
La responsabilité environnementale des sociétés mères au travers du dispositif préventif institué par la Loi Grenelle II
Par Pierre Alexandre de MAUREY
Responsable du pole juridique
Aeroport de Paris-le Bourget
Posté le: 19/09/2010 18:47
I– Les conditions tenant à la prise en charge volontaire du passif environnemental de la filiale
D’une part, la loi fait apparaître que le régime institué de prise en charge volontaire par la société mère des obligations incombant à sa filiale entre dans un cadre strict. La loi définit expressément la nature des obligations pouvant être pris en charge, ainsi que les critères de l’engagement de la société mère.
A – La nature des obligations de dépollution prévue par le dispositif
La loi «Grenelle 2 » institue un mécanisme dit de « prévention » ayant vocation à permettre la prise en charge volontaire, par les sociétés mères, ainsi que les actionnaires, des obligations incombant à leurs filiales au titre de la loi du 1er août 2008.
Selon les termes de la loi du 13 juillet 2010 publié au journal officiel, il est introduit au travers de l'article 227 de la loi, un nouvel article L. 233-5-1 dans le Code de commerce rédigé en ces termes :
« La décision par laquelle une société qui possède plus de la moitié du capital d'une autre société au sens de l'article L. 233-1, qui détient une participation au sens de l'article L. 233-2 ou qui exerce le contrôle sur une société au sens de l'article L. 233-3 s'engage à prendre à sa charge, en cas de défaillance de la société qui lui est liée, tout ou partie des obligations de prévention et de réparation qui incombent à cette dernière en application des articles L. 162-1 à L. 162-9 du code de l'environnement est soumise, selon la forme de la société, à la procédure mentionnée aux articles L. 223-19, L. 225-38, L. 225-86, L. 226-10 ou L. 227-10 du présent code ».
La nature des obligations pouvant être prises en charge par une société actionnaire de la filiale défaillante sont donc définies par référence à la loi du 1er août 2008 sur la responsabilité environnementale .
Il ne s'agit alors que d'engagements pris dans le cadre de la police administrative instituée par ce texte qui met à la charge des acteurs économiques, dénommés les exploitants, certaines obligations lorsque leur activité est à l'origine d'une menace imminente de dommage (mesures de préventions) ou lorsqu'il a été effectivement causé un dommage à l'environnement (mesures de réparation). Il convient alors de préciser les obligations que recouvre cette loi.
A cet effet, il convient de préciser que la loi du 1er août 2008, et son décret d'application , consacrent la notion de « préjudice écologique », faisant l'objet d'une dénomination commune de « dommage causé à l'environnement » aux termes de l'article L.161-1 du Code de l'environnement. Cet article définit le dommage écologique comme étant une détérioration directe ou indirecte mesurable de l'environnement répondant à certains critères ou une menace imminente de dommage.
Sont ainsi compris dans cette définition :
« Les détériorations directes ou indirectes mesurables de l'environnement qui :
1° Créent un risque d'atteinte grave à la santé humaine du fait de la contamination des sols résultant de l'introduction directe ou indirecte, en surface ou dans le sol, de substances, préparations, organismes ou micro-organismes;
2° Affectent gravement l'état écologique, chimique ou quantitatif ou le potentiel écologique des eaux, à l'exception des cas prévus au VII de l'article L. 212-1 du Code de l'environnement
3° Affectent gravement le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation favorable :
a) Des espèces visées au 2 de l'article 4, à l'annexe I de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages et aux annexes II et IV de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage;
b) Des habitats des espèces visées au 2 de l'article 4, à l'annexe I de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, précitée et à l'annexe II de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, précitée ainsi que des habitats naturels énumérés à l'annexe I de la même directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992 ;
c) Des sites de reproduction et des aires de repos des espèces énumérées à l'annexe IV de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, précitée ;
4° Affectent les services écologiques, c'est-à-dire les fonctions assurées par les sols, les eaux et les espèces et habitats mentionnés au 3° au bénéfice d'une de ces ressources naturelles ou au bénéfice du public, à l'exclusion des services rendus au public par des aménagements réalisés par l'exploitant ou le propriétaire. »
Dès lors, l'engagement susceptible d’être pris par une société mère peut être extrêmement lourd, puisque les articles L.162-1 à L.162-9 du Code de l'environnement, visés par le texte de la loi Grenelle II s'appliquent en cas de dommages causés à l'environnement en raison des activités professionnelles exercées par un exploitant au sens de la loi du 1er août 2008 (définit précédemment), et notamment les activités industrielles soumises à la directive IPPC et la gestion des déchets , ainsi que les dommages aux espèces et habitats protégés , causés par des activités professionnelles autres que celles visées précédemment.
De même, l’étendue de l’opération peut s’avérer très onéreuse, l'article L.162-9 du Code de l'environnement prévoyant qu'en cas de dommage affectant les eaux ou les espèces et habitats, « [le rétablissement de] ces ressources naturelles et leurs services écologiques dans leur état initial ». Il en résulte que l’importance de la charge financière invite les sociétés mères à avoir une pleine conscience des enjeux de la prise en charge volontaire du passif environnemental de leurs filiales.
Mais quoi qu’il en soit, cette définition donnée par la loi Grenelle II nous invite alors à nous interroger sur le sort des obligations n’entrant pas dans le champ d’application de la loi du 1er août 2008. Doit-on considérer que cette référence prive une société mère de la faculté de prendre à sa charge les obligations n'entrant pas dans le champ des articles L. 162-1 à L.162-9 du Code de l'environnement ?
La réponse est assurément négative, puisque la jurisprudence a à de nombreuses occasions souligné la valeur juridique d'un engagement unilatéral pris par une société mère en vue du financement des atteintes à l’environnement causés par sa filiale, notamment en matière d’ICPE . D’ailleurs, l'exemple de l'affaire de la décharge de Montachanin illustre cette faculté, puisque la Cour de cassation ne reproche pas à la société mère d'avoir soutenu sa filiale dans le cadre de la réhabilitation des sols pollués de la décharge.
En conséquence, il nous faut déduire que le texte n'empêche en rien l'ensemble des autres engagements volontaires d'une société mère ou actionnaire, qui peuvent, à leur convenance, développer une politique de RSE, y compris en ce qui concerne les obligations découlant de la police des ICPE, des déchets ou de l'eau. Le droit des obligations au travers de l'article 1371 du Code civil, et les règles de la publicité mensongère, donnant un véritable effet juridique à un tel engagement, nonobstant le fait que ces engagements soient pris envers les pouvoirs publics .
Il convient alors désormais de voir les critères tenant à la prise en charge volontaire par une société actionnaire du passif environnemental d'une filiale défaillante.
B – Les critères de l’engagement de la société actionnaire
C'est vers la liberté laissée aux sociétés mères et aux actionnaires du groupe de sociétés, de soutenir volontairement une filiale confrontée à un passif environnemental important, que la loi Grenelle II s'est orientée. Cette démarche semble répondre aux nouvelles normes de gouvernance, et notamment au développement d'une politique de RSE au sein d'un groupe de sociétés. C'est d'ailleurs en ce sens que les travaux du groupe de travail n°5 de la loi tendaient, l'objectif étant de « construire une démocratie écologique », et soulignant que beaucoup pourrait être fait pour l'environnement « sous la forme d'engagements volontaires ».
A titre linéaire, il convient de souligner que la loi Grenelle II n’impose pas une obligation particulière pour les actionnaires. Il s'agit ici de présenter ici une forme de responsabilité environnementale, mais directement voulue par la société mère.
Toutefois, il convient de relativiser cette affirmation car force est de constater qu’en pratique, il se pourrait que cet engagement soit demandé par des tiers. C'est notamment le cas pour une banque ou l'assureur (notamment si les polices d'assurances sont conclues au niveau du groupe de sociétés) pourront exiger vis à vis de la société filiale une garantie spécifique de la mère. Quoi qu'il en soit, il convient donc dans un premier temps d'en présenter les conditions au regard des dispositions de la loi Grenelle II.
Tout d'abord, le texte définit les personnes susceptibles de pouvoir pourvoir au passif environnemental de la société filiale.
Selon le nouvel article article L. 233-5-1 du Code de commerce :
« La décision par laquelle une société qui possède plus de la moitié du capital d'une autre société au sens de l'article L. 233-1, qui détient une participation au sens de l'article L. 233-2 ou qui exerce le contrôle sur une société au sens de l'article L. 233-3 s'engage à prendre à sa charge, en cas de défaillance de la société qui lui est liée, tout ou partie des obligations de prévention et de réparation qui incombent à cette dernière en application des articles L. 162-1 à L. 162-9 du code de l'environnement est soumise, selon la forme de la société, à la procédure mentionnée aux articles L. 223-19, L. 225-38, L. 225-86, L. 226-10 ou L. 227-10 du présent code ».
Ce texte s'applique alors aux sociétés qui en contrôlent une autre au sens de l'article L.233-2 du Code de commerce (participation de 10% à 50% au capital d'une autre société) ou L.233-3 du Code de commerce (détention directe ou indirecte de plus de la moitié des droits de vote; est présumée exercer ce contrôle la société qui détient plus de 40% dans le capital, sans qu'une personne en ait plus).
Son champ d'application est donc particulièrement étendu. La loi étend ainsi le mécanisme de la prise en charge volontaire à des sociétés qui n’entretiennent entre elles qu’une simple relation financière matérialisée par une participation dans le capital de la filiale exploitante. Le contrôle n'est donc pas ici, le critère déterminant de la prise en charge volontaire du passif environnemental.
D’ailleurs, ceci semble assez contradictoire vis à vis du champ d'application de la loi du 1er août 2008, par laquelle le législateur avait entendu définir strictement le champ des débiteurs des obligations instituées au titre de la loi du 1er août 2008.
Néanmoins, il apparaît que la liberté laissée aux actionnaires de prendre en charge le passif environnemental de la filiale est strictement encadrée. La loi Grenelle II soumet en effet la prise en charge volontaire des obligations environnementales de sa filiale à la procédure des conventions réglementées. Ici se retrouve alors la simple application d'un principe commun du droit des sociétés, qui fait que les conventions passées entre une société actionnaire et sa filiale sont soumises à une procédure de contrôle particulière . Selon les travaux parlementaires, le respect de cette procédure vise à écarter tout risque de condamnation au titre de l’abus de biens sociaux.
En tout état de cause, comme le souligne la Chambre de commerce et d'industrie de Paris (CCIP), « la nécessité de passer par la procédure des conventions réglementées constitue une piste d'évolution intéressante, dans la mesure où, s'agissant de conventions dont les implications financières peuvent être très importantes, l'autorisation préalable du conseil d'administration (ou conseil de surveillance, ou encore gérant de SARL), la rédaction d'un rapport spécial par le commissaire aux comptes et la ratification en AGO constitue un solide garde fou pour les actionnaires de la société mère. Au demeurant, ce contrôle renforcé conduit indirectement à conforter leur validité ».
D'autre part, la loi Grenelle II soumet l'intervention volontaire de la société mère ou celle de l'actionnaire à la situation de défaillance dans la mise en oeuvre des articles L.160-1 et suivants du Code de l'environnement de la société exploitante.
Le champ d’application de ce dispositif apparaît donc très encadré. En effet, l'intervention de la société mère suppose donc qu'existe une des situation envisagée par l'article L.160-1 du Code de l'environnement, c'est à dire la survenance d’un événement (menace imminente de dommage ou dommage avéré) entrant dans le champ d’application de la loi du 1er août 2008, et que la société ne puisse y faire face. Doivent donc être exclues les atteintes causées à l’environnement qui ne remplissent pas, notamment les critères de gravité exigés par les articles R.161-1 à 5 du Code de l'environnement, ainsi que les dommages non définies à l'article L.161-2 du Code de l'environnement.
Comme énoncé précédemment, cela ne signifie en rien que la société mère ne puisse prendre à sa charge les obligations n'entrant pas dans le champ de la loi, mais signifie simplement que la prise en charge de ces engagements ne bénéficiera pas d'une validité a priori, et pourra donc de ce fait être contesté devant les tribunaux (notamment par les actionnaires minoritaires de la société mère).
Or des incertitudes demeurent, dans l'attente de la publication des décrets relatifs à l'application de la loi Grenelle II, dont il convient de présenter les principales caractéristiques.
II– Un régime juridique incertain
Bien que l’objectif de la prise en charge volontaire du passif environnemental corresponde dans une large mesure à une conception moderne d’une entreprise responsable, l’exercice de cet engagement ne doit pas être une source de nouveaux risques pour celui qui s’engage. A cet égard , le dispositif introduit par la loi Grenelle II soulève certaines questions tenant à la fois aux conditions de fond (A) et de forme (B) de l’engagement de la société mère.
A – Les incertitudes liées aux conditions de fond de l’engagement de la société mère
La loi Grenelle II portant engagement national pour l'environnement a été vu par un grand nombre de personnes, comme une avancée majeure en matière de responsabilité environnementale.
Toutefois, il n'est pas sûr que ce constat soit aussi certain à la lecture du texte de la loi. Certaines interrogations méritent d'être soulevées, celles-ci laissant apparaître de grandes incertitudes, montrant ainsi les limites des nouvelles dispositions relatives à la prise en charge volontaire des engagements de la filiale. Il est donc, dans l'attente de la publication des décrets d'application de la loi, à espérer que ces modalités soient précisées.
Tout d'abord, il demeure une certaine imprécision sur la notion même de « défaillance » employée par la loi, alors que celle-ci constitue l’élément déclencheur de l'intervention de la société mère. Le terme est imprécis, comme en témoigne la définition donnée par la Commission de l'économie, définissant la défaillance comme étant le fait pour la filiale de « faire défaut » .
La formulation de la loi est donc obscure, et il se pose alors la question du fait générateur de la prise en charge de la responsabilité. Comme le souligne Maître Prouvost , deux conceptions sont envisageables : soit la «défaillance» est caractérisée du fait de l’ouverture d’une procédure collective, soit elle résulte de la simple inexécution, par la filiale, de ses obligations .
Pour autant, notre avis diverge quelque peu de celui de cet auteur. A notre sens, il convient ici de distinguer entre l'hypothèse de la prise en charge volontaire par la société mère des obligations incombant à la filiale au titre des articles L.160-1 et suivants du Code de l'environnement, de celle de la prise en charge des obligations n'entrant pas dans le champ d'application de ce texte.
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Dans le premier cas, il apparaît que les mécanismes institués aux articles L. 160-1 et suivants du Code de l’environnement n’ont pas spécifiquement vocation à concerner les entreprises en difficulté. Les dommages visés par cette législation sont susceptibles de se produire à tout moment de la vie de l’entreprise.
Sauf cas spécifique (dommage causé alors que la société est d’ores et déjà en procédure collective ou dommage d’une telle importance qu’il conduit à la cessation des paiements), le lien entre dommage environnemental et procédure collective n'est donc pas systématique . La situation de la filiale serait alors que son actif existant (notamment ses fonds de trésorerie) ne lui permettrait pas de faire face à ses obligations au titre de la loi du 1er août 2008.
La défaillance sera alors caractérisée, dès lors que le Préfet aura édicté un arrêté (au sens de l'article L.164-14 du Code de l'environnement) mettant en demeure l'exploitant de se conformer aux mesures de prévention et de réparation dans un délai déterminé.
Cet élément déterminera le moment possible de l'engagement de la société mère. La prise en charge par la société mère serait directe en ce qui concerne le paiement des mesures de prévention et de réparation (bureau d’étude, entreprise de dépollution), ainsi que les frais de dépollution engagés par le Préfet (cas des travaux effectués d'office aux frais de l'exploitant).
En second lieu, en ce qui concerne la prise en charge des obligations n'entrant pas dans le champ d'application de la loi du 1er août 2008, notamment dans le cas de l'obligation administrative de remise en état, la défaillance sera marquée par l'obligation de remise en état au moment de la cessation d'activité. La défaillance sera alors matérialisée par la procédure collective de la filiale.
A l’inverse, le financement serait ici indirect, c’est-à-dire qu'il passera nécessairement par la médiation de la filiale, les sommes versées par l’actionnaire seraient partagées entre les différents créanciers en tant qu’élément du patrimoine de celle-ci et ne pas être allouées au seul paiement de la créance environnementale en cas de liquidation judiciaire. Néanmoins, cette interprétation étant strictement personnelle, il conviendra que le décret précise ces modalités.
D'autre part, une autre incertitude apparaît quant aux modalités pratiques de l'engagement de l'actionnaire ou de la société mère. La loi Grenelle II emploie en effet une formulation obscure lorsqu’elle parle de la décision par laquelle la société actionnaire «s’engage à prendre en charge, en cas de défaillance de la société qui lui est liée les obligations de cette dernière ».
La formulation semble signifier qu'un actionnaire pourrait s'engager a priori, alors qu'aucun dommage environnemental n'est constaté, vis à vis de sa filiale. Cette idée remet d'ailleurs en cause l'intérêt même de la filialisation, puisque cela signifierait, du moins en ce qui concerne la responsabilité environnementale, que la personnalité morale de la filiale ne joue plus.
Quoi qu'il en soit, il nous faut constater qu’un engagement unilatéral a priori est susceptible de soulever d’importantes difficultés d’ordre financier, comptable et juridique. Comment en effet provisionner un dommage dont on ignore la consistance et le montant de la prise en charge ? La réponse est clairement incertaine. En tout état de cause, il est sûr que l’engagement de la société mère ne vaudra que dans l’hypothèse où il s’applique à une obligation pouvant faire l’objet d’une évaluation financière.
Il en ira ainsi s’agissant des mesures destinées à la réparation des milieux (travaux de dépollution). En revanche, il est plus difficile d’imaginer que l’engagement de la société mère puisse porter sur des obligations dont la réparation n'est pas matériellement quantifiable (comment en effet calculer le coût d'une atteinte irréversible à un milieu?). Cette possibilité est donc en pratique impossible à mettre en oeuvre.
Il nous faut alors conclure qu'il est utopique de penser que les sociétés mères accepteront de prendre l'entier dommage environnemental à leur charge. L'engagement portant sur « tout ou partie des obligations de prévention et de réparation », il est à craindre que seules les obligations les moins onéreuses pourront valablement être supportées par la mère.
Cette prise en charge se fera naturellement au regard d'un calcul « coûts avantages » largement déterminé par le risque d'atteinte à l'image du groupe de sociétés. Il est clair qu'une entreprise comme Total risque une exposition médiatique plus importante qu'un groupe de société n'ayant qu'une influence régionale.
De plus, le dispositif apparaît être ici inutile, puisque la loi a toujours prévu qu'une société-mère se porte caution ou garante du remboursement des dettes à venir de sa filiale. Mais il est autre chose qu'une société paie spontanément la dette d'ores et déjà née du chef d'une autre personne morale, surtout si un simple lien de participation minoritaire les relie.
B – Les incertitudes liées à la forme de l’engagement de la société mère
La loi Grenelle II, pose comme condition à l'engagement de la société actionnaire, le fait que cet engagement soit soumis à la procédure des conventions réglementées, et ce au motif avancé que la prise en charge des obligations de la filiale pourrait mettre en lumière, un abus de bien social. De prime abord, il serait aisé de considérer que le respect de cette condition assurera à l’actionnaire un minimum de sécurité juridique. Pour autant, la réponse n'est pas aussi simple.
En effet, le législateur ne semble pas avoir mesuré les conséquences néfastes des interprétations possibles du dispositif. La loi met en évidence, un lien de fait entre l'intérêt social de la société actionnaire et la soumission à la procédure des conventions réglementées nécessaire à la prise en charge des obligations des articles L.160-1 et suivants du Code de l'environnement.
L'interprétation qu'il peut être donné à ce texte, est que, à contrario de suivre la procédure des conventions réglementées, toute initiative en faveur de la filiale soit considérée comme contraire à l'intérêt social de la société mère. Cette vision est d'ailleurs contraire au raisonnement que la Cour d'appel de Versailles avait tenu dans son arrêt en date du 30 juin 2005 , en décidant que « le respect purement formel de la procédure d'approbation des conventions réglementées [...] ne permet pas à lui seul à dire qu'il n'y a pas eu atteinte à l'intérêt social [...] ».
Aussi, tout se passe, en effet, comme si, en l’état actuel du droit, un doute planait sur la licéité des engagements souscrits par les actionnaires au regard des règles relatives à l’abus de bien social, doute que la loi Grenelle II aurait pour objectif de lever en encadrant les conditions dans lesquelles de tels engagements peuvent être souscrits.
Or, à l’examen du texte de la loi Grenelle II, la justification tenant au risque d’abus de bien social semble dès lors très contestable. S’agissant d’une incrimination pénale, le texte doit être interprété de manière stricte. Les éléments constitutifs du délit d’abus de bien social sont en outre cumulatifs. Or ces éléments ne sont pas caractérisés dans le cas visé par la prise en charge volontaire des obligations issues de la loi du 1er août 2008.
En effet, l'abus de bien social nécessite que le dirigeant commette un acte qu’il savait contraire à l’intérêt social, c’est-à-dire qui conduit à un appauvrissement du patrimoine de la société. Cependant, par exception, dans le cadre d’un groupe de sociétés, la jurisprudence a reconnu l’existence, d’un intérêt propre au groupe et distinct de l’intérêt de chaque société . Ainsi, en cas de concours financiers entre deux sociétés d’un même groupe, l’infraction d’abus de biens sociaux est écartée si certaines conditions sont remplies : (I) l’appartenance des deux sociétés à un même groupe, (II) l’existence d’un intérêt économique, social ou financier commun, (III) l’existence d’une contrepartie ou l’absence de rupture d’équilibre entre les engagements ou le non-dépassement des possibilités financières de la société sollicitée.
Rares seront alors les hypothèses dans lesquelles l’intérêt de groupe ne primerait pas l’intérêt social. De même, Quand bien même l’élément de l’intérêt social serait reconnu par un juge, les deux autres conditions ne seraient vraisemblablement pas réunies, d'autant plus que le dirigeant ne peut être déclaré coupable d’abus de biens sociaux que s’il agit de mauvaise foi, ce qui est notamment le cas lorsqu’il a conscience du préjudice qu’il cause ou du risque qu’il fait courir à la société.
De même, l'abus de bien sociaux requiert la preuve que le dirigeant agisse « à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle il est directement ou indirectement intéressé ».
En pratique, il semble difficile d’envisager des cas où l’actionnaire personne morale pourrait tirer un intérêt personnel de l’opération en cause. En outre, l’intérêt indirect ne sera pas retenu si la société victime de l’abus (la société actionnaire) et la société qui en bénéficie forment un groupe juridiquement et économiquement structuré.
Dans ce contexte, le risque, pour le dirigeant de la société actionnaire, de voir sa responsabilité pénale engagée du fait d’une prise en charge des obligations environnementales de la société dans laquelle elle détient une participation reste donc faible. D’un point de vue strictement juridique, cet élément du dispositif est donc inutile , comme le souligne la CCIP, insistant sur le fait que la loi vient interférer dans un domaine qui été déjà régi par les conventions intragroupes.
De plus, il est à noté que cette interprétation du texte sème un grand doute sur les engagements volontaires des sociétés mères, en ce qui concerne les obligations environnementales n'entrant pas dans le champ d'application de la loi du 1er août 2008. Il est en effet potentiellement envisageable que ce texte remette en doute la licéité de ces engagements puisque ceux-ci ne sont pas soumis stricto sensu à la procédure des conventions réglementées.
En effet, les conventions classiques d'avance de fonds ou la passation d'un contrat de prêt d'argent entre la société actionnaire et sa filiale pourrait être remise en cause, et entraîner la responsabilité des dirigeants de la société actionnaire, notamment si les avantages ont été concédés à l'entreprise alors que sa situation était irrémédiablement compromise, privant la société mère de la possibilité d'obtenir le remboursement des frais engagés. De l'attitude écologiste de l'actionnaire pourra alors résulter un grand nombre de conséquences néfastes pour ses dirigeants.
En conséquence, et nonobstant le fait que la procédure des conventions réglementées présente une lourdeur administrative ayant une forte influence psychologique dans les entreprises, le dispositif apparaît comme étant incertain. Dès lors, compte tenu de l'idée même de prendre des risques en portant secours à sa filiale, nous conduit à penser que les dirigeants seront réticents à s'engager volontairement dans ce processus. C'est d'ailleurs, moins la condamnation de la société qui présenterait le plus de risque pour les dirigeants de la société mère, mais bien plus le jugement des actionnaires du groupe qui pourraient être amenés à s'interroger sur l'opportunité d'un tel paiement.
BIBLIOGRAPHIE
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PROUVOST Me, La responsabilité environnementale des sociétés mères à l'épreuve de l'article 84 du projet de loi portant engagement national pour l'environnement, Journal des sociétés n°71, décembre 2009 p.64.
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TREBULLE F.-G., Rép.sociétés Dalloz, V°Responsabilité sociale des entreprises (Entreprise et éthique environnementale), mars 2003
RAPPORT CCIP RELATIF A LA LOI GRENELLE II http://www.etudes.ccip.fr/telechargement?lien=sites/www.etudes.ccip.fr/files/upload/prises-position/grenelle2-gouvernance-d-entreprise-fra0904.pdf