth de la CJUE cité plus haut indique le contraire.
Une injonction du juge administratif à l’encontre de l’État inciterait à l’accélération des politiques publiques en matière climatique et mettrait un terme à une forme de déni quant à l’imminence du danger.
A défaut de mise en œuvre d’une politique efficace, la France s’expose à une intervention de la Commission européenne, laquelle pourrait saisir la CJUE, à l’instar de la procédure suivie s’agissant de la problématique de la qualité de l’air.




Pour conclure, quelles actions disposent les victimes et de quel préjudice peuvent-elles se prévaloir ?
Au-delà d’une injonction à agir qui peut être sollicitée devant les juridictions administratives, les victimes de l’inaction des pouvoirs publics sont susceptibles d’exercer des recours indemnitaires en vue d’obtenir la réparation de leur préjudice personnel. L’enjeu principal de ces recours est de parvenir à démontrer l’existence d’un lien de causalité entre le manquement constaté et le préjudice subi, ce qui peut s’avérer être un exercice difficile.
Toutefois, la multiplication d’études aux conclusions alarmantes, portant généralement sur des zones localisées et identifiables contribue à instaurer une situation dans laquelle les victimes potentielles pourront se prévaloir d’un préjudice spécifique : le préjudice d’anxiété.
En matière administrative, le Conseil d’État est intervenu pour reconnaître la possibilité d’indemniser les victimes en raison de leur anxiété résultant de l’inaction administrative. S’agissant de l’exposition à l’amiante, le juge administratif a ainsi considéré que « le risque élevé de développer une pathologie grave, et par là-même d’une espérance de vie diminuée » était l’une des causes légitimes d’anxiété en plus du revirement de jurisprudence du 5 avril 2019 affirme que l'indemnisation du préjudice d'anxiété n'est plus réservée aux salariés susceptibles de bénéficier de la préretraite amiante, mais ouverte à tout travailleur exposé à condition qu'il justifie de son préjudice.
S’agissant de la pollution de l’air, dont les effets sont connus depuis plus de trente ans, pourrait ainsi donner lieu à une application de la jurisprudence relative à la reconnaissance du préjudice d’anxiété en matière d’amiante. D’autant plus que la pollution de l’air provoque, d’après l’Agence européenne pour l’environnement et l’organisme Santé Publique France, davantage de décès prématurés par an que l’amiante en a causé.
L’identification des 14 zones en France particulièrement exposées aux risques liés à la pollution atmosphérique pourrait être le pendant de la liste d’établissements prévue en matière d’amiante, et ce bien que la nécessité de l’inscription sur une telle liste afin de se prévaloir du préjudice d’anxiété ait été remise en cause par la Cour de cassation. On peut dès lors imaginer la reconnaissance du préjudice d’anxiété pour les personnes exposées dont, notamment, les parents dont les enfants fréquentent des établissements scolaires situés dans des zones où les concentrations en polluants dans l’air sont visées par des rapports alarmants.