En posant que « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits », le nouvel article 1103 du Code civil affirme à la fois le principe de la force obligatoire du contrat ainsi que le principe de son inviolabilité. Le contrat est, en ce sens, un acte de prévision. Cependant, ces prévisions peuvent s'avérer fausses et rendre inacceptable ce qui avait été convenu hier par les parties. C'est là qu'intervient la révision pour l'imprévision, une innovation majeure de la réforme du droit des contrats.

La jurisprudence française, depuis l’arrêt du 6 mars 1876 Canal de Craponne, a toujours refusé d'introduire la théorie de l'imprévision en droit des contrats, théorie bien connue en droit administratif. En effet, guidée à la fois par le besoin de sécurité juridique que par la force obligatoire du contrat, elle a toujours réfuté l'ingérence de l'arbitraire du juge dans le contrat. C'est le législateur qui a pris le contrepied de la jurisprudence traditionnelle en s'appuyant sur le droit comparé ainsi que des projet d'harmonisation européens. La France était, en effet, l'un des derniers pays d'Europe à ne pas reconnaître la théorie de l'imprévisibilité comme cause modératrice de la force obligatoire du contrat.

En vertu du nouvel article 1195 introduit dans le Code civil par l'Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, entrant en vigueur le 1er octobre 2016, « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation ».

En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe. »

L’hostilité des sénateurs à l’égard de cet article a manqué causé sa perte. En effet, les Sénateurs, attachés à la conception traditionnelle de non-immixtion du juge dans le contrat, se refusaient à consacrer la révision judiciaire pour imprévision. Les sénateurs souhaitaient ainsi supprimer la possibilité, pour une partie, de demander, en cas d'échec de la renégociation, au juge de réviser le contrat. La victime des circonstances ne pourrait donc que solliciter la résiliation du contrat. Le Sénat prévoyait ainsi de donner pouvoir de révision du contrat au juge uniquement à la demande des deux parties, alors que l’Assemblée Nationale souhaitait que la demande puisse émaner de l'une seulement des parties.

Les arguments avancés par le Sénat portaient notamment sur la sécurité juridique, les sénateurs estimant que la disposition étant contraire à celle-ci, dès lors qu'elle ouvre une source de contentieux. L’assemblée Nationale estime, au contraire, qu'elle apporte une garantie par la portée contraignante de la disposition. Les députés rappelant que cette disposition est supplétive de volonté, et qu’elle peut donc par conséquent être écartée du contrat, totalement ou partiellement, par les parties. Egalement les députés rappellent que les pouvoirs du juge sont encadrés par la procédure civile, par conséquent le juge ne peut procéder d'office à la révision du contrat et est tenu par les demandes des parties quant à l'objet et aux modalités de révision du contrat.

Dès lors, le risque de révision du contrat constitue un puissant moyen pour la partie qui n’a pas accepté de supporter le risque de garantir la renégociation du contrat. A contrario, conditionner la révision à l'accord des deux parties pourrait conduire à bloquer toute tentative de renégociation, puisque la partie la plus favorisée au contrat n'aurait, logiquement, pas intérêt à la négociation.

Le mercredi 14 mars 2018, la commission mixte paritaire réunie sur le projet de loi ratifiant l’Ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, après deux lectures dans chaque assemblée, est parvenue à un accord en retenant la version de l’Assemblée nationale concernant le pouvoir de révision du juge dans le régime de l’imprévision. A cependant été introduit dans le Code monétaire et financier un article L. 211-40-1 aux termes duquel « L’article 1195 du Code civil n’est pas applicable aux obligations qui résultent d’opérations sur les titres et les contrats financiers mentionnés aux I à III de l’article L. 211-1 du présent code ».

Ainsi, le régime de l’imprévision voulu par l’Ordonnance du 10 février 2016 n’est pas remis en question, la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a été publiée au Journal officiel du 21 avril 2018. Une question reste toutefois en suspens : le juge réussira-t-il là où une partie a échoué ?


Bibliographie :

Rapport n° 352 (2017-2018) de MM. François PILLET, sénateur et Sacha HOULIÉ, député, fait au nom de la commission mixte paritaire, déposé le 14 mars 2018

PROJET DE LOI ratifiant l'Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, TEXTE ÉLABORÉ PAR LA COMMISSION MIXTE PARITAIRE le 14 mars 2018

« Réforme de la réforme » du droit des contrats : le Sénat persiste dans son opposition à l'imprévision – Xavier Delpech – AJ contrat 2018, p.52

Ratification de la réforme du droit des obligations : analyse de la deuxième lecture du Sénat – Gaël Chantepie – Mathias Latina – D. 2018. 309