La loi grenelle 2 instaure un régime de responsabilité pour faute, intéressant au regard des intérêts environnementaux que ce dispositif entend défendre (I). Pour autant, le nouveau dispositif apparaît, au même titre que le dispositif préventif prévu par la loi, incertain quant aux conditions relatives à sa mise en œuvre (II).

I– Les conditions de mise en jeu de la responsabilité environnementale de la société mère


Le dispositif répressif de la loi Grenelle II, s’inspire en grande partie du mécanisme de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, dont il entend faciliter la mise en oeuvre sur l’initiative du Préfet. Le dispositif envisagé introduit un nouvel article L. 512-17 du Code de l’environnement dans la section commune aux installations classées soumises à autorisation, déclaration ou enregistrement. L'application de ce régime nécessite le respect de certaines conditions de forme (A) et de fond (B).



A– Les conditions de forme de l’action en responsabilité

A titre subsidiaire, il convient de noter que la loi Grenelle II introduit dans le Code de l’environnement, un mécanisme particulier de responsabilité des sociétés mères en matière d’éoliennes. Le dispositif du texte prévoit qu’en cas de défaillance d’une filiale exploitant des installations éoliennes, la société mère sera obligée au démantèlement des machines, ainsi qu’à la remise en état du site d’accueil des éoliennes.

Ce mécanisme de responsabilité n’a que pour seule condition la défaillance de la filiale exploitante, alors que le régime juridique propre aux éoliennes entre dans le champ d’application des mécanismes de responsabilité, également institués par la loi Grenelle II, sur les installations classées, développés ci-dessous. Nul doute que les exploitants d’éoliennes ne manqueront pas de soulever cette incohérence de la loi .

Mais hors ce cadre particulier des éoliennes, la loi Grenelle II institue un second mécanisme ayant pour but de permettre la mise en jeu de la responsabilité des sociétés mères pour les actes de la filiale. Le nouvel article L.512-17 du code de l'environnement permet ainsi d'engager une action en responsabilité pour faute, dans le but de mettre à la charge d'une société mère d'un exploitant d'une ICPE tout ou partie du financement des mesures de remise en état en fin d'activité, ce qui comprend dans une large mesure la plus grande partie des activités industrielles.

Cette prise en charge concerne différents domaines, à savoir le démantèlement des équipements, la réhabilitation du site et les mesures de surveillance environnementales après la cessation d'activité. Ainsi, aux termes de l'article L.512-17 du Code de l'environnement :

« Lorsque l'exploitant est une société filiale au sens de l'article L. 233-1 du code de commerce et qu'une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à son encontre, le liquidateur, le ministère public ou le représentant de l'Etat dans le département peut saisir le tribunal ayant ouvert ou prononcé la liquidation judiciaire pour faire établir l'existence d'une faute caractérisée commise par la société mère qui a contribué à une insuffisance d'actif de la filiale et pour lui demander, lorsqu'une telle faute est établie, de mettre à la charge de la société mère tout ou partie du financement des mesures de remise en état du ou des sites en fin d'activité.

Lorsque la société condamnée dans les conditions prévues au premier alinéa n'est pas en mesure de financer les mesures de remise en état en fin d'activité incombant à sa filiale, l'action mentionnée au premier alinéa peut être engagée à l'encontre de la société dont elle est la filiale au sens du même article L. 233-1 si l'existence d'une faute caractérisée commise par la société mère ayant contribué à une insuffisance d'actif de la filiale est établie. Ces dispositions s'appliquent également à la société dont la société condamnée en application du présent alinéa est la filiale au sens du même article L. 233-1 dès lors que cette dernière société n'est pas en mesure de financer les mesures de remise en état du ou des sites en fin d'activité incombant à sa filiale.

Lorsque l'article L. 514-1 du présent code a été mis en œuvre, les sommes consignées, en application du 1° du I du même article, au titre des mesures de remise en état en fin d'activité, sont déduites des sommes mises à la charge de la société mère en application des alinéas précédents ».

Ainsi, le texte institue certaines conditions préalables nécessaire à l'exercice de l'action en responsabilité contre la société mère.
D'une part, l'action en responsabilité est ouverte en cas de liquidation judiciaire de la filiale exploitante. En effet, L'article L.512-17 du Code de l'environnement ne vise uniquement le cas où une liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à la suite d'une procédure de sauvegarde ou de redressement ou à la suite d'une période d'observation à l’égard de la filiale exploitante de l’installation classée.
La mise en liquidation judiciaire de la filiale est donc la condition essentielle de l'ouverture de l'action instituée par le nouveau dispositif. En d'autres termes, l'action ne semble pas ouverte dans l'hypothèse où des mesures de réhabilitation ou de surveillance devrait être mise en oeuvre après la clôture de la procédure de liquidation judiciaire, c'est à dire lors du délai de prescription trentenaire, faute pour la société exploitant d'exister encore.
Dès lors, il résulte que l'action devra être engagée à compter de l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire. Cette perception semble justifier à la lecture du nouveau dispositif puisque aucun délai de prescription n’est prévu, ce qui justifie l'idée selon laquelle le délai de prescription se matérialise par la période nécessaire à la liquidation judiciaire de la filiale, et prend fin par la clôture de la procédure de liquidation. La loi se distingue alors, sur ce point, de celui de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, laquelle se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.
D'autre part, le Code de l'environnement envisage deux séries de personnes pouvant agir contre la société mère. En premier lieu, l'action peut être ainsi engagée sur l’initiative des organes de la procédure collective, c'est à dire le ministère public et le liquidateur judiciaire, et en cas de carence de ce dernier, la majorité des créanciers nommés contrôleurs. De, même, la loi Grenelle II reconnaît au préfet le pouvoir d'exercer cette action. Cette compétence du préfet est l’aspect le plus intéressant du dispositif, dans la mesure où le droit positif ne lui reconnaissait pas avant cette loi une action propre.
Aussi, pour le cas où l’action serait introduite par le ministère public, le liquidateur ou les créanciers contrôleurs, le préfet sera en mesure de faire valoir les intérêts de l'Etat de manière indirecte. En effet, les mandataires ou administrateurs judiciaires chargés d'un dossier présentant des aspects environnementaux importants, devront prendre directement contact avec les autorités administratives compétentes. Le préfet aura ainsi la possibilité de communiquer l'ensemble des informations nécessaires au liquidateur chargé de l'action en responsabilité.
Enfin, la procédure prévue par le Code de l'environnement devra être engagée devant la juridiction qui a ouvert ou prononcé la liquidation.
Il convient alors désormais d’étudier les conditions de fond relatives à l’action en responsabilité contre la société mère.

B - Les conditions de fond de la mise en jeu de la responsabilité


Comme évoqué précédemment, la procédure instituée par la loi Grenelle II ouvre au liquidateur, ministère public ou au préfet, la possibilité de saisir le tribunal pour faire établir que la société mère de l'exploitant a commis une « faute caractérisée [...] qui a contribué à une insuffisance d'actif de la filiale ».
La loi portant engagement national pour l'environnement, prévoit donc un cas de responsabilité pour faute de la société mère ayant contribué à l'insuffisance d'actif d'une filiale au sens de l'article L.233-1 du Code de commerce en consacrant une nouvelle configuration du droit des installations classées : une personne deviendrait responsable de la remise en état sans être exploitant .


Ainsi, à titre préliminaire, il convient de noter que le Code de commerce adopte principalement une conception juridique du contrôle qu’il associe à la possession de droits de vote : une société est dite contrôlante lorsqu’en vertu de ses pouvoirs politiques, elle est en mesure d’imposer, en droit ou en fait, ses décisions à une autre société. Malgré ses innombrables modalités , un tel contrôle reste relativement identifiable, permettant de fixer objectivement le champ d’une responsabilité.
A ce titre, le Code de commerce distingue en la matière, la prise de participation de la prise de contrôle d'une société côtée, en vue de la soumettre à la déclaration des franchissements de seuils. Il y a prise de participation quand une société détient entre 10 % et 50 % d'une autre . Il y a prise de contrôle et donc existence d'une filiale lorsque la société mère détient le contrôle de l'autre . Cela vise la détention directe ou indirecte de plus de la moitié des droits de vote.
Alors la société qui détient plus de 40% dans le capital d'une autre est présumée exercer ce contrôle, si aucune autre personne n'en détient plus qu'elle.
Ceci étant établi, il apparaît que la conception du contrôle retenue par l’article L.512-17 nouveau apparaît comme étant différente. En effet, elle ne vise que les relations mères-filiales et non les sociétés contrôlées ou les participations. Ainsi, il nous faut déduire que l'article L.512-17 du code de l'environnement, ne permet l'exercice de l'action que « lorsque l'exploitant est une société filiale au sens de l'article L. 233-1 du code de commerce [...] ».
Dès lors, l’action en responsabilité n'est ouverte qu'à l’encontre des sociétés détenant plus de 50 % du capital de la société exploitante faisant l’objet de la procédure de liquidation judiciaire, de sorte que le texte ne couvre pas toutes les sociétés exerçant leur contrôle au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce.
La loi Grenelle II, exclue donc au même titre, les autres situations de contrôle prévues par le Code commerce, l’exercice d’une « influence dominante sur une entreprise », définie par l’article L.233-16 du code de commerce, texte spécial à la consolidation des comptes, permettant de faire apparaître des formes non capitalistique de contrôle, en mettant l’accent sur Il met l’accent sur l’influence économiquement décisive que certaines entités tirent des liens contractuels qu’elles nouent avec des entreprises juridiquement indépendantes.

D'autre part, face aux incertitudes qui étaient présente dans le projet de loi Grenelle II, qui permettait aisé à contourner dans sa version initiale, via la constitution de sociétés « écran », la loi Grenelle II permet de faire établir, dans des conditions identiques à l'action directe contre la société mère, la responsabilité de la société mère de second rang nommée « grand-mère », voire la société mère de troisième rang (« l'arrière grand mère »). Ce processus est destiné à pouvoir permettre la remontée de la chaîne de contrôle du groupe de société pour rechercher les responsables et le financement des mesures de dépollution.
Il est dès lors théoriquement possible, d'engager une action en responsabilité « à double détente » contre la société contrôlant la société-mère, si cette dernière n’est elle-même pas en mesure de financer les mesures de remise en état incombant à sa filiale. En pratique toutefois, un tel ajout ne permet cependant pas de résoudre totalement la difficulté. En effet, là encore, une détention de plus de 50 % reste exigée. De même, en renvoyant à la société mère de la seule « société condamnée », la loi exclut une extension du dispositif au-delà de ce périmètre. En pratique, le dispositif ne permet pas, en l’état, de rechercher la responsabilité de «l’arrière-grand-mère» (voire d'ailleurs de la grand-mère).
Quoi qu'il en soit, il apparaît clairement que les conditions de cette action nous montrent la loi Grenelle II, en ne faisant référence qu'au seul contrôle en capital et de droit, ne prend pas en compte la différence entre plusieurs types de holdings, celles qui n’ont aucune perspective patrimoniale, et celles qui, dotées d’une stratégie entrepreneuriale, et qui ont à ce titre la volonté de dicter la politique du groupe. D’une forme à l’autre, l’unité de direction varie, sans compter que la participation financière de la mère au sein de la filiale n’exclut pas d’autres liaisons avec d’autres mères, sans qu'il y ait forcément un contrôle au sens de l'article L.233-1 du Code de commerce.
Quoi qu'il en soit, pour engager la responsabilité de la société mère, encore faut-il qu'une « faute caractérisée » soit démontrée, la qualification de la faute venant ici subordonner la responsabilité éventuelle. En effet, la société mère (ou les sociétés contrôlantes), ne peuvent être tenus de combler le passif social que s’il est démontré qu'ils ont commis une faute caractérisée ayant contribué à l’insuffisance d’actif.
Il résulte de la notion de « faute caractérisée », qu'il est difficile de cerner avec précision ce que recouvre le concept. Il est clair que la dette de dépollution ne doit pas être mise à la charge en cas d'une simple faute légère de la société mère. Il ne nous semble d’ailleurs pas que le législateur ait voulu créer une nouvelle définition de la faute, mais a plutôt voulu emprunter à des notions existantes. Il en ressort que la « faute caractérisée » , selon les travaux parlementaires, doit s'entendre comme une faute se situant entre la faute simple et la faute intentionnelle. Il n'est donc pas nécessaire de prouver une intention fautive de l'auteur, mais simplement apporter la preuve que la société mère à contribué à l'insuffisance d'actif de la filiale exploitante, sans d'ailleurs en être la cause exclusive.
En d'autres termes, toute faute caractérisée, imprudence ou négligence présentant un certain degré de gravité peut entraîner la mise en cause de la responsabilité de la société mère. L’exigence d’une faute de la société mère ayant contribué à une insuffisance d’actif de sa filiale suppose de rapporter la preuve que la société mère a en agissant, réduit les actifs de la filiale de telle sorte que celle-ci s’est trouvée dans l’impossibilité de subvenir à ses coûts de fonctionnement et d’assurer le paiement de ses dettes. Toutefois, il ne semble pas concevable d'envisager que la faute caractérisée puisse être retenue dans le cas où la société mère s'est abstenue d'agir, la jurisprudence du 26 mars 2008 précitée, devant à notre sens continuée à s'appliquer, dans le respect de l'autonomie juridique de la filiale, la société mère n'étant pas tenue de financier, en l'absence de faute de sa part ou de transmission de la branche d'activité sans fond suffisant, le passif de la filiale.
Dès lors, toute société mère détenant un contrôle de droit de sa filiale, devra rédiger rigoureusement le traité d’apport de la branche d’activité polluante, tout en gardant un esprit de mesure dans l’exclusion de certains biens apportés à la filiale. En effet, la faute caractérisée nous semble pouvoir aisément être constituée pour le cas où la société mère constitué une filiale sans fonds propres suffisant ou, pour le cas où la société mère aurait laissé chuter sa filiale, après lui avoir transmis la branche d’activité polluante .
Pour autant, il n’est pas certain que le dispositif répressif de la loi Grenelle II œuvre véritablement à une réparation pleine et entière des atteintes à l’environnement apparues dans le cadre de l’activité d’une ICPE. En effet, certains doutes existent aujourd’hui quant à son effectivité.








I– Une mise en œuvre limitée du dispositif répressif


Si le dispositif institué par la loi Grenelle II pose certaines questions quant à l’effectivité de sa mise en œuvre, c’est notamment parce qu’il prend largement appui sur une procédure déjà prévue par le droit des procédures collectives (A), et qu’il présente de véritables doutes quant à la sanction de la faute pouvant être reprochée à une société mère. (B)




A –Un double emploi du dispositif avec l’action en insuffisance d’actif

Il est certain que la volonté du législateur de ne pas permettre à une société mère fautive d'échapper à sa responsabilité en matière environnementale, via le recours abusif à des filiales incapables de faire face à leurs engagements, est louable.
Cette volonté tire ses sources dans les circonstances de l'affaire Metaleurop qui avait abandonné son site sans satisfaire à ses obligations de dépollution. La haute juridiction avait à cette occasion fait observer, de manière inhabituelle, que certains comportements de la société mère à l'égard de la filiale pouvaient être de nature à constituer des fautes de gestion propres à créer une insuffisance d'actif chez la filiale.
Autrement dit, la Cour de cassation avait clairement suggéré que dans le cas où la dépollution des sites ne peut pas être prise en charge par la filiale en raison d'une insuffisance d'actif provoquée par la faute de gestion de la société mère, la voie de l'action en comblement de passif, devenue action en insuffisance d'actif pouvait être mis en oeuvre.
Dès lors, la création par la loi Grenelle II d'une nouvelle action en responsabilité contre la société mère peut apparaître surprenante. En effet, la création de cette nouvelle procédure semble ne pas être compatible avec l'action en insuffisance d'actifs, ne serait-ce qu’en raison d’un risque de double emploi des deux régimes de responsabilité.
D'ailleurs, comme évoquée précédemment, il apparaît surprenant, qu'après avoir supprimé l'action en obligation aux dettes sociales par l'ordonnance du 18 décembre 2008 , au motif que son utilisation interférait avec celle de l'action en insuffisance d'actif, le législateur institue une nouvelle fois une action ayant la même finalité, à savoir la condamnation de la société mère ayant commis une faute de gestion (ou faute caractérisée pour la loi Grenelle II) contribuant à l'insuffisance d'actif de la filiale.
Quoi qu'il en soit, le risque de conflit entre l'action en insuffisance d'actif et celle de l'action en responsabilité de l'article L.512-17 du Code de l'environnement, est patent, la loi Grenelle II ne contenant aucune interdiction d'utiliser les deux voies simultanément. La société mère est dés lors exposée à deux procédures distinctes, comme le soulève à juste titre la CCIP , redoutant à cet égard des « interférences malheureuses ».
D’ailleurs, force est de constater que le texte de la loi Grenelle II s'inspire largement de celui qui a servi à l'élaboration de l'article L.651-2 du code de commerce relatif à la responsabilité pour insuffisance d'actif, celui-ci disposant que :
"Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables".
Dès lors, comment concilier les pouvoirs du préfet au titre de la loi Grenelle II avec les pouvoirs reconnus dans la procédure collective au Ministère public, autorité de saisine du tribunal dans l'action en insuffisance d'actif ?
Il n'était donc clairement pas souhaitable qu'un article du Code de l'environnement, extérieur donc au code de commerce, vienne interférer avec les dispositions du droit des entreprises en difficulté pour créer un nouveau pouvoir de saisine des tribunaux de commerce, qui plus est en matière de sanctions. Cette anomalie est d'autant plus problématique que, comme précédemment évoqué, les mandataires judiciaires qui sont amenés à connaître d'un dossier dont les aspects environnementaux sont importants prennent immédiatement contact avec les autorités compétentes en la matière et notamment, au niveau local, avec le préfet. Le préfet a ainsi la possibilité dans les faits, de communiquer toute information utile au liquidateur judiciaire et au ministère public, que le Code de commerce désignent comme compétents pour saisir le tribunal d'une action en responsabilité.
En définitive, et même si les objectifs poursuivis par le projet sont louables, son adoption est incompatible avec le droit des procédures collectives, cela d'autant plus que l'analyse du droit positif montre que le résultat escompté peut, en pratique, être atteint sur le fondement de l’action en insuffisance d’actif.



B – Une sanction incertaine

Comme évoqué précédemment, l’action en responsabilité prévue par la loi Grenelle II n'est ouverte qu'à l’encontre des sociétés détenant plus de 50 % du capital de la société exploitante faisant l’objet de la procédure de liquidation judiciaire, de sorte que le texte ne couvre pas toutes les sociétés exerçant leur contrôle au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce.
Cette même exigence est posée quant à l’action à l’encontre des sociétés contrôlant la société mère. Dès lors, il apparaît évident que le régime de la responsabilité va se heurter au jeu des participations croisées au sein des groupes de sociétés. D’ailleurs, il convient de noter à cet effet, que les « cessions de contrôle », ainsi que les « cession massive de droit sociaux » (selon l’importance des actions cédées) d’une filiale exploitant une ICPE, bien que représentatives d'un changement de contrôle sur l'entreprise, ne donne pas lieu à une information à l'égard de l'administration.
En effet, le code de l'environnement ne prévoit aucune information du préfet en cas de changements dans le contrôle des sociétés exploitant une ICPE, qu’elles soient soumises à déclaration, enregistrement ou autorisation, d’ailleurs à juste titre puisque l'obligation d'informer le préfet ne joue qu'en cas de changement d'exploitant d'une ICPE. Or la cession de contrôle ne constitue pas juridiquement une modification de la personne morale détentrice de l'ICPE, entraînant l'information du préfet .
Bien que l’administration exige une nouvelle déclaration ou une nouvelle autorisation en cas de modification entraînant un changement notable de la part de l'exploitant initial ou du nouvel exploitant, puisque le code de l’environnement prévoit que :
- « Toute modification apportée à l'installation, à son mode d'exploitation ou à son voisinage, entraînant un changement notable des éléments du dossier », doit donner lieu à une nouvelle déclaration ».
- « Toute modification apportée par le demandeur à l'installation, à son mode d'utilisation ou à son voisinage, et de nature à entraîner un changement notable des éléments du dossier » doit être portée à la connaissance de l'administration et donner lieu à une nouvelle autorisation ».

en faisant référence à l'installation et non à l'exploitant, ce texte ne vise que les changements matériels, c’est à dire les changements dans les modalités pratiques et techniques, apportés à l'installation elle-même, et non aux changements dans la structure juridique de la société .
Il sera alors aisé de céder les droits sociaux de la filiale à diverses sociétés membres du groupe, afin d’échapper aux conditions de mise en œuvre de la responsabilité prévue par la loi Grenelle II.


D’autre part, il apparaît à la lecture de la loi, une restriction importante quant aux conséquences de l'action, qui ne pourra entraîner que la condamnation de la société mère à financer « tout ou partie » du financement des mesures de remise en état.
Cette condamnation sera exclusivement financière et la société mère ne pourra être obligée à prendre des mesures pratiques elle-même, la loi n'ayant pas pour objet de substituer la société mère dans l’exécution des mesures de remise en état, qui restent à la charge de la filiale et, plus précisément, du liquidateur, même si, en pratique, ce dernier ne sera pas en mesure de les mettre en oeuvre.
De même, et là est le point principal de l'incertitude de la condamnation de la société mère, la loi ne précise en rien les conditions dans lesquelles la prise en charge financière sera opérée. Deux conceptions sont alors envisageables :
- Soit l'action introduite par la loi Grenelle II présente les mêmes effets que l'action en insuffisance d'actif, permettant une prise en charge est indirecte des obligations de remise en état. Les sommes allouées entrent alors dans le patrimoine du débiteur et sont réparties, selon les privilèges et à proportion de chaque créance, à chaque créancier dans la procédure collective.
- Soit, le versement des sommes recouvrées irait directement dans les mains du trésor public qui, les affecteraient à la société chargée de l’exécution d’office des travaux sur le fondement de l’article L. 514-1 du Code de l’environnement.
Ici réapparaît alors le débat sur la valeur de la créance environnementale, à savoir si la créance résultant de l’arrêté de consignation doit bénéficier du régime de paiement à l’échéance et du privilège institué par l’article L. 622-17 du Code de commerce.
L'enjeu est de taille, puisque si les sommes versées sont destinées directement au règlement de la créance environnementale, cette dernière obtiendrait de fait un caractère « super-privilégié », aux dépens des autres créanciers de la procédure.
Bien qu'une certaine conscience écologique nous pousserait à dire que les montants recouvrés auprès de la société mère soient effectivement affectés à la créance environnementale, il n'est pas concevable de léser les intérêts des autres créanciers, ceux-ci pouvant valablement exiger que les sommes versées par la société mère entrent dans le patrimoine de la filiale et soient réparties entre tous les créanciers en proportion de leurs créances .
Dès lors, si le choix du législateur se porte sur l’affectation des sommes au paiement de la créance environnementale, une situation causasse risquerait de se présenter. En effet, la société mère serait exposée à un double paiement :
- le paiement de la créance environnementale au titre de l'action en responsabilité de la loi Grenelle II.
- le paiement aux autres créanciers de leurs créances du fait de l’exercice d’une action en responsabilité pour insuffisance d'actif .

Le dispositif nous apparaît dès lors improbable sur ce point, puisque sauf à à rompre avec le droit antérieur à la loi Grenelle II, il est difficile de comprendre en quoi la créance issue de l’arrêté de consignation entrerait dans cette catégorie.
Quoi qu’il en soit, la loi Grenelle II prévoit certains mécanismes qui pourront quant à eux rassurer les sociétés mères. Ainsi, le juge devra prendre en considération dans la fixation du montant des sommes mises à la charge de la société mère, les sommes induites par la cessation d'activité, et part le cadre des obligations imposées à la filiale elle-même. De même, la loi met en place un mécanisme de «déduction» dont les modalités de mise en oeuvre seront précisées par les décrets d'application. En effet, lorsque la procédure mentionnée à l’article L. 514-1 du Code de l’environnement a été mise en oeuvre, les sommes consignées en application de cet article seront déduites des sommes mises à la charge de la société mère.

La question reste alors entière de savoir quelle sera l'effectivité de la loi Grenelle II au regard de la possibilité d'engager la responsabilité de la société mère, et quel sera véritablement le risque encouru par la société mère. Ce dispositif introduit plus de doutes que de certitudes, et remet en avant l'idée selon laquelle d'autres pistes doivent être envisagées.



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