
RSE et Codes de bonne conduite privés
Par Iris SERGENT
rédactrice d'articles pour le blog du Figaro "green business"
Cabinet d'avocats Ichay et Mullenex associés
Posté le: 17/09/2010 15:34
Depuis la révolution industrielle, la productivité et la croissance ont été le but principal des entreprises. De plus en plus mondialisées, ces sociétés font désormais partie de la vie quotidienne de l’immense majorité de l’humanité, du citadin à l’indien d’Amazonie : l’expression de cette toute puissance peut-être économique, politique, sociologique, tandis que les scandales politico-financiers, nos habitudes vestimentaires ou alimentaires n’en sont que quelques manifestations. Leur croissance a été si rapide qu’elles n’ont pas eu le temps de prendre en compte les effets secondaires de leurs activités sur notre environnement.
C’est à partir des années 1970 que les sociétés deviennent la cible d’une société civile qui s’organise et dénonce. Avec la condamnation de l’apartheid et le boycott du régime Sud-Africain, des incidents notoires tels que la marée noire d’Exxon Valdez en Alaska, le débat sur les sweatshops (ateliers de misère) de Nike en 1992, les sociétés commencent à réaliser que leurs obligations vont au-delà de la simple production de richesse : un certain nombre de principes éthiques semblent apparaitre dans le milieu des affaires.
Ces derniers temps, des termes à la mode tels qu’autorégulation, responsabilité sociale des entreprises et développement durable sont devenus communs. Certaines compagnies précédemment tristement célèbres dépensent aujourd’hui des millions dans des publicités. Elles vantent les vertus de leurs pratiques saines envers l’environnement et les travailleurs des pays du Sud : les entreprises veulent se défaire de leur image de pollueur et d’exploitant ! Les codes de bonne conduite privés constituent un excellent moyen de parvenir à cette fin. L’époque contemporaine assiste ainsi à une multiplication des chartes de bonne conduite privées dans le domaine environnemental. Ainsi, plus de 2 300 entreprises ont d’ores et déjà ratifié la Charte pour le développement durable établie son l’égide de la Chambre Internationale du Commerce en 1991. Leur portée est variable. Certains codes de conduite en matière environnementale ne concernent qu’un secteur d’activité, plusieurs entreprises de ce même secteur y adhèrent : on peut citer, la Charte d’exploitation et de respect de l’environnement de l’Union nationale des exploitants du déchet ou les sept règles d’or pour la Charte de l’union professionnelle des entreprises de dépollution des sites. Enfin, une entreprise peut créer sa propre charte de conduite dont elle s’impose unilatéralement le respect. En règle générale, ces codes contiennent des engagements multiples dont certains concernent la préservation de l’environnement en particulier. Par exemple, l’entreprise Caterpillar à publié un code dont tout un paragraphe est exclusivement consacré à l’environnement. Tous contiennent des préoccupations éthiques et affirment que le respect de l’environnement est une préoccupation essentielle de l’entreprise.
La notion de responsabilité sociale des entreprises (RSE), à proprement parlé, est apparue pour la première fois en 1994 sous le nom de Corporate Social Responsability (CSR), à l’occasion d’une déclaration des entreprises européennes contre l’exclusion sociale. Elle repose sur une approche volontariste de l’éthique des affaires et des analyses économiques ayant établies que l’entreprise doit tenir compte des attentes de la société . La commission européenne la définie, dans sa communication du 2 juillet 2002 concernant la « RSE : une contribution des entreprises au développement durable » comme « l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes ». La notion a par la suite rencontré la fortune qu’on lui connait.
Les codes de conduite privés constituent une des illustrations de la mise en œuvre de la RSE, aux côtés de la diffusion de rapports volontaires, des démarches de labellisation type ISO ou EMAS...
Monsieur J-B Racine défini un code de bonne conduite comme « un ensemble d’engagements adopté par une entreprise ou un groupe d’entreprises privées, rassemblés dans un document unique appelé indifféremment code, chartre ou guide et qui présente la caractéristique de ne pas être formellement obligatoire » . Les codes de bonne conduite privés ont en plus la particularité d’être élaborés par des personnes privées.
Ainsi, Les caractéristiques communément admises de ces codes sont donc leur caractère non obligatoire et évolutif. Ils constituent donc ce que les auteurs appellent de la Soft Law.
Si à première vue ces codes sont dépourvus de valeur juridique, il n’en demeure pas moins qu’ils jouent un rôle de plus en plus prégnant quand aux attentes du public vis-à -vis des entreprises privées. Afin de mieux saisir ces attentes, la première partie de l’étude portera sur les fonctions et la nature de ces codes.
Ensuite, il convient de noter que la méconnaissance de ces codes est susceptible d’entraîner l’application de sanctions, qu’un caractère juridique ou non leur soient reconnues. Ainsi, la seconde partie portera sur les potentielles sanctions juridiques et extra-juridiques en cas de méconnaissance des engagements pris par les entreprises via les codes de bonne conduite privés.
I. Fonctions et nature des Codes de bonne conduite privés dans le domaine de l’environnement
La fonction générale des codes de bonne conduite privés est de réguler les activités économiques : ils normalisent un certains nombre de rapports entre les différentes parties prenantes (A). Ce caractère peut sembler surprenant dans la mesure où, pour le quidam, il revient au seul législateur le pouvoir de fixer de normes contraignantes, caractère sans lequel elles seraient dépourvues de toute utilité. Il conviendra donc de se poser la question de la nature des codes de bonne conduite adoptés par le pouvoir économique privé (B).
A. Les fonctions des codes de bonne conduite privés dans le domaine de l’environnement
Les fonctions des codes de bonne conduite privés environnementaux sont multiples. D’une part, ils constituent un moyen d’autorégulation (1) ; d’autre part, ils sont un moyen de limiter l’intervention du pouvoir normatif (2).
1) un moyen d’autorégulation d’une activité économique
L’association Entreprises pour l’environnement explique dans son ouvrage « Pour mieux gérer l’environnement », pourquoi il est utile d’adhérer à la Charte pour un environnement durable : «Le souci d’environnement est plus présent dans les entreprises qu’on ne le pense généralement. Que ce soit pour l’intérêt général ou pour des intérêts particuliers (image de marque, marketing, économie, gain de productivité, fédération du personnel autour d’un objectif, etc.) » .En effet, on peut dire, d’une manière générale, que les codes de bonne conduite privés, constituent le moyen pour les entreprises signataires, de promouvoir une activité économique, c’est-à -dire un moyen de régulation externe (1), mais ils sont aussi un moyen de régulation interne (2)
a) un moyen de régulation externe
La brochure éditée par la C.C.I intitulée « réponses et questions types » et accompagnant la Charte des Entreprises pour un Développement Durable, établie sous l’égide de la Chambre de Commerce International en 1991 nous informe que « l’engagement demandé par la Chatre est un moyen clé de gagner la confiance du public ».
Qu’il s’agisse de « blanchir » son image de marque, de redresser des pratiques professionnelles pour récupérer une part de marché, ou d’encadrer une nouvelle activité professionnelle, l’édiction d’une charte, d’un code de bonne conduite ou d’un guide éthique vise en premier lieu à s’octroyer la confiance du public.
L’avantage marketing dont bénéficie l’entreprise qui a adopté une telle Charte vis-à -vis de son concurrent se traduit par un avantage économique certain. Diverses études économiques on démontré ce fait. Ainsi, selon une étude du Credoc (centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), un consommateur sur deux est prêt à payer un supplément de 5% du prix d’un produit contre la garantie qu’il s’agit d’un produit « éthique ». Toujours selon la même étude, les critères de l’éthique les plus publicités par le panel de consommateurs interrogé sont le refus du travail des enfants, la garantie que les produits sont fabriqués en France et des modes de production garantissant la sauvegarde de l’environnement.
Comme l’écrit Madame Boy « la prise en compte de l’environnement comme facteur de production est une des conditions des succès commerciaux. Le vert est souvent devenu le « prix » à payer pour entrer dans le marché ou y rester » .
A cet égard, les codes apparaissent comme des outils de communication de l’entreprise avec l’extérieur, avec le public et donc le consommateur potentiel.
On peut donc en déduire qu’ils constituent un moyen de régulation externe, de normalisation des relations entre professionnels et consommateurs. Cette fonction est primordiale en raison des bénéfices économiques que peut escompter réaliser une entreprise. L’image vertueuse qu’elle reflète dans le public est un argument de vente certain. Il s’agit donc bien d’une forme de relation publique. A titre d’illustration, on peut souligner que le géant français de la chimie et de la pharmacie Rhône-Poulenc a su redorer son blason en sponsorisant l’émission Ushuaïa. Cette communication environnementale a permis dans l’imaginaire du grand public, d’associer au chimiste des images écologiques très éloignées de la réalité de son activité. S’il ne s’agit pas ici d’un code de bonne conduite, on peut néanmoins relever que le mécanisme d’association dans l’esprit du consommateur potentiel est le même.
Toutefois, si cette fonction de régulation externe est primordiale, les codes de bonne conduite privés constituent également un mode de régulation interne, qu’il soit propre à une entreprise ou à une profession.
b) un moyen de régulation interne
Au-delà du fait que les codes de conduite constituent un instrument de promotion d’une activité économique, ils servent également d’outil de régulation des relations internes, qu’il s’agisse des relations au sein d’une même entreprise, d’un même secteur d’activité ou entre professionnels. L’acte final de la Conférence d’Helinski de 1975 déclarait que « le succès d’une politique de l’environnement suppose que toutes les catégories de population et toutes les forces sociales conscientes de leurs responsabilités contribuent à protéger et à améliorer l’environnement ». L’une des force sociale concernée est à n’en pas douter le pouvoir économique privé, c’est-à -dire les entreprises privées, qui doivent jouer un rôle privilégié dans la protection et la conservation de l’environnement eut égard à l’impact sur ce dernier de leurs activités. C’était d’ailleurs la position du rapport Brudtland, plus connu sous le nom du rapport « Notre avenir à tous » de la commission mondiale de l’environnement, qui demandait aux entreprises de participer à la politique mondiale de préservation de l’environnement.
Les codes de bonne conduite privés peuvent agir dans ce sens en donnant à leurs salariés le sentiment qu’ils agissent en travaillant au sein de l’entreprise pour le bien commun (a). En contribuant à la diffusion de pratiques professionnelles innovantes, les codes de bonne conduite contribuent également à impliquer les partenaires commerciaux (b) de l’entreprise mais également les membres d’une même profession (c).
a) une implication des membres de l’entreprise
L’édiction d’engagements socialement responsables constitue une valeur ajoutée au sein même de l’entreprise. Le travailleur lambda sera naturellement valorisé en sachant que son entreprise milite dans le sens d’un meilleur vivre ensemble. Ce fait a été mis en évidence par l’Ecole des relations humaines, au cours d’expérience menées dans les années 1930. Elle en a conclu que ce n’est pas tant l’amélioration des conditions objectives de travail que l’attention aux relations humaines qui permet l’accroissement de la productivité. Les objectifs organisationnels ne peuvent être durablement atteints si les motivations personnelles des salariés ne sont pas prises en considération. Il convient donc de rechercher la meilleure conciliation possible entre les objectifs de l’entreprise et ceux des individus qui la composent.
Madame Dion relève que « de nos jours, la primauté de la réussite économique, qui a pour effet direct de valoriser les contributions aux résultats financiers de l’entreprise, entraîne indirectement une dépersonnalisation des relations humaines inter et intra-entreprises (…)les salariés sont affublés de l’étiquette « employés ou cadres » ou de l’expression « ressources humaines » connotant presque exclusivement leur capacité à mettre leurs talents manuels ou intellectuels à la disposition de l’entreprise. Considérée comme objective, cette attitude impersonnelle présente le danger de nier la complexité psychologique, sociologique, culturelle et humaine de l’individu. Elle contribue de surcroît à créer une frustration existentielle chez celui qui ne parvient pas à trouver un sens à ses actions, à ses relations ou à sa vie. Or les employés, les cadres au même titre que les dirigeants, représentent une sérieuse richesse pour l’entreprise » .
En faisant partie d’une entité qui défend des valeurs nobles telles que la protection des droits de l’homme ou de l’environnement, le salarié à la sensation et trouve l’occasion de poursuivre des buts collectifs en accord avec ses convictions profondes. Cette reconnaissance apporte un double avantage pour l’entreprise. D’une part, le salarié passe de la nécessité d’Avoir à la possibilité d’Etre, ce qui favorise nécessairement une créativité de ce dernier avantageuse pour l’entreprise. D’autre part, la sensation d’appartenir à une communauté travaillant pour un meilleur vivre ensemble stimule nécessairement sa motivation, ce qui renforce son investissement professionnel, ce qui est aussi avantageux pour l’entreprise.
b) une implication des partenaires de l’entreprise
L’édiction de chartes de bonne conduite a également un impact indirect important sur les cocontractants des entreprises qui s’y soumettent. Cet instrument de la RSE produit une sorte d’effet « vertueux », l’entreprise ayant à cœur d’agir auprès de ses fournisseurs et sous-traitants pour que ceux-ci relaient ses propres préoccupations au sein de leurs propres structures. Ce souci est logique dans la mesure où chacun sait, et en particuliers les groupes de pression de défense des droits de l’homme et de l’environnement, que sans une telle action l’édiction de tels codes ne seraient qu’une jolie coquille vide. L’exemple de Nike et de ses ateliers de la misère constituent un excellent exemple.
Ainsi, à défaut de d’exercer une telle pression, les entreprises s’exposent de nouveau à la critique des différents contrôles sociaux (instances étatiques et société civile).
Ce constat revêt un intérêt tout particulier en ce qui concerne les entreprises qui travaillent dans des Etats où la protection de l’environnement et des travailleurs n’atteint pas un niveau aussi élevé qu’en Europe. En effet, les pays signataire de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme sont soumis à la juridiction qui assure le respect de ses dispositions.
Pour les entreprises qui travaillent avec des pays du Sud qui ne jouissent pas d’un niveau élevé de protection des droits de l’homme (notamment ceux de deuxième et troisième générations), on peut espérer que les codes de conduite privés vont jouer le rôle d’un vecteur de transmission de standards de protection juridique élevés. C’est donc à ce niveau que devrait s’exprimer de la manière la plus prégnante l’effet vertueux de tels codes, pourtant. A cet endroit, les codes de bonne conduite peuvent jouer le rôle de substitue aux règles internationales, qui se limitent le plus souvent à des accords purement commerciaux.
Comme le relève le professeur Trèbulle, au sujet de la RSE en particulier, dont les codes ne sont qu’une mise en forme « c’est ici que la valeur ajoutée de la RSE est la plus considérable dans la mesure où elle va permettre d’imposer un « mieux-disant » social et environnemental indépendamment des divergences de réglementation. L’adhésion à une telle démarche au sein d’un groupe multinationale va permettre de garantir une « traçabilité » attestant tout au long de la chaîne de production des produits de l’entreprises ».
Il convient toutefois de noter que cette diffusion n’opère pas « tout de go ». Cécile Renouard relève que « l’internationalisation des grands groupes a permis de mettre en évidence la tension entre l’universalité- proclamée ou visée- des principes et la particularité culturelle des milieu où il doivent être appliqués ».
Les barrières culturelles peuvent être tout simplement des difficultés linguistiques concernant certains concepts difficilement traduisibles dans d’autres langues. De manière plus acerbe, les différences culturelles s’opposent à une uniformisation des pratiques souhaitées par les codes. Parfois même, la tradition justifie une différence de traitement à une situation identique en des lieux différent de la planète. Peuvent être citées, à titre d’exemple, les politiques sociales du groupe Lafarge qui a établit des mesures en fonctions des lieux et des traditions comme le nombre de jours de congés accordés en cas de deuil ou le nombre maximal d’enfants soignés gratuitement dans la clinique de l’entreprise, etc. Enfin, les principes énoncés dans les codes sont appliqués avec une rigueur variable selon les intérêts financiers stratégiques des entreprises. A titre d’exemple, la société Unilever s’efforce de vendre des produits adaptés aux besoins des populations les plus pauvres (sel iodé, soupes vitaminées, etc.) en Asie et en Afrique, elle n’a pas hésité à vendre ses plantations moins rentables situées au Nigéria et à pratiquer le recours massif aux sous-traitants, qui ne bénéficient pas des mêmes avantages sociaux que ses propres salariés.
Il peut être donc soutenu que les exigences morales ou éthiques que semblent s’imposer les firmes multinationales dans leurs codes de bonne conduites s’affaiblissent face aux enjeux financiers, ce qui est un frein à la diffusion internationale des bonnes pratiques proclamées. A côté des bonnes pratiques affichées dans les codes, et qui existent pour une large mesure, l’impératif de croissance dicte d’autres agissements pour lesquels sont évités toute forme de publicité…
c) une implication des membres d’une même profession
L’effet vertueux de codes de bonne conduite peut également avoir un impact sur le comportement de l’ensemble des membres d’une profession. Représentant un avantage marketing certain pour la société qu’il l’adopte vis-à -vis de ses concurrents, on ne voit pas comment ceux-ci pourraient négliger une telle source de profit potentiel.
Ainsi, si la portée territoriale des codes est très variable (se cantonnant à une entreprise ou aux frontière d’un Etat), la plupart ont une portée européenne voir internationale. «Ils acquièrent, dans ce dernier cas, une force supplémentaire parce qu’ils s’adressent alors à des professionnels appartenant au secteur d’activité visé par le code sans qu’une adhésion individuelle ne soit nécessaire » .
A titre d’exemple dans le domaine de l’environnement, est de nouveau citée la Charte des entreprises pour un développement durable instituée en 1991 sous l’égide de la Chambre de commerce internationale. Ce document à une large portée et ne se limite pas à un secteur d’activité précis. Toujours dans le domaine de l’environnement a été adopté en 2002, sous l’égide de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture, le code international de conduite pour la distribution et l’utilisation des pesticides .
2) un moyen de limité la règlementation étatique
Les entreprises suivent une tendance naturelle qui consiste à refuser une réglementation étatique qui pourrait être source de trop de contraintes. La logique libérale, le caractère transfrontalier des firmes multinationales dans lesquels s’inscrit l’action desdites sociétés s’oppose à l’idée même de l’existence d’une autorité ayant le pouvoir de régler une situation au niveau planétaire.
On peut considérer, à l’instar de M. Boizard, que « les motivations des professionnels qui élaborent un code de conduite sont multiples. On peut toutefois considérer, d’une manière générale, que l’adoption de tels codes est dictée par le souci d’éviter une réglementation trop lourde, trop contraignante, voir inadaptée aux besoins de la profession »
Ainsi, l’autoréglementation viserait, en premier lieu, et c’est leur fonction la plus noble,à garantir une responsabilisation des professionnels envers la société, grâce à une standardisation des pratiques commerciales, ce qui permettrait de lutter contre celles qui auraient des répercutions dommageables sur l’environnement ou les droit humains les plus élémentaires. Cette idée peut être illustrée par la brochure publiée par la Chambre de commerce internationale relative à la diffusion des Codes internationaux de pratiques loyales dans le domaine du marketing. Selon cette dernière, il s’agirait de garantir «une attitude responsable du milieu professionnel envers les intérêts du consommateur et de la société en générale, en combattant les méthodes de concurrence déloyales et en permettant une harmonisation des pratiques commerciales ».
Cette harmonisation passe nécessairement par l’édiction de règles que tout un secteur d’activité respecte. Ces règles ne sont pas édictées par une autorité étatique mais bien par le milieu professionnel lui-même, qui connaît les enjeux et les problématiques auxquels il est confronté et qu’il est seul à même de résoudre. En d’autres termes, les différents milieux d’affaires nécessitent pour se réguler de respecter des normes techniques que ni le juge ni l’Etat ne sont capables d’appréhender.
Toutefois, cette exclusion doit être relativisée. D’une part, de nombreux conflits découlant de l’application de ces règles techniques nécessitent de recourir à des notions juridiques (le dol, l’erreur, la violence etc..). D’autre part, les usages techniques ne s’imposent pas au juge ou à l’Etat. Le rapport de l’expert n’a ainsi jamais lié le juge ou le législateur bien qu’en pratique ces derniers suivent en général son avis éclairé.
La seconde logique qui présiderait à l’édiction de codes de conduite privés, moins valorisante, viserait à éluder l’intervention de l’Etat. Ils seraient ainsi une manifestation des pouvoirs privés économique » . Comme le relève François Rigaux, en ce qui concerne les agents économique internationaux, « les pouvoirs privés économiques se sont aménagé un espace propre…ils dictent même des comportements aux Etats, sans qu’aucun droit posé par ceux-ci ne procure aux agents privés un encadrement juridique qu’ils ont eux-mêmes construit à partir du pouvoir qu’ils assument aujourd’hui… » .
Cette remarque est particulièrement vraie en ce qui concerne l’adoption de la Charte pour un environnement durable. En effet, il est précisé dans les questions et réponses types relatives à la Charte qu’un de ses objectifs est de « réduire les pressions poussant les gouvernements à trop légiférer ».
B. La nature des codes de bonne conduite privés
C’est à juste titre que Monsieur Farjat relève que « les codes de conduite privé ne sont qu’une manifestation des phénomènes de normalisation non étatique qui ne sont sans aucun doute pas nouveau, mais qui ont longtemps été « occultés » par la doctrine dominante parce qu’ils sont contraire au droit positif des sources et plus encore de l’idéologie officielle ».
Ils constituent donc ce que les auteurs appellent du « droit mou », du « droit vert » ou de la « soft law ». Les codes de conduite sont donc, d’un point de vu juridique, une des manifestations, de plus en plus nombreuses, d’un « droit mou » que les auteurs semblent enfin prendre en considération. Il convient donc également de préciser cette notion, pour déduire la nature profonde des codes de bonne conduite privés.
Apparu d’abord en droit international public sous l’influence des ONG , le droit mou innerve aujourd’hui tous les ordres juridiques, et presque toutes les branches du droit (environnement, droit des affaires, droit de la consommation, droit du travail…). Il peut être d’initiative privée et émaner notamment de groupements d’entreprises, d’ordres professionnels, ou de secteurs d’activités, à l’instars des codes de bonne conduite ou de déontologie etc. , ou d’initiative publique, soit par des autorités investies d’un pouvoir normatif (recommandations Commission européenne, actes non décisoires de l’A.M.F , avis de la Cour de Cassation ou du Conseil d’Etat …), soit d’instances dépourvues d’un tel pouvoir (Recommandations de la Commission des clauses abusives ou de la Commission d’examen des pratiques commerciales, normes techniques de l’AFNOR …).
Il existe une incertitude sur la notion de droit mou. Tantôt appelé « droit flou » (imprécis), « droit doux » (non obligatoire), « droit mou » (non contraignant juridiquement), « droit souple » , ces appellations recouvrent des réalités différentes. C’est la raison pour laquelle la présente étude retient la définition suivante : il s’agit de normes de portée générale non obligatoires et non contraignantes, par opposition au droit dur (à la fois obligatoire juridiquement, exécutoire et contraignant), étant entendu, selon M. Weber, que l’Etat se réserve le monopole de la contrainte légitime.
A ce niveau se pose la question de la définition même du droit (critères matériel et formel), de la norme juridique . La doctrine moderne remet aujourd’hui en cause le fait que le droit soit simplement un ensemble de règles d’origine étatique. Il s’agit d’une critique de l’approche normative pour laquelle il n’y aurait qu’un droit, le droit étatique, et de l’aptitude du critère de l’obligatoriété à rendre compte des manifestations du juridique . Ainsi le degré d’autorité d’un acte ne dépendrait plus seulement de sa nature juridique. Il en va nécessairement de même en ce qui concerne les Chartes ou Codes de conduite…
C. Thieberge relève que la fonction du droit est de guider l’action humaine pour organiser la vie en société. Pour ce faire, il dispose d’un moyen autoritaire (ordres, contraintes) et d’un moyen souple (recommandation, déclaration). Dès lors, « définir le droit comme un ordre de contrainte, c’est confondre la fin et les moyens du droit » . Elle propose de définir le normatif comme « ce qui fournit un modèle, que celui-ci relève de l’obligatoire (modèle imposé), ou simplement du souhaitable ou du possible (modèle proposé) ».
Une règle de droit n’assume sa fonction que lorsqu’elle est appliquée : la norme « ne prend sa signification que par son interprétation et son exécution » . Reste donc à savoir si les engagements contenus dans les codes de bonne conduite sont susceptibles d’assumer la fonction de standards auquel le juge pourra faire référence pour fonder une décision exécutoire en droit ?
Certes, le droit mou ne peut pas être apprécié en termes de légalité, mais il n’est pas pour autant exclu de la sphère du droit. Ainsi, ne doit-il pas être « condamné à une ineffectivité en raison de son caractère non contraignant. Sa juridicité doit être dissociée de son effectivité » . Il est possible de lui reconnaître une valeur normative potentielle car le « droit postmoderne connaît une nouvelle forme de normes non prescriptives » .
L’accès du droit mou à la juridicité va finalement dépendre de la réception qu’en feront les juridictions. Il en va évidemment de même en ce qui concerne les codes de bonne conduite privés, qui ne sont qu’une manifestation de ce phénomène.
Néanmoins, il semble primordial de souligner que la force de la soft law ne dépend pas que de son accès à la juridicité mais également de l’application qui en est faite, autrement dit de son obligatoriété. Une règle respectée n’est pas nécessairement juridique : ainsi en va-t-il des coutumes, des traditions, des règles de politesse, des règles de jeux, de bienséance, etc.
II. Les sanctions juridiques et extra-juridiques du non respect des codes de conduite privés dans le domaine de l’environnement
Le trait caractéristique le plus déroutant des codes de conduite privés est à n’en pas douter leur caractère non obligatoire. Néanmoins, il faut de nouveau rappeler que doit être distinguée l’effectivité de la norme et son obligatoriété. Ainsi, « l’effectivité d’une norme n’est pas nécessairement liée à son « obligatoriété » » . En effet, les sanctions liées au non respect des engagements qu’ils assignent à leur auteur n’est pas juridique mais extra-juridique (A). Néanmoins, des réserves nombreuses ont été émises sur les effets concrets de ces sanctions : leur effectivité connait de sérieuses limites qu’il conviendrait peut être de combler en ayant recours à l’Etat et au juge, c’est-à -dire en juridicisant ces engagements (B).
A. Les sanctions extra-juridiques
Les sanctions extra-juridiques du non respect par une entreprise d’un code de bonne conduite privé peuvent revêtir deux formes. D’une part, la société civile, via ses différents relais, est apte à dénoncer le non respect par les entreprises de leurs engagements (1). D’autre part, des sanctions professionnelles, économiques, existent (2).
1) La sanction du consommateur potentielle ou de la société civile : la perte de confiance ou le boycott
Comme cela a été examiné en première partie, la fonction première des codes de conduite est de « gagner la confiance du public ». Cependant, lorsqu’existe une trop grande dissension entre les objectifs affichés et les pratiques concrètes des entreprises, celles-ci se soumettent aux foudres de la critique de la société civile en générale et du consommateur potentiel en particulier. Concrètement, cela ce traduit par une perte d’image et donc par une perte de part de marché, soit une moins value économique. La dimension morale pèse désormais sur l’activité des entreprises.
doit être cité le code de conduite de Monsanto, qui place à la tête de son code (The Pledge) le principe d’intégrité. Ainsi l’intégrité serait « le fondement de tout ce que nous faisons : l’intégrité inclus l’honnêteté, la décence, la cohérence et le courage ». On peut se demander quelle est la valeur d’une telle déclaration de principe et si le discours ne sonne pas creux lorsque l’on connait la longue liste des désastres provoqués par les produits commercialisés par ce groupe : riverains d’usines chimiques handicapés, chercheurs stoppés dans leur carrière, hauts fonctionnaires soumis aux pression des industriels, agriculteurs victimes des stratégies commerciales, utilisation des hormones de croissances bovine jusqu’à la crise de la vache folle, production massive d’OGM etc.
Ce décalage entre le fait et le dire a été à l’origine d’une large campagne de discréditation à l’encontre de la firme Monsanto. Pour ne citer que deux exemples, on peut mentionner l’action des faucheurs volontaires ou encore la large diffusion du documentaire « le monde selon Monsanto ».
si l’édiction et la publication des codes de conduite peut conduire à redorer, ou a blanchir l‘image de marque des entreprises, le revers de la médaille est que le consommateur et la société civile dans sont ensemble peuvent ainsi avoir connaissance des pratiques jugées bonnes par la profession et refuser toute relation avec ceux qui ne les respectent pas. Le phénomène du boycott ne doit pas être négligé, bien que dans de nombreuses hypothèses la société civile et plus particulièrement le consommateur soit un client captif de ces grandes firmes (en effet cette pratique ne fonctionne vraiment que dans le monde anglo-saxon). Ainsi la sanction sociale du non respect des codes de conduite, telle que le boycott ou plus modestement la perte de confiance, à des effets réels mais non suffisant.
2) Les sanctions du milieu professionnel : la sanction économique
Il convient de souligner qu’un ordre professionnel à plus de chance de rencontrer une certaine effectivité dans l’ordre international que national. Comme le relève B. Goldman « dans les relations commerciales internationales…une certaine « amitié » (que l’on devait plutôt appeler « confraternité » ou « solidarité professionnelle ») unit ceux qui y participent, et explique, parmi d’autres facteurs, l’observation spontanée de normes non étatiques » . Pour J-B Racine « un professionnel suit les engagements résultant d’une Charte parce qu’il y est obligé par la pression du groupe auquel il appartient ou par la menace de sanctions professionnelles » .
En effet, les acteurs de l’ordre économique international se choisissent et son enclin à respecter les règles du jeu qu’ils ont communément établies. C’est à ce niveau que les sanctions de l’ordre professionnel vont avoir le plus de portée.
Dans un monde dominé par le corporatisme, les codes de conduite sont favorablement accueillis, qu’il s’agisse de poser les règles d’une concurrence loyale ou au contraire de développer la concentration ou de limiter le pouvoir des acteurs économiques afin de maintenir un système libéral viable.
En cas de méconnaissance de cette discipline professionnelle diffusée par les codes, les ordres professionnels disposent de moyens de contrainte.
Leur publicité volontaire joue ici aussi. Il constitue le premier moyen de pression : le boycott par le milieu professionnel existe aussi. La sanction sera donc l’exclusion du marché, elle est économique.
Les sanctions professionnelles sont le second moyen de pression. Les organisations professionnelles peuvent ainsi prévoir tout un panel de sanctions à l’encontre des contrevenants au code, notamment si celui-ci est sectoriel. J-B Racine relève ainsi que la Charte professionnelle de l’industrie des granulats a créé un Comité national de la charte chargée de suivre son application, de proposer son actualisation et d’en assurer la promotion. Allant plus loin dans la marche de l’effectivité, la Charte de la Fédération française de la récupération pour la gestion industrielle de l’environnement et du recyclage (FEDEREC) prévoit la saisine d’une commission d’arbitrage en cas de violation des règles et usages de la profession. Elle peut prononcer des mises en demeure assorties ou non de blâme et peut prononcer une exclusion temporaire ou définitive d’un adhérant de la FEDEREC.
Ainsi, la menace de sanction assure l’effectivité de certains codes. Néanmoins il convient de noter que la majorité d’entre eux ne sont pas assortis de mécanismes de contrôle visant à s’assurer de leur application concrète. Dans cette dernière hypothèse, leur effectivité dépendra du bon vouloir de leurs signataires. Cela constitue une première limite aux sanctions économiques qui peuvent découler du non respect des engagements contenus dans les Chartes ou Codes de bonne conduite privés.
Une seconde limite est particulièrement visibles au plan interne et concernent les petites entreprises qui n’ont pas su ou pu s’imposer dans l’ordre économique international privé. Ainsi, il est connu que de nombreuses relations économiques sortent de la sphère du juridique, qu’elles sont « hors droit », reposant sur une dépendance économique. Beaucoup de relations entretenues par les firmes dominantes avec les PME sont dépourvue de toute contractualisation. Ainsi en matière de sous-traitance, il est fréquent que les sous-traitants qui s’avisent de réclamer la protection légale à laquelle ils ont droit fassent l’objet d’un boycott de la part de leurs partenaires dominant le marché final. Et cela malgré l’affirmation répétée dans les codes de conduite qu’il faut respecter le droit des minorités, agir dans un climat de confiance ou de loyauté, que la coopération doit présider aux relations contractuelle etc.
C’est en raison de ces limites que l’intervention de l’Etat, et surtout du juge, sont justifiées.
B. La saisine des codes de bonne conduite par le droit
Trois techniques de juridicisation des codes de bonne conduite privés sont à distinguer : la contractualisation (1), l’intégration dans la règlementation (2), et leur saisine par le juge.
1) La contractualisation
La contractualisation des engagements pris contribue déjà à faire sortir les chartes de conduite du registre des actes non juridiques, un contrat étant par définition un acte juridique.
3) Les usages issus de la RSE sont susceptibles d’être ouvertement intégrés dans une démarche contractuelle au titre de l’autonomie de la volonté. Ainsi, au titre de l’article 1134 al. 1 du code civil, les parties ont le loisir de décider par un commun accord de conférer à un code de conduite une valeur juridique. C’est ce que monsieur Osman a appelé la technique de la « contractualisation » des codes de conduite . Ainsi la violation d’un engagement contenu dans un code de conduite privé originairement non contraignant peut elle engager la responsabilité contractuelle. Le même raisonnement peut être tenu à l’égard des engagements en faveur de la protection de l’environnement contenus dans les codes de conduite privés.
On doit cependant noter que cette technique est peu satisfaisante dans la mesure où la valeur juridique du code est laissée à la libre appréciation des cocontractants.
2) L’intégration des codes de bonne conduite dans la règlementation
Cette intégration revêt deux formes : soit elle est originaire, soit elle résulte du constat que certaines pratiques édictées dans les codes de bonne conduite méritent une consécration officielle car elles fonctionnent.
S’agissant de l’intégration originaire, il n’est plus tout à fait exact, comme cela a été dit plus haut, de dire que la RSE est purement volontaire. Elle a nécessairement un caractère dual, puisqu’elle comprend à la fois des normes impératives et des normes volontaires. Ainsi, il est avéré que bien souvent, les chartes de bonne conduite ne font que rappeler des obligations légales qui s’imposent à Les codes de bonne conduite peuvent également inspirer le législateur, en inaugurant de nouvelles pratiques.
En France, la Loi sur les Nouvelles régulations économiques, dite NRE, du 15 mai 2001, illustre le phénomène de « durcissement » des codes privés. Afin de promouvoir leurs politiques sociales et environnementales, certaines sociétés s’étaient volontairement imposé l’obligation de communiquer à leurs actionnaires diverses informations sur les conséquences de leurs activités. S’inspirant directement de cette démarche, l’article 16 de la loi NRE (codifié à l’article L. 225-102-1 du Code du commerce) impose aux sociétés cotées en bourse la diffusion d’informations sociales et environnementales dans leur rapport annuel de gestion. Des obligations comparables existent également dans divers autres pays européens, à l’instar de Danemark, de la Norvège, des Pays-Bas ou de la Belgique.
Cependant, ce constat doit être relativisé dans la mesure où la réception des règles étatiques varie suivant le domaine de la réglementation. Il est certaines pratiques professionnelles qui se soumettent difficilement au droit étatique, comme les pratiques anticoncurrentielles.
Dans certains cas, un comportement recherché par les pouvoirs publics ne peut être obtenu qu’avec l’assentiment des pouvoirs économiques privés. L’exemple de l’élaboration des objectifs du Grenelle de l’environnement en France, basée sur la concertation des différentes parties prenantes est à cet égard typique.
En définitive, on peut dire que cette technique de juridicisation n’est possible que lorsqu’elle reflète un consensus sur les pratiques professionnelles à consacrer entre les pouvoirs économiques privés et les pouvoirs publics. Elle n’est donc pas suffisante.
3) La saisine des codes de bonne conduite par le juge
a) Le recours aux standards juridiques : la faute et la bonne fois
• La faute dans la responsabilité pour dommage écologique
Les engagements contenus dans les codes de conduite sont susceptibles de servir de support à l’appréciation d’une faute par le juge. En matière environnementale, une faute pourra être relevée dans le cadre d’une responsabilité pour dommage écologique.
La responsabilité délictuelle d’une entreprise est susceptible d’être engagée si un dommage est causé à des personnes ou directement à l’environnement. Si la plupart du temps la responsabilité sera engagée sur le fondement de la théorie des troubles du voisinage ou de la responsabilité du fait des choses, subsiste des cas où elle ne peut être engagée que sur le fondement de la faute. C’est dans cette dernière hypothèse que les engagements contenus dans les codes de bonne conduite ont un rôle à jouer.
En effet, la faute, au sens de la responsabilité délictuelle est un standard. La faute sera appréciée in abstracto par le juge civil au regard du comportement qu’aurait du adopté le « bon père de famille ». En matière professionnelle, le juge adoptera le même raisonnement mais cette fois ci par référence au « bon professionnel ».
Les codes de conduite relevant de l’environnement contiennent tous des obligations de prudence ou de diligence. En leur qualité d’usage, ces engagements donnent naissance à de véritables obligations professionnelles de prudence et de diligence. Comme on le sait, le juge a la possibilité de définir la faute au regard des usages suivis par la profession.
Pour résumer, les entreprises signataires d’un code de bonne conduite s’engagent à respecter des normes professionnelles qui peuvent être qualifiées d’usage. En enfreignant ces usages professionnels, elles commettent une faute au sens juridique du terme permettant d’engager leur responsabilité civile.
Certaines chartes engagent même leurs signataires à veiller au principe de précaution. Le principe de précaution permet d’appréhender des risques incertains (contrairement au principe de prudence qui vise à éviter les risques certains). Si le juge civil faisait preuve d’audace rien ne lui interdirait de condamner une entreprise pour un dommage dont la survenance était pourtant très incertaine.
Il pourrait être déduit de la Charte du développement durable, signé par des milliers d’entreprises, un consensus certain des professionnel sur les bonnes pratiques que doivent adopter les entreprises vis-à -vis de la gestion et de la préservation de l’environnement. Elle contient des obligations de prudence et de diligence, qui visent à tout mettre en œuvre pour éviter la réalisation d’un dommage prévisible et, l’obligation de veiller au principe de précaution, qui vise à empêcher la réalisation d’un dommage incertain. De cette charte, le juge pourrait aisément déduire le comportement du « bon professionnel » en matière environnementale.
Cependant, en matière de responsabilité civile environnementale, il suffit de la violation d’un règlement administratif pour que la faute soit établie. Dès lors, et eut égard au grand nombre de textes réglementaires ou légaux en matière environnementale, on ne voit dans les codes de bonne conduite qu’un intérêt résiduel. Pourtant ceux-ci peuvent jouer dans deux séries d’hypothèses, pour servir d’élément d’appréciation d’une faute.
En cas de carence de la loi, les codes de bonne de bonne conduite peuvent servir à mettre à la charge des professionnels des obligations qui n’ont pas été prévues par les textes. Il en va ainsi notamment lorsque les professionnels s’engagent à aller au-delà de ce que prévoit la loi.
La reprise par un code de bonne conduite d’une obligation légale aura pour effet de renforcer la sévérité avec laquelle le juge appréciera la violation de l’obligation. Ainsi à la faute civile s’ajoutera une faute professionnelle.
• La bonne foi
Selon le Doyen Cornu le mot Foi « désigne, dans certaines expressions (bonne foi, mauvaise foi), l’attitude psychologique (erreur, croyance ou connaissance) ou le comportement moral (loyauté, déloyauté) d’un contractant dans la formation ou l’exécution du contrat (ou même ceux d’un tiers relativement à l’opération) ». Il résulte de cette définition que la bonne foi est susceptible de deux acceptations : soit une croyance erronée résultant d’une apparence trompeuse, soit un comportement loyal, une attitude d’intégrité et d’honnêteté.
Dans sa première acceptation, la bonne foi permet de sanctionner une apparence trompeuse. Peut-on dire qu’un signataire d’une charte, ne respectant pas les engagements qui y sont contenus, à donné une apparence trompeuse de la réalité. Dit autrement, les codes de bonne conduite donnent ils une apparence de juridicité ?
Les éléments constitutifs de l’apparence sont une situation de fait visible et une croyance erronée.
En premier lieu, la valeur indicative des faits doit s’imposer directement à l’esprit sans le détour d’un raisonnement compliqué. Les codes de bonne conduite étant, comme cela à été démontré en première partie, un argument marketing certain, qui jouissent dans la plupart des cas d’une large publicité, on peut en déduire que leur valeur indicative est certaine. L’apparence de juridicité découle des termes employés. Concernant le contenant des engagements souscrits par les entreprises, ils sont rassemblés dans ce que les entreprises ont choisi de dénommer « codes », guides », « chartes » etc. Par exemple, le mot « code » suggère l’existence d’un écrit juridique solennel émanant d’une autorité titulaire d’un pouvoir normatif apte à consacrer des règles contraignantes. En employant ce terme, les signataires de codes de bonne conduite contribuent à créer la confusion dans l’esprit du public, en se faisant passer pour les détenteurs d’un pouvoir normatif concurrent de celui de l’autorité légitime. Le contenu des codes de bonne conduite privés porte sur des questions qui sont habituellement traités par les détenteurs légitime du pouvoir normatif : les droits de l’homme, la sécurité, la qualité etc. , ce qui contribue encore à créer la confusion dans l’esprit du public.
Ensuite il faut une croyance erronée qui comprend l’erreur commune ou l’erreur légitime. Or la large diffusion des codes, les engagements volontaires qui y sont contenus peuvent faire croire au quidam que les codes contiennent de véritables engagements juridiques.
Toutes les conditions étant remplies, on ne voit pas pourquoi le juge civil ne s’aventurerait pas à annuler un contrat sur le fondement de l’erreur. Ainsi, si j’adhère à la politique sociétale, convaincu par les arguments marketings diffusés par le code d’une entreprise, en achetant un produit dont je suis convaincue qu’il est issu du commerce équitable ou de l’agriculture biologique, si je suis persuadée que l’entreprise respecte les droits des travailleurs qu’il emploi etc…le juge ne pourrait il pas considérer que ces éléments ont déterminés mon choix ? Autrement dit que ces éléments on été déterminant de mon consentement et que sans eux j’aurai contracté à des conditions différentes ou que je n’aurai pas contracté du tout. Ne peut-on pas considérer que les allégations sociales et écologiques contenus dans les codes de bonne conduite sont des éléments essentiels du contrat susceptibles de fonder une erreur sur les qualités essentielles de celui-ci ? Bien que la réponse soit incertaine, la question mérite d’être posée.
La bonne foi, et plus particulièrement la croyance erronée est susceptible d’engager la responsabilité des entreprises signataire de code sur deux autres fondements. La publicité trompeuse et l’allégation écologique.
b) La publicité mensongère
Concernant la publicité trompeuse est régie par l’article L.121-1 et suivant du Code de la consommation qui interdit « toute publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications, ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, lorsque celles-ci portent sur un plusieurs des éléments ci-après : existence, nature, composition, qualités substantielles, teneur en principes utiles, espèce, origine, quantité, mode et date de fabrication, propriété, prix et conditions de vente de biens ou de services qui font l’objet de la publicité, conditions de leur utilisation, résultats qui peuvent être attendus de leur utilisation, motifs ou procédés de vente ou de la présentation de services, portée des engagements pris par l’annonceur, identité, qualité, aptitude du fabricant, des revendeurs, des promoteurs ou des prestataire » (article L. 121-1 du code de la consommation).
La publicité trompeuse est constitutive d’une pratique commerciale déloyale. Selon l’article L.120-1 du Code de la consommation un pratique commerciale est déloyale lorsqu’elle « est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère, ou est de nature à altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif » et est constitutive d’un délit. Les contrevenants risquent alors jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 37 000 euros d’amende ou 50% des dépenses de publicité ou de la pratique constituant le délit.
La question qui se pose est alors celle de savoir si la notion de code de conduite peut être appréhendée par celle de publicité ? La cour de cassation retient une conception extensive de la notion de publicité qui est « tout moyen d’information destiné à permettre à un client potentiel de se faire une opinion sur les caractéristiques des biens ou des services qui lui sont proposés » . Au regard de cette définition on peut parfaitement faire rentrer les codes de bonne conduite dans le moule de la publicité. Deux éléments militent dans ce sens, au-delà de la conception extensive que la cour de cassation retient de la définition de publicité. D’une part, le code de la consommation considère, an son article L.211-1-1, que constitue une pratique commerciale trompeuse celle qui a pour objet « pour un professionnel, de se prétendre signataire d’un code de conduite alors qu’il ne l’est pas ». D’autre part, il a été souligné au début de cette exposé que les code de conduite son un moyen clef de gagner la confiance du publique, que la plupart sont élaborés dans une logique marketing : ils permettent donc au client potentiel de se forger une opinion sur l’entreprise signataire.
Néanmoins, cette qualification ne pourrait être applicable qu’en ce qui concerne les fausses allégations en matière sociale puisque la loi du 12 juillet 2010, portant engagement nationale pour l’environnement, dite Grenelle 2, introduit un type particulier de publicité mensongère, les allégations à caractère environnemental à l’article L.214-1-10°du Code de la consommation.
c) Les fausses allégations environnementales
Si les remarques qui ont été précédemment faites au sujet de la publicité trompeuse sont également valables ici, on doit tout de même relever que les sanctions auxquelles s’exposent les contrevenants sont de nature différente puisqu’il ne s’agit plus d’un délit…mais d’une simple contravention de troisième classe !!! Concrètement, si le juge répressif s’aventurait à qualifier d’allégation à caractère environnemental un code de bonne conduite dans le domaine de l’environnement, les entreprises ne s’exposeraient qu’à une amende maximale de 2 250 Euros, ce qui apparait dérisoire lorsque l’on sait combien l’image fait vendre….mais pour autant une telle condamnation serait néfaste en termes d’image.