Les juges du quai de l’horloge ont eu l’occasion de réaffirmer les règles probatoires relatives au régime des produits défectueux dans un arrêt remarqué de la première chambre civile en date du 27 juin 2018, numéro de pourvoi : 17-17.469.

Dans cette espèce, un incendie avait complètement détruit un local commercial. Un expert a été désigné et celui-ci a conclu que le départ du feu provenait d’un certain produit (coffret de commande et de régulation) et que l’origine de l’incendie pouvait se trouver soit sur une borne intrinsèque au câblage intérieur de coffret réalisé par une première société, soit sur une borne de raccordement d’alimentation mise en œuvre par une seconde société. L’expert en avait donc déduit que le coffret était à l’origine du dommage sans pouvoir réellement affirmer si l’incident était dû à un défaut d’origine du produit de la première société ou dû à l’intervention de la seconde société.

Les Hauts magistrats rappellent dans un premier temps la définition d’un produit défectueux, clé de voute de la loi du 19 mai 1998, donnée par l’article 1245-3 (anc. 1386-4), dont l’alinéa 1er indique d’emblée les deux éléments caractéristiques du produit défectueux. Tout d’abord, l’élément objectif selon lequel le produit défectueux est un produit qui comporte un défaut de sécurité. Ensuite, l’élément subjectif selon lequel cette défaillance de sécurité n’est pas de celle à laquelle on peut légitimement s’attendre. Ainsi, la Cour de cassation, en s’en tenant à cette définition, a pu déduire que le défaut de sécurité portait plus, en réalité, sur un jugement de valeur opéré en l’espèce par le juge sur l’attente légitime de sécurité du produit.

Dans un second temps la Cour de cassation se positionne sur l’imputabilité du dommage au produit. Elle estime que ce seul fait n’est pas suffisant pour établir le lien de causalité entre ce défaut du produit et le dommage. Dès lors, la Haute juridiction rappelle l’exigence, incombant à la victime, de la double preuve découlant de l’article 1245-8 du Code civil selon lequel : « Le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage. »

Ainsi, cet arrêt affirme clairement que la simple implication du produit ne suffit pas pour établir son défaut. Le demandeur doit impérativement continuer à rapporter la preuve du dommage, du défaut et du lien de causalité entre le défaut et le dommage. Il ne saurait être question de simplifier les règles de preuve en matière de produits défectueux.

En l’espèce, bien qu’il soit certain que le produit soit en lien avec le dommage, sa défectuosité n’est pas démontrée et en l’absence de cette preuve, la responsabilité du producteur ne peut être engagée. Appliquant ces principes, la Cour de cassation casse l’arrêt rendu par les premiers juges en affirmant que « la simple imputabilité du dommage au produit incriminé ne suffit pas à établir son défaut ni le lien de causalité entre ce défaut et le dommage ».


Texte intégral :

Cour de cassation Première chambre civile 27 juin 2018 N° 17-17.469


Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :

Vu l’article 1386-4, devenu 1245-3 du code civil ;

Attendu qu’un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’un incendie ayant détruit le local à usage commercial, affecté à l’exploitation d’une activité de boucherie, donné à bail par Mmes Marie-Dominique et Cécile X... (les consorts X... ) à la société Carri Nostri, celle-ci, après avoir obtenu en référé la désignation d’un expert aux fins de déterminer les causes du sinistre et d’évaluer les préjudices qui en ont résulté, a assigné la société Johnson Controls France (la société Johnson), producteur du coffret de commande et de régulation de chambres froides installé dans ce local, ainsi que la société Matequip, vendeur et installateur de ce coffret, la société Generali IARD, assureur de la société Matequip, et les consorts X... , en responsabilité et indemnisation, sur le fondement du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux ;

Attendu que, pour déclarer la société Johnson responsable des préjudices subis par la société Carri Nostri et par les consorts X... , l’arrêt constate, par motifs propres et adoptés, que l’expert a situé le départ du feu dans le coffret de commande et de régulation et que, selon lui, l’origine de l’incendie peut se trouver soit sur une borne intrinsèque au câblage intérieur du coffret réalisé par la société Johnson, soit sur une borne de raccordement de service ou d’alimentation mise en oeuvre par la société Matequip, l’échauffement dû au desserrage structurel ou accidentel de bornes de raccordement ayant provoqué le départ du feu ; qu’il en déduit que le coffret est à l’origine de l’incendie, même s’il n’est pas possible de dire si c’est en lien avec un défaut d’origine de l’appareil ou avec l’intervention de l’installateur ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la simple imputabilité du dommage au produit incriminé ne suffit pas à établir son défaut ni le lien de causalité entre ce défaut et le dommage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la première branche :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déclare la société Johnson Controls France entièrement responsable des préjudices subis par la société Carri Nostri et Mmes Marie-Dominique X... et Cécile X... du fait de l’incendie intervenu le 6 juillet 2006 et en ce qu’il la condamne, in solidum, avec la société Matequip, à les réparer, l’arrêt rendu, le 23 mars 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Bastia ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris ;