En se fondant sur l’article 544 du Code civil français tous comme l’article 14 de la loi congolaise(1), le droit de propriété est défini par les prérogatives qu’il confère au propriétaire : l’usus, le fructus et l’abusus, c’est-à-dire respectivement les droits d’usage, de jouissance et de disposer d’une chose(2) ; et par ses caractères : exclusif, perpétuel et absolu.

Or, de cet argument, l’on attache au droit de propriété le caractère environnemental nocif en ce que le droit absolu que ménage l’article 544 du code civil français et l’article 14 de la loi congolaise au propriétaire qui peut être une personne privée ou publique, de disposer du bien, peut aller donc de l’idée de le polluer voire de le détruire(3). Mais l’idée est de portée limitée dans la mesure où ce droit de disposer est encadré dans les limites des dommages causés à autrui, de l’abus de droit et des prohibitions ou limitations ou restrictions édictées par les lois ou par les règlements (article 544 in fine du code civil français et 14 de la loi congolaise).

Ainsi, peut- on se demander : les restrictions au droit de propriété justifiées au nom de la protection de l’environnement affaiblissent t - elles le droit de propriété ? Ou suffisent t-elles à protéger l’environnement? Comment à la fois garantir l’effectivité et la permanence de la gestion saine de l’espace naturel et faire en sorte que cette gestion se fasse en conformité avec les objectifs des politiques de la protection de l’environnement, alors que telle ne constitue pas la motivation première du droit de propriété ? Comment la prise en compte de la protection de l’environnement par le droit de propriété assumera-t-elle la protection de la valeur du droit de propriété ?


Le caractère sacro-saint du droit de propriété menacé par l’incursion de la protection de l’environnement


Selon cette conception classique, le droit de propriété constitue « le droit le plus complet que l’homme puisse exercer sur une chose »(4). Et à ce titre, il est qualifié de droit réel principal. Il est également considéré comme un droit subjectif et individuel. En France, le droit de propriété du Code civil ayant pris ces caractéristiques en réaction à la propriété féodale, « l’avènement du droit de propriété tel qu’il est aujourd’hui connu serait donc l’histoire d’une individualisation »(5). Alors qu’au Congo, au vu des vicissitudes de la colonisation, l’appropriation privative du sol a été abolie car le sol est devenu la propriété de l’État qui ne concède que la jouissance aux individus(6).

Ce droit malgré le caractère nocif du droit de l’environnement qui lui est attaché suite à la sainteté reconnue de ses prérogatives, il ne cesse de subir l’incursion de la protection de l’environnement, restriction de son absolutisme. Aussi, hormis les dispositions des articles 544 du code civil français et 14 de la loi congolaise, l’article 1er du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales constitue un outil précieux pour qualifier ces limitations ou restrictions au droit de propriété. Par ailleurs, des restrictions au droit de propriété sont également présentes en grand nombre en dehors du droit civil et notamment dans le Code de commerce, le Code rural, le Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, le Code de l’urbanisme et le Code de l’environnement. A cet effet, le droit de propriété oblige au respect des tâches relatives à la protection de l’environnement.

Protéger l'environnement, c'est protéger notre source de nourriture et d'eau potable, c'est préserver la qualité de l'air que nous respirons, c'est aussi préserver la biodiversité dont nous avons besoin. Nous devons donc faire en sorte que la nature produise une eau et une nourriture saines et en quantité suffisante. Pour cela, nous devons éviter de polluer les sols et les mers. Nous devons éviter de rejeter sans précaution ou répandre des produits chimiques à l'excès. Nul n’ignore alors que des propriétaires privés ou publics, de par leurs droit de propriété, peuvent disposer de leur biens comme leur semble bon car droit de propriété équivaut à la liberté. Des propriétaires des concessions des mines ou espaces d’agricultures, en sont des exemples passionnant dans le cadre des pollutions ou destruction de l’environnement.

Il est alors avancé que le droit français, quoique le droit congolais semble en retard, accorde un statut paradoxal au droit de propriété. D'un côté, il le juge sur un piédestal en le consacrant solennellement dans des textes et des termes exaltés et sublimes, d'un autre il ne cesse de lui porter des coups de canif à tel point que la doctrine juridique quasi unanime s'interroge sur le point de savoir si le droit de propriété existe toujours et, dans l'affirmative, si l'on peut encore le ranger parmi les droits fondamentaux. Nous pensons que cette situation résulte plutôt de l’absence en droit civil des biens de mécanismes adéquats pour répondre aux exigences particulières d’une gestion du patrimoine naturel ; absence d’où est née la nécessité de développer un réseau de charges publiques prenant appui sur la propriété, et entraînant ainsi que le remarqué MM. COLLARD-DUTILLEUL et ROMI, « un changement radical de perspective quant à l’exercice de ses prérogatives. »(7)

Outre cela, il faut alors noter que cet aspect attentatoire n'est sans doute spécifique au droit de propriété car si l'on prend soin de bien regarder l'évolution du droit depuis quelques décennies, on constate que bien d'autres droits ou libertés essentiels subissent également une évolution, une mutation, un changement, une adaptation imputable à des évolutions sociologiques et idéologiques au nombre desquels l’impératif de la protection de l’environnement.


Sociétalisation du droit de propriété : terrain de conciliation entre droit de propriété et protection de l’environnement


Il sied alors de comprendre que cette vision du droit de propriété allant dans un sens libéral, certains auteurs ont mis en avant sa fonction sociale. Pour DUGUIT, le droit de propriété était une fonction sociale en ce sens qu’il avait vocation à accomplir un devoir au profit du plus grand nombre et non pas uniquement pour le propriétaire(8). Ses idées ont été reprises par quelques auteurs(9). Et bien qu’elles aient été longtemps mises de côté, il parait claire qu’elles soient d’actualité à ce jour, et que le droit de propriété fasse l’objet d’une « sociétalisation.»

On désigne aujourd'hui par le qualificatif de « sociétal » « des questions se rapportant aux divers aspects de la vie sociale des individus en ce qu’ils constituent une société organisée. »(10). Le droit de propriété n’est pas resté indemne de ce phénomène de « sociétalisation » où les questions de protection de l’environnement occupent une place de choix.

le droit de propriété peut assumer au service de la protection de l’environnement une fonction sociétale se décomposant en deux éléments: elle est le support d’une protection contre les atteintes venant des tiers, à travers la théorie jurisprudentielle de la responsabilité pour inconvénients anormaux de voisinage, d’une part ; d’autre part, parce qu’elle apparaît comme « le procédé de droit commun permettant d’assurer la gestion de l’espace naturel »(11), comme le montre l’exemple de droit de propriété issu des contrats de concessions perpétuelles ou ordinaires, minières ou hydrocarbures, agricoles, installations classées pour la protection de l’environnement etc.

Certains usages du droit de propriété sont désormais dénoncés comme moralement répréhensibles, politiquement incorrects et donc juridiquement punissables. C'est ainsi au nom du droit à l’environnement sain et à la santé que les attributs de la propriété se rapportant à l’exploitation des mines et forêts doivent être juridiquement encadrés par des restrictions pour éviter des pollutions issues d’extraction minière comme le cas du Congo , aussi bien des pollutions agricoles comme le cas de la France et ce, pour la préservation des espaces naturel, boisés et santé de la population. ; c'est aussi au nom du « droit à un logement décent », de la « mixité sociale » ou de la « diversité commerciale des quartiers » que la libre disposition de son bien immeuble se trouve entravée.

Sociétaliser le droit de propriété en se basant à la protection de l’environnement à travers les restrictions justifiées qui doivent passer sous contrôle des juges renforcera la valeur de droit de propriété. Ce qui revient à dire que les restrictions justifiées au nom de la protection de l’environnement qui portent atteinte ou non au droit de propriété façonnent le droit de propriété. Elles constituent son avenir puisque le droit de propriété constitue toujours un symbole de sécurité et de richesse et qu’à ce titre il a vocation de plus en plus à être considéré comme un outil au service des individus.

Par conséquent, seule l’intégration des restrictions justifiées au nom de la protection de l’environnement au sein même du concept de droit de propriété permet d’expliquer leur rôle. Même si la plupart des théories du droit de propriété sont conscientes de leur existence aucune ne fait une place suffisante de ce type de restrictions. Or les restrictions au droit de propriété justifiées au nom de la protection de l’environnement sont une réalité qui doit être traduite juridiquement.

Pour repenser le droit de propriété par ses restrictions justifiées au nom de la protection de l’environnement, il convient d’abandonner la conception classique qui définit le droit de propriété comme la somme des attributs « usus-fructus-abusus » et il semble nécessaire d’adapter la corporalité de l’objet du droit de propriété au domaine socio-économique et environnemental.

En revanche, la reconceptualisation du droit de propriété devra prendre en considération les restrictions justifiées au nom de la protection de l’environnement, dans sa définition, tout en sauvegardant le droit de propriété comme un droit fondamental. Le droit de propriété reste le modèle, mais il est possible de s’en servir par le biais des restrictions. Ces dernières constituent la face active du droit de propriété, qui émerge du droit de propriété. En ce sens, elles permettent de le définir non plus en se référant à son contenu, mais en examinant ses contenants.

Références

(1) Loi n° 073 - 021 du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés telle que modifiée et complétée par la loi n° 80 - 008 du 18 juillet 1980, JORDC, 45ème Année, Numéro spécial, 1er décembre 2004, p. 13
(2) COURBE P. et LATINA M. , « Droit civil. Les biens », Dalloz Coll. Mementos, Paris, 7e Ed.. , 2014, pp. 36 et ss ; TERRE F. et SIMLER Ph. , « Droit civil. Les biens », Dalloz, Coll. Précis, Paris, 9e Ed. , 2014, pp. 131 et ss
(3) REMOND-GOUILLOUD M. , « Du droit de détruire, essai sur le droit de l’environnement », PUF, 1989,
(4) TERRE F. et SIMLER Ph, op cit, p. 63
(5) ROCHFELD J. , « Les grandes notions du droit privé », p.290, n° 11
(6) Article 53 de la loi congolaise, op cit
(7) COLLARD - DUTILLEUL F. , ROMI R. , « Propriété privée et protection de l’environnement » , AJDA, 20 septembre 1994, p.571
(8) DUGUIT L. , « Les transformations générales du droit privé depuis le code Napoléon », F. Alcan, Paris, 2e ed, 1920
(9) LABORDE - LACOSTE M. , « La propriété immobilière est - elle une « fonction sociale »? » , in Mél. BRETHE DE LA GRESSAYE, Ed. Bière, 1967, p. 373
(10) Définition du dictionnaire in http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/soci%C3%A9tal_soci%C3%A9tale_soci%C3%A9taux/73148 consulté le 1er décembre 2017
(11) Conseil constitutionnel, Décision n° 85-198 DC du 13 décembre 1985, Amendement tour Eiffel