Le 28 décembre 2014 un aéronef de type Airbus A 320, construit en 2008 et transportant, pour le compte de la compagnie aérienne Indonesia Air Asia, cent-cinquante-cinq passagers et sept membres d’équipage, s’est abîmé en mer, provoquant la mort de l’ensemble des personnes présentes à son bord ; que M. X... et soixante-six autres personnes, proches des victimes (les demandeurs), ont assigné en référé, sur le fondement de l’article 809, alinéa 2, du code de procédure civile, la société Airbus, fabricant de l’aéronef, et la société Artus, fabricant du module électronique RTLU équipant l’aéronef accidenté, en paiement d’indemnités provisionnelles.
D’entrée, mettons au crédit des avocats des victimes la distinction faite dans cette affaire entre le producteur et le vendeur en matière de responsabilité du fait des produits défectueux. En ce sens qu’ils ont su identifier qui assigner ou pas. Pour rappel, la cour de justice de l’union européenne (CJUE) dans son arrêt du 10 janvier 2006 (décision rendue contre le Danemark dans sa tentative de faire du fournisseur un co-responsable du producteur) ; a fermement interdit toute confusion entre producteur et fournisseur en matière de responsabilité de plein droit du fait des produits défectueux.
La cour d’appel d'Angers a rejeté leur demande en estimant que l’obligation des coproducteurs respectifs de l’avion et du module à indemniser les proches des victimes (demandeurs), est « sérieusement contestable ». Mieux, elle estime que les producteurs n’avaient pas connaissance de l’absence de fiabilité du module électronique RTLU équipant l’avion accidenté. Et que d’autres causes imputables à d’autres personnes avaient concouru à la réalisation du dommage.
On le voit, il se pose une question relative aux conditions de la responsabilité du fait des produits défectueux du producteur. Les juges du fond ont décidé de ne pas verser de provision car selon eux, le dommage n’est pas imputable au défaut du produit mais à sa seule implication. Par voie de conséquence, la seule implication du produit à la réalisation du dommage ne suffit pas à engager la responsabilité du producteur.
Sur ce point, il a été jugé que la simple imputabilité du dommage au produit incriminé ne permet pas, à elle seule, d’établir son défaut ni le lien de causalité entre ce défaut et le dommage. Pour ce faire, la cour de cassation n’a de cesse rappeler la double preuve du dommage, du défaut et du lien de causalité entre le défaut et le dommage de l’article 1245-8 du code civil qui dispose : « le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage ». (Civile 1ère 27 juin 2018 n° 17 17 469, RTD civ 2018 925, observations Patrice Jourdain.)
En clair, la simple implication du produit dans la réalisation du dommage, ne suffit pas à établir son défaut au sens de l’article 1245-3 du code civil qui dispose : «Un produit est défectueux au sens du présent chapitre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre » (Voir civile. 1re, 29 mai 2013, n° 12-20.903, Dalloz actualité). In fine, Il n'existe donc pas de présomption de défectuosité qui découlerait de l'implication du produit dans la survenance du dommage.
La cour de cassation décide de sanctionner les juges du fond puisque ces derniers font preuve d’une contradiction inouïe. Dans leur raisonnement, les juges du fond estiment à juste titre que la seule implication du module ne suffit pas. Sauf que dans le même temps, ils constatent le défaut de ce produit. Ils se sont tirés une balle dans les pieds. A l’analyse, on constate qu’en réalité ce n’est pas seulement le module qui est impliqué mais aussi sa défectuosité. Donc, la preuve d’un défaut du produit exigée par la loi est rapportée. Car cette défectuosité a bel et bien concouru à la réalisation du dommage. Ainsi, la responsabilité de plein droit du producteur que prévoit l’article 1245 du code civil s’applique sans réserve aucune.

En outre l’intérêt du présent arrêt va au-delà de la question de la défectuosité du produit. Il s’intéresse également aux possibilités d’exonération de la responsabilité du fait des produits défectueux du producteur. Notamment au fait, du tiers ayant concouru à la réalisation du dommage.
La cour d’appel d’Angers, dans son élan de limiter voire d’exclure la responsabilité des coproducteurs, estime que le fait que l’équipage de l’avion ait signalé les dysfonctionnements du module sans respecter la procédure prescrite dans de pareil cas, est de nature à favoriser la survenance du dommage. Autrement dit, la cour d’appel se fonde sur la participation de la compagnie aérienne dans la réalisation du dommage. Conséquence des courses, un partage de responsabilité serait de mise.
La cour de cassation, ne l'entend pas de cette oreille, elle a réagi avec force en rappelant dans son visa les dispositions des articles 1245 du code civil et 1245-13 du même texte. Le premier dispose : « Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.» et le second dispose ce qui suit : « la responsabilité du producteur envers la victime n’est pas réduite par le fait d’un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage ». Pour rappel, outre la prescription décennale, le second cas d’exonération qui fonctionne dans la responsabilité du fait des produits défectueux, est le risque de développement qui consiste à ce qu’au jour de la mise en circulation les connaissances techniques et scientifiques ne permettent pas de déceler la défectuosité du produit (article 1245-10 paragraphe 4).
En décidant ainsi, les juges du fond ont confondu l’obligation de sécurité de résultat d’avec le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux du producteur régi par l’article 1245 du texte susvisé.