Par deux arrêts rendus le 08 février 2018, la Cour de cassation a entendu rappeler dans quelles conditions le fait d’un tiers pouvait exonérer le transporteur ferroviaire gardien de la chose instrument du dommage. Elle a par ailleurs rappelé la nature de l’examen auquel les juges du fond devaient se livrer au moment de leur appréciation de la force majeure. Pour exonérer totalement le civilement responsable, le fait du tiers doit présenter les caractéristiques de la force majeure. Est qualifié ainsi tout événement irrésistible et imprévisible en l’absence duquel le dommage ne se serait pas produit. Ce qui suppose un examen casuistique de la part des juges du fond, la Cour de Cassation en vérifiant l’effectivité. C’est cette analyse qui l’a notamment conduite à rejeter le pourvoi dans une affaire, et à casser l’arrêt dans l’autre, reprochant à la cour d’appel concernée de ne pas avoir suffisamment motivé son refus de retenir la force majeure.



Concernant la première affaire, un homme agressé dans le métro se mit à la poursuite de son agresseur. S’en suivi une altercation au cours de laquelle il fut poussé sur la voie du métro au même moment où la rame de métro redémarrait, et fut tué instantanément. La famille de la victime fut indemnisée par le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI). Le fonds se retourna ensuite contre la Régie autonome des transports parisiens (RATP) en tant que gardienne de la rame du métro, instrument du dommage. Pour rappel, est considéré comme gardien, et ce depuis l’arrêt Franck du 2 décembre 1941, celui qui a l’usage, la direction et le contrôle de la chose. Ces trois conditions étant cumulatives (Cass. ass. plén. 14 avr. 2006, n° 04-18.902).


En appel, les juges ont refusé de reconnaître le fait du tiers comme présentant les caractères de la force majeur : Sur la condition d’imprévisibilité, ils se sont contentés de l’exclure sans toutefois expliquer en quoi le heurt et de la chute de la victime n’étaient pas imprévisibles pour la RATP. De même, sur le caractère d’irrésistibilité, la cour d’appel a juste constaté que la RATP disposait de moyens modernes adaptés permettant de prévenir ce type d’accident. Or ce faisant, elle se livrait à une affirmation d’ordre général, et non casuistique. Sans surprise, l’arrêt fut cassé au visa de l’article 455 du code de procédure civile qui dispose en son alinéa premier que « Le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d'un visa des conclusions des parties avec l'indication de leur date. Le jugement doit être motivé. »



S’agissant de la seconde affaire, un homme schizophrène s’est saisi d’un passager et s’est jeté avec lui sur les rails au moment où le RER passait. Les deux hommes furent tués. La famille de la victime fut là aussi indemnisée par le FGTI, qui se retourna cette fois contre la Société nationale des chemins de fer français (SNFC) en tant que gardienne du train, instrument du dommage.


Dans son pourvoi, le FGTI a fait grief à la cour d’appel d’avoir d’un côté constaté que l’installation de façades sur les quais aurait permis d’éviter le drame, et de l’autre admit l’exonération de la SNCF. En agissant ainsi, la cour d’appel n’aurait pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations. D’autre part, le fonds a également reproché à la cour d’avoir inversé la charge de la preuve de la faisabilité technique de l’installation de façades, dont l’impossibilité avait pourtant soulevée par la SNCF.


Cependant, le pourvoi fut rejeté par la cour de cassation qui a considéré que l’agresseur souffrait de schizophrénie ; qu’aucune altercation n’avait opposé les deux hommes qui ne se connaissaient pas ; qu’un laps de temps très court s’était écoulé entre le début de l’agression et la collision avec le train ; que l’enquête pénale avait conclu à un homicide volontaire et à un suicide et qu’aucune mesure de surveillance ni aucune installation n’aurait permis de prévenir ou d’empêcher une telle agression, sauf à installer des façades de quai dans toutes les stations ce qui, compte tenu de l’ampleur des travaux et du fait que la SNCF n’était pas propriétaire des quais, ne pouvait être exigé de celle-ci à ce jour. La cour de cassation en a conclu qu’il n’y a pas eu inversion de la charge de la preuve, et que le fait du tiers en l’espèce avait bien présenté les caractères d’irrésistibilité et d’imprévisibilité constitutifs de la force majeure



En conclusion, il est question dans ces deux affaires du fait d’un tiers, et plus précisément, de déterminer dans quelle mesure le fait d’un tiers serait susceptible d’exonérer le gardien de la chose ayant contribué au dommage d’une victime. Si en principe l’intervention du tiers conduit à un partage de responsabilité, cette responsabilité est toutefois exonérée lorsque le fait du tiers présente les caractères de la force majeure. Force majeure dont les juges ont l’obligation d’examiner les conditions au cas par cas, et d’en apporter la justification dans leurs décisions. C’est ce que vient rappeler la cour de cassation dans ces arrêts du 08 février.



Sources :

• Arrêt n° 146 du 8 février 2018 (17-10.516) - Cour de cassation - Deuxième chambre civile

• Arrêt n° 147 du 8 février 2018 (16-26.198) - Cour de cassation - Deuxième chambre civile

• Cour de cassation. Chambre réunies 2 décembre 1941

• Cour de cassation. Assemblée plénière 14 avril 2006. N° de pourvoi: 04-18902

• Article 455 du code de procédure civile