
La norme ITIE : une « démarche RSE » pour une gestion responsable des ressources naturelles ?
Par Reagan INTOLE
Chargé des Missions QSE chez APHP
Posté le: 05/07/2018 13:58
L'Initiative pour la Transparence des Industries Extractives, ITIE (mieux connus en anglais « Extractive Industries Transparency Initiatives, EITI »,) a été lancée en 2003 à l'initiative du gouvernement britannique. Elle est une norme se reposant sur une déclaration de principes visant à favoriser plus de transparence sur les paiements et revenus du secteur extractif à travers la publication d’informations sur l’ensemble de la chaîne de valeur des industries extractives, depuis le point d’extraction des ressources naturelles jusqu’à la manière dont les revenus parviennent au gouvernement et dont ils profitent à la population.
Autrement dit, il s’agit notamment de montrer comment les licences et les contrats sont octroyés et enregistrés, et d’indiquer l’identité des propriétaires réels de ces exploitations, la nature des dispositions fiscales et juridiques, les quantités produites, le montant des paiements effectués, la destination de ces revenus et la contribution du secteur à l’économie, y compris l’emploi(1). Cette initiative rassemble tous les acteurs puisqu'elle associe les Etats, les entreprises, les investisseurs et les ONG.
Alors cette norme ITIE est – elle réellement une sorte de « démarche RSE » dans la gestion des ressources naturelles ? Comment est-elle mise en œuvre ? Quelle est son impact pour les pays africains dont les ressources naturelles sont considérées comme une malédiction ou « resource curse » ?
La norme ITIE : pour une gestion ouverte et responsable des ressources naturelles
C’est aux États-Unis qu’est née officiellement la notion de « Corporate Social Responsibility » (la traduction anglaise de RSE, CSR) sous la plume d’Howard Bowen, un homme d’Église, dans son ouvrage « responsibility of the business man » (1953). L’entreprise y est alors considérée comme un être moral devant assurer le bien-être de ses travailleurs, de leur famille et de la communauté(2). Aujourd’hui hui, les normes que porte la RSE permettent de limiter les éventuelles dérives des activités des entreprises au nombre desquels nous avons celles qui exploitent le pétrole, le gaz, les métaux et les minerais. La RSE ou RSO (responsabilité sociale des organisations pour être large selon l’ISO26000) est une démarche volontaire sur laquelle chaque organisation détermine sa stratégie. Elle est définie par la Commission Européenne comme étant la responsabilité des entreprises vis-à -vis des effets qu'elles exercent sur la société(3).
Il est précisé dans le guide de l’ISO26000 que les performances d’une organisation en matière de responsabilité sociétale peuvent avoir une incidence sur : ses avantages concurrentiels ; sa réputation ; sa capacité à attirer et à retenir ses salarié(e)s ou ses membres ; ses clients ou ses utilisateurs ; le maintien de la motivation et de l’engagement de ses employés, ainsi que de leur productivité ; la vision des investisseurs, des propriétaires, des donateurs, des sponsors et de la communauté financières ; ses relations avec les entreprises, les pouvoirs publics, les médias, les fournisseurs, les pairs, les clients et la communauté au sein de laquelle elle intervient(4).
Les entreprises qui exploitent le pétrole, le gaz, les métaux et les minerais adoptent des démarches responsables et volontaires non seulement au vue des effets de leurs activités sur la société mais aussi vis-à -vis de leurs parties prenantes notamment les Etats, les sociétés civiles, ou les populations. Il en est de même pour les Etats vis-à -vis des entreprises et société civile. C’est pour quoi, un groupe divers de pays dont les pays africains, d’entreprises (multinationales exploitant les ressources naturelles) et d’organisations de la société civile a assisté à la conférence de Lancaster House organisée par le gouvernement britannique à Londres en 2003. Cette conférence a adopté une déclaration de principes destinée à accroître la transparence des paiements et revenus dans le secteur extractif. Ces principes sont connus sous le nom de Principes de l’ITIE et constituent la pierre angulaire de l’ITIE(5).
Ces principes indiquent que les richesses issues des ressources naturelles d’un pays doivent bénéficier à ses citoyens ; autrement dit, ces ressources naturelles appartenant aux citoyens des pays d’exploitation, leur extraction peut générer la croissance économique et encourager le développement social. Cependant, la mauvaise gouvernance en matière des ressources naturelles a souvent ouvert la voie à la corruption et à des conflits. Pour veiller à ce que ces ressources profitent à tous les citoyens, il est capital d’améliorer la transparence et l’examen public sur l’utilisation et la gestion des richesses issues de l’extraction des ressources naturelles d’un pays(6). Pour y parvenir, des normes exigeantes en termes de transparence et de responsabilité sont nécessaires. La norme ITIE 2016, dont celle-ci est la cinquième version, vise à renforcer le lien entre ces Principes et le fonctionnement de l’ITIE.
Tout comme la RSE exige aux entreprises un comportement responsable en déployant leur démarche à travers la cartographie des risques, la pratique des loyauté et transparence, le respect des droits de l’homme et normes de l’OIT, la prise en compte des enjeux sociaux, sociétaux et environnementaux, la Norme ITIE est la norme internationale pour la transparence et la responsabilité entourant les ressources pétrolières, gazières et minérales d'un pays.
Pour sa mise en œuvre, les pays sont invités à se soumettre aux huit exigences et à les dépasser lesquelles exigences représentent l’ensemble de la chaine de valeur des industries extractives(7). Lorsqu'elle est mise en œuvre, l'ITIE assure la transparence de la gouvernance des ressources naturelles d'un pays: de l'émission des droits à la monétisation des ressources ou la façon dont celles-ci bénéficient aux citoyens et à l'économie. D’où notre préoccupation concernant la mise en œuvre de cette norme en Afrique dont les ressources naturelles sont considérées comme une malédiction.
Impact de la norme ITIE dans l’exploitation des ressources naturelles en Afrique
Le secrétariat de l’ITIE recense une cinquantaine des pays « riches en ressources », soit des pays qui tirent plus du quart de leurs recettes budgétaires de l’activité extractive. Parmi ces pays, nous retrouvons plus d’une vingtaine des pays africains.
En effet, l’exploitation des ressources naturelles (pétrole, cobalt par exemple) fournit plus de 60-80 % des recettes fiscales de pays comme l’Angola, la Guinée équatoriale, le Nigeria pour le pétrole et le Congo-Kinshasa pour le cobalt. Cette manne pourrait théoriquement leur permettre de financer tout ou partie de leurs efforts en matière de développement. De manière paradoxale, l’exploitation des richesses du sous-sol est souvent associée à la misère des populations locales, à la mauvaise gouvernance et à la dégradation de l’environnement, ainsi que l’a exposé TERRY LYNN KARL dans son ouvrage « The Paradox of Plenty »(8). A cet effet, il en résulte pour ces pays qu’un petit groupe profite de la manne pétrolière ou minérale alors que la majorité n’en voit que les effets négatifs en termes de renchérissement du coût de la vie et de dégradation de l’environnement. Ce phénomène est aggravé dans les pays dont les institutions étatiques sont faibles et les groupes d’intérêt sectoriels puissants, favorisant ainsi l’accrue des conflits armés et pauvreté. La République démocratique du Congo en est un parfait exemple.
L’impact de l’ITIE est évident lorsque les gouvernements décident de mettre en œuvre les recommandations qui ressortent des Rapports ITIE. Dans certains pays, les Rapports ITIE sont devenus utiles pour mettre en évidence les lacunes des systèmes gouvernementaux. Dans d’autres cas, les recommandations des rapports ont cherché à combler ces lacunes et à améliorer la gestion du secteur, contribuant ainsi de manière importante au changement et à la réforme politiques(9).
L’ITIE est importante. Les pays qui mettent en œuvre l’ITIE divulguent l’information ayant trait aux paiements d’impôts, aux licences, aux contrats, à la production et à d’autres éléments clés liés à l’extraction des ressources. De l’autre côté, les entreprises aussi publient ce qu’elles paient aux Etats. La plupart des pays mettant en œuvre l’ITIE utilisent celle-ci pour orienter leurs politiques dans le secteur extractif. Aujourd’hui, la quasi-totalité des pays africains riches en ressources soumis à la démarche ITIE ont le « statut conforme » excepté la République centrafricaine qui est « statut suspendu ». Toutefois, des efforts sont nécessaires surtout lors que certaines pratiques fallacieuses persistent.
Face à cette norme ITIE, le secteur privé (entreprises) a lui aussi réagi. De nombreuses entreprises multinationales ont adopté des codes de conduite et des lignes directrices relatifs à l’environnement, aux droits humains, aux conditions de travail et aux relations avec les communautés locales. Les débats sur la responsabilité sociale de l’entreprise ne portent pas seulement sur la nature volontaire ou juridiquement contraignante des engagements pris par les sociétés privées, mais aussi sur des questions éthiques complexes. Il s’agit notamment de mieux cerner les contours et les limites de la responsabilité de l’industrie extractive dans des domaines tels que la fixation des prix et les arrangements de partage des revenus avec les Etats hôtes, la création d’emplois non précaires, le rapatriement des profits ou encore l’évasion fiscale via des sociétés offshore.
Dans ce cadre, nous ne pouvons qu’encourager les pays africains riche en ressources à renforcer leur démarche dans le cadre de l’ITIE. Ainsi, l’adoption d’un nouveau code minier en République démocratique du Congo le 9 mars 2018 est à saluer lequel prend en compte des considérations sociales et environnementales (RSE). Il se veut de responsabiliser les entreprises minières vis-à -vis des effets qu’elles exercent sur la société congolaise. Considérée comme scandale géologique et critiquée comme distributeur automatique des billets pour le régime de Joseph Kabila(10) et aux entreprises minières au détriment des populations, la R.D Congo a fait un pas en prévoyant par exemple l’introduction d’un cahier des charges pour les entreprises minières, l’avis social pour l’obtention d’un Permis d’exploitation et la définition des obligations sociales et du programme de développement durable pour les communautés environnantes du projet. Cet avis sanctionne le plan du développement durable. Ce code va plus loin en ses articles 211 et 212 en prévoyant la responsabilité du titulaire face aux dommages causés aux personnes, aux biens et à l’environnement du fait de ses activités minières.
Références
(1) Pour plus d’infos, suivre le lien https://eiti.org/fr/qui-sommesnous#aim-of-the-eiti consulté le 3 juillet 2018
(2) Pour plus d’informations sur l’ouvrage fondateur, voir le lien http://www.strategie-aims.com/events/conferences/9-xiveme-conference-de-l-aims/communications/716-aux-sources-de-la-responsabilite-sociale-de-lentreprise-re-lecture-et-analyse-dun-ouvrage-fondateur-social-responsibilities-of-the-businessman-dhoward-bowen-1953/download consulté le 04 juillet 2018
(3) Voir à ce propos, Livre vert de la commission européenne, « Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises », 2001 et « Responsabilité sociale des entreprises - politiques publiques nationales dans l’union européenne », commission européenne 2011
(4) Découvrir ISO26000 : lignes directives à la responsabilité sociétale, page 5
(5) Pour plus de détails sur les principes de l’ITIE et ses exigences, voir la norme ITIE 2016, Version révisée au 15.2.2016, Secrétariat international de l’ITIE, Norvège, pp 10-38
(6) Rapport de suivi 2016 de l’ITIE
(7) Pour plus de détail sur les exigences de la norme ITIE version 2016 voir https://eiti.org/fr/node/7036 Consulté le 03 juillet 2018
(8) L. KARL, The Paradox of Plenty: Oil Booms and Petro-States, Berkeley, University of California Pr (...) cite par Gilles Carbonnier, “Financer le développement par la mobilisation des ressources locales – comment conjuguer la malédiction des ressources naturelles? In Annuaire Suisse de Politique de Développement, Institut des Hautes Etudes Internationales et du Développement, 26-2, pp.83-98
(9) Rapport de suivi ITIE 2016
(10) En juillet 2017, l'ONG britannique Global Witness avait qualifié le secteur minier congolais de "distributeur automatique de billets" pour le régime de Joseph Kabila. Début novembre, une ONG américaine, le Centre Carter, avait estimé que 750 millions de dollars n'avaient pu être retracés de "manière fiable" dans la comptabilité de la société minière d'Etat Gécamines.