Face aux nombreuses incertitudes liées au règlement d’un passif environnemental d’une filiale, il convient de définir de nouveaux concepts propres à satisfaire à la fois les intérêts écologiques, et les intérêts propres aux groupes de sociétés, sans pour autant renier le principe d’autonomie propre à chaque membre d’un groupe.

Cette réponse à la prise en charge du passif environnemental de la filiale exploitant se trouvera sans aucun doute dans les principes du droit des affaires lui-même. Les pistes d’évolution pourront être dégagées par une évolution constante de la prise en charge du risque environnemental par des mécanismes de financement de la créance environnementale adaptés.

A ce titre, il est une innovation qui pourrait permettre la prise en charge volontaire du passif environnemental d’une filiale, sans toutefois présenter un risque financier et un coût trop important pour une société mère.

Deux hypothèses sont ici visées :

- celle où une société mère s’engagerait à prendre à sa charge le passif environnemental de sa filiale
- celle où une société mère serait condamnée au paiement de tout ou partie du passif environnemental de sa filiale.

Il convient alors ici d’envisager une hypothèse permettant le financement à un coût quasiment nul pour la société mère, et préservant en même temps les intérêts liés à l’environnement. C’est l’objectif du développement d’un concept que nous dénommerons « la défaisance environnementale ».

Il convient alors de définir en quoi consistent les opérations de défaisance.

La défaisance est une technique financière largement utilisée aux Etats-Unis qui peut se définir comme un montage financier permettant de sortir une dette du bilan. Le mécanisme consiste pour la société y recourant, en la constitution d’un portefeuille d’actifs financiers dont elle confie la gestion, ainsi que celle de la dette à un « trust » qui, grâce aux intérêts secrétés par le portefeuille, assure le service de la dette. La dette et le portefeuille d’actifs transférés au trust n’apparaissent dès lors plus au bilan de la société.

Cette opération, selon la définition du Conseil National de la Comptabilité, se présente comme une « technique d’ingénierie financière qui permet à une entreprise donnée d’atteindre un résultat équivalent à l’extinction d’une dette figurant au passif de son bilan par le transfert de titres à une entité juridique distincte qui sera chargée du service de la dette ».

La défaisance constitue alors comme un moyen relativement simple d'éliminer un engagement constituant un passif lourd pour l'entreprise. Elle répond donc à plusieurs objectifs, à savoir, éliminer une dette du bilan, assainir les comptes d'une société, sans pour autant rompre les engagements envers les créanciers, ni procéder au paiement direct de la dette.
Comment une opération de défaisance se met elle en place ?

Afin d'éliminer une dette obligataire du bilan, un portefeuille d'actifs est constitué ; il engendre des flux de liquidités dont les montants doivent être identiques à ceux de la dette et suivre un même échéancier. Les encaissements provenant du portefeuille doivent ainsi couvrir très exactement les décaissements liés au service de la dette ; il s'agit donc d'un adossement entre un actif et un passif à taux fixes. L’objectif de ce trust est donc tout simplement de régler la dette avec l’ensemble des produits du portefeuille.
Selon l'avis du Conseil national de la comptabilité (CNC), pour que ce mécanisme fonctionne, le portefeuille doit être composé de titres exempts de risques relatifs à leur montant, à leur échéance et au paiement des annuités, comme c'est le cas, par exemple, avec les obligations d'État ou les obligations garanties par lui.
En d’autres termes, le portefeuille doit répondre à trois exigences, à savoir :

- il doit être exempt de risque
- son flux de liquidités doit impérativement avoir des montants identiques à ceux de la dette, c’est à dire que les flux positifs du portefeuille doivent compenser exactement les flux négatifs de la dette et l’ensemble ainsi constitué par la dette et le portefeuille doit avoir la capacité de fonctionner de façon autonome.
- il doit avoir le même échéancier que la dette.

Le principal problème réside alors dans le choix des emprunts d'État, où il sera nécessaire de combiner de manière optimale les différents produits existant sur le marché.

La finalité de la structure d'accueil (le trust) est de rembourser la dette à l'aide de la trésorerie dégagée par le portefeuille. Le montage portefeuille - dette doit fonctionner de façon autonome. La réalisation de l'opération de défaisance entraîne à ce titre une conséquence juridique importante : la société qui allège son bilan continue d'être tenue à l'égard des obligataires.

La défaisance n'a pas pour effet d'éteindre la dette à la suite de son transfert à la structure d'accueil ; l'opération ne réalise qu'un transfert imparfait de dette. Si la société émettrice est totalement déchargée du service de l'emprunt, elle n'en perd pas pour autant sa qualité de débitrice, celle-ci n’ayant juste délégué la gestion de l'emprunt.

Toutefois, le problème tient au fait que le droit français ne connaît pas l'existence du trust à ce jour, et n’a fait que créer, une institution imitant le mécanisme du Trust, tout en l’encadrant fortement.

En effet, la loi n°2007-211 du 19 février 2007 a introduit dans le code civil l’institution de la fiducie.

L’idée consiste à permettre à une personne, appelée le constituant (ou le fiduciant), de transférer par un contrat la propriété de tout types de biens ou de droit à une autre personne, appelée le fiduciaire, dans un but défini par le contrat et au profit d’un bénéficiaire, qui peut d’ailleurs être le constituant ou le fiduciaire, ou bien encore un tiers.

En pratique, la fiducie peut être utilisée dans un but de gestion (la fiducie-gestion) et/ou de garantie (fiducie-sûreté). C’est au mécanisme de la fiducie gestion que nous nous intéresserons. Dans le cadre d’une fiducie gestion, le fiduciaire se voit transférer pour la durée contractuellement prévue, et dans la limite de 33 ans, la propriété de biens qu’il s’engage à gérer pour le compte du constituant, alors désigné comme bénéficiaire, ou d’une autre personne bénéficiaire.

L’élément essentiel de ce contrat réside dans la mise en place d’une propriété fiduciaire distincte à la fois des biens du constituant et de ceux du fiduciaire, bien que ce dernier en soit titulaire. Il est donc créé un véritable « patrimoine d’affectation ».

Ce patrimoine, bien que détenu par le fiduciaire comme le dispose l’article 2011 du Code civil, échappe aux créanciers personnels de celui-ci. Il ne peut être saisi que par les titulaires des créances nées de sa conservation et de sa gestion . Il échappe donc aux créanciers personnels du constituant.

Le patrimoine d’affectation ainsi isolé, présente la particularité de répondre à une finalité spécifique, qui est définie par les parties d’un commun accord. Les prérogatives dont bénéficie le fiduciaire sur les biens ne sont alors pas les mêmes qu’un propriétaire de plein droit, bien que la propriété lui soit reconnue, car il devra, selon les termes du contrat de fiducie les transférer soit au bénéficiaire, soit au constituant. C’est la raison pour laquelle cette propriété est limitée à une durée de 33 ans maximum .

Les parties disposent alors d’une grande liberté dans la détermination du but de la fiducie, malgré le fait que la fiducie soit un mécanisme strictement encadré. En effet, la fiducie ne peut à peine de nullité procéder, au sens de l’article 2013 du Code civil, à une « intention libérale au profit du bénéficiaire. Aussi, contrairement au Trust anglo-saxon, la fiducie ne peut être un outil de transmission à titre gratuit.

En ce qui concerne les conditions de forme, l’article 2012 du Code civil exige que la fiducie soit établie par l’intermédiaire soit d’un contrat ou par la loi. (malgré le fait que la loi ne constitue pas à proprement parler une source de la fiducie, seule le contrat pouvant être à l’origine du transfert de propriété).

En ce qui concerne les conditions de fond, le législateur pose un certain nombre de contraintes quant à la qualité des parties. La fiducie est ouverte à toute personne physique ou morale, commerçant ou non commerçant, pourvu qu’elle soit juridiquement capable.

Il convient alors de se demander dans quelle mesure l’institution de la fiducie, permettrait elle de transférer une dette environnementale (prise par l’engagement volontaire de la société mère ou condamnation suite à une faute de gestion), avec un portefeuille d’obligations d’état, destiné à en assurer le règlement. Il convient alors de s’interroger sur les conditions de mise en œuvre de la fiducie.

Il convient tout d’abord de rappeler que fiducie est définie par l’article 2011 du Code civil comme « l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires ».

De même, l’article 12 de la loi du 19 février 2007 prévoit dans son paragraphe 1 que « les éléments d’actif et de passif transférés dans le cadre de l’opération mentionnée à l’article 2011 du Code civil forment un patrimoine d’affectation ».

Il résulte alors des textes, qu’il est possible de transférer des éléments de passifs à un fiduciaire, à la condition expresse que la transmission fiduciaire ne soit pas uniquement constituée de passif . Il est dès lors parfaitement concevable d’envisager la défaisance d’une dette environnementale.

D’ores et déjà, il est à remarquer que le mécanisme de la fiducie a été inauguré pour la première fois avec la présence indirecte des pouvoirs publics. Il s’agissait de deux fiducies sûretés, impliquant pour la première Gaz de France (le constituant) et la caisse des dépôts et consignations (le fiduciaire), pour garantir certains engagements au profit des salariés de GDF (les bénéficiaire). Pour le deuxième exemple, il s’agissait d’une société en difficulté et débitrice d’une dette fiscale (le constituant), la banque Natixis (le fiduciaire) et l’état (bénéficiaire). Cet élément renforce d’autant plus le rôle que la fiducie peut jouer avec pour acteur les pouvoirs publics.

Ainsi, la fiducie gestion de la dette environnementale permettrait d’obtenir le financement et la gestion des coûts de démantèlement ou encore l’ensemble des obligations de remise en état d’un site pollué et les obligations en découlant (surveillance).
Cette opération est intéressante, puisqu’elle conduit à une opération pouvant être comptablement qualifiée de « neutre » pour la société mère.

Qui serait alors chargé de la gestion de la dette environnementale ?

Le fiduciaire, aux termes de l’article 2015 du Code civil, ne peut être qu’un établissement de crédit, une entreprise d’investissement ou d’assurance, le trésor, la banque de France, ou la caisse des dépôts. La loi ne pose en revanche aucune condition par rapport à la qualité du bénéficiaire. Ceci étant, le fiduciaire ou le constituant peuvent être le bénéficiaire ou l’un des bénéficiaires au contrat de fiducie .
En l’état du droit positif, il est dès lors concevable d’envisager que le trésor puisse se constituer en la qualité de fiduciaire, afin d’assurer la gestion de la dette environnementale. Toutefois, il serait intéressant d’envisager la possibilité pour l’ADEME, voire le Préfet de se constituer fiduciaire de l’opération.

La qualité de fiduciaire « spécialisé » revêtu par ces deux organes répondrait mieux à une gestion optimale de la dette environnementale. Cette idée est d’ailleurs concevable, puisque le champ restreint des personnes habilitées à revêtir la qualité de fiduciaire est lié à la capacité financière de ces personnes.

L’Ademe et le Préfet seraient dès lors aptes à se constituer en la qualité de fiduciaire.
De même, la société filiale sera alors désignée « bénéficiaire » de l’opération de fiducie. Il est à noter qu’en pratique, cette opération permettra dans une large mesure de faciliter la sauvegarde ou le redressement de la filiale soumise à la procédure collective.

En effet, comme nous l’avons déjà souligné, la cessation d’activité de la filiale exploitante, et l’apparition de la créance environnementale qui en est la conséquence, peut être parfois la source des difficultés financières, entraînant la filiale dans la procédure collective.

Ce mécanismes constituerait alors à notre sens le meilleur moyen permettant d’éviter le développement des cas de défaillances, et donc la recherche de la responsabilité environnementale des sociétés mères.


- LAMY ENVIRONNEMENT, Installations classées 2009

- LEFEBVRE F., Mémento pratique « groupes de sociétés »2009

- LEFEBVRE F., Mémento pratique « sociétés commerciales »2010

- JACQUEMONT A. Droit des procédures collectives, 6ème ed., Litec 2010

- RAIMBOURG Ph. Et BOIZARD M., Ingénierie financière, fiscale et juridique, 2009-2010. ed.Dalloz ;