L’obsession sécuritaire.
Par Sandrine LE PIMPEC
Juriste
Armee de Terre
Posté le: 16/08/2010 22:25
De l’obsession sécuritaire à la dérive sécuritaire ?
La sécurité peut se définir comme le fait d’être dans une situation à l’abri de tous dangers ou risques. Objectif louable et vertueux par nature même puisque débouchant logiquement sur une situation idéale où rien de fâcheux ne peut plus survenir
Or, la réalité est toute autre, les exigences de sécurité amenant leur lot de contraintes, de restriction de libertés et de rejets contre-productifs, validant ainsi l’adage : « Trop de sécurité nuit à la sécurité ».
La sécurité investit tous les domaines : santé, travail, éducation,… en revêtant des formes différentes, mais l’idée est la même : faire progresser la sécurité en sanctionnant tout manquement ou toute négligence à la sécurité. Cette acception n’est même plus suffisante, puisqu’il s’agit aujourd’hui d’anticiper l’insécurité en développant la prévention. En quelque sorte « mieux vaut prévenir que guérir ».
Ce mouvement sécuritaire, notamment en provenance de l’Europe, envahit la société française et se traduit juridiquement par un développement et un renforcement de l’arsenal juridique. Ces évolutions concourent à un durcissement des régimes de responsabilité. La responsabilité de plein droit, qui empêche l’auteur de s’exonérer en prouvant qu’il n’a commis aucune faute, devient la règle. Et alors que les causes d’exonération se raréfient, celles engageant la responsabilité se multiplient.
De quelle manière cette exigence sécuritaire se traduit-elle juridiquement et qu’elles en sont les conséquences ?
L’obligation de sécurité revêt des formes différentes mais elle exprime toujours la même exigence (1). A trop vouloir prévenir la sécurité, le risque serait de tomber dans la dérive, ce qui banaliserait les règles élémentaires de la sécurité (2) et conduirait à l’inverse de l’effet recherché.
1. L’invasion sécuritaire.
De façon non exhaustive il est possible de distinguer trois catégories d’obligation de sécurité. D’abord l’obligation de sécurité préventive qui existe notamment en matière d’hygiène et de sécurité du travail. Puis l’obligation de sécurité curative, qui permet l’indemnisation en cas de manquement à cette obligation. Enfin l’obligation de sécurité répressive, qui sanctionne un comportement dangereux.
1.1 Obligation de sécurité préventive
Le but de cette obligation de sécurité est de prévenir les risques et les situations dangereuses susceptibles de se réaliser. L’exécution de l’obligation de sécurité passe par la mise en place et l’effectivité d’une organisation relative à la prévention des risques.
L’obligation de sécurité de l’employeur (article L. 4121-1 du code du travail) appartient à cette catégorie. En vertu de cet article l’employeur doit « prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Ces mesures permettent ainsi de prévenir les accidents du travail et les maladies professionnelles, les suicides, le tabagisme passif (Soc. 29 juin 2005), et le harcèlement moral (Soc. 21 juin 2006).
L’obligation de sécurité de l’employeur est une obligation de sécurité de résultat (Soc. 11 avril 2002). La réalisation d’un danger engagera la responsabilité de plein droit de l’employeur. Il ne pourra s’exonérer qu’en rapportant la preuve d’une délégation de pouvoirs à « une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires » (Crim. 11 mars 1993).
1.2 Obligation de sécurité curative
Dans le cadre de la responsabilité civile, le manquement ou l’inexécution de cette obligation de sécurité ouvre droit à indemnisation.
En matière contractuelle, cette obligation de sécurité est d’abord apparue dans les contrats de transports. Le transporteur a l’obligation « de conduire le voyageur sain et sauf à destination », (Civ. 21 nov. 1911). Et lorsque ni la jurisprudence antérieure ni les parties au contrat ne créent l’obligation de sécurité à leur charge le juge peut, par dérogation au principe de la liberté contractuelle et au principe de la sécurité contractuelle, en reconnaître une sur le fondement de l’article 1135 du code civil qui pose : « Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature ». Concrètement le contrat oblige les parties à tout ce qui y est écrit (par référence à l’article 1134 alinéa 1 du code civil), mais également à toutes les suites qui en résulte (article 1135). Un manquement à une suite contractuelle peut ainsi engager la responsabilité contractuelle, et ce manquement peut être lié à une obligation de sécurité.
En matière délictuelle, l’insécurité provoquée par une faute ou liée à une négligence engage la responsabilité de son auteur sur le fondement de l’article 1382 en cas de faute prouvée et 1383 pour négligence ou imprudence.
Enfin la responsabilité du fait des produits défectueux des articles 1386 et suivants du code civil, est construite autour de la notion de sécurité. Ce régime engage la responsabilité du producteur lorsque son produit est défectueux. La défectuosité d’un produit est reconnue juridiquement lorsqu’il « n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre », (article 1386-3 du code civil).
1.3 Obligation de sécurité répressive
L’obligation de sécurité répressive sanctionne les comportements dangereux indépendamment du résultat.
Elle se manifeste au travers des infractions dites obstacles, qui sanctionnent les comportements dangereux susceptibles de produire un résultat dommageable. La réalisation du résultat (exemple : homicide), caractérise une autre infraction (exemple : homicide involontaire, article 221-6 du code pénal). En réprimant l’acte principal le législateur entend faire obstacle à la réalisation de cette infraction. Cette catégorie regroupe des infractions de prévention, exemple : association de malfaiteurs, conduite en état d’ivresse, menaces…
L’obligation de sécurité se manifeste également au travers de la catégorie des infractions de mise en danger. Ces infractions permettent la répression, indépendamment du résultat, de comportements créant des risques graves d’atteinte à la vie ou à l’intégrité, et commis par un individu qui ne souhaite pas que ce risque se réalise.
Enfin sur le fondement de l’article 121-3 du code pénal « en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement… » ayant contribué à la réalisation d’une infraction, l’auteur peut engager sa responsabilité pénale.
2. La dérive sécuritaire ?
Tout fait et geste s’accompagnent du spectre juridico-sécuritaire. Dans un souci de sécurité, de protection de la personne humaine, des biens et de la société tout acte déclaré nocif, risqué, toxique, et même inconnu engendre une réaction extrêmement protectrice de l’Etat se matérialisant par l’adoption de mesures préventives et/ ou coercitives.
Fumer une cigarette est dangereux pour la santé, pour sa propre santé et pour celle des autres. La lutte contre le tabagisme se traduit aujourd’hui par le renforcement de l’interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif, initiée par le décret n°2006-1386 du 15 novembre 2006. Depuis le 1er janvier 2008 l’interdiction de fumer s’applique aux lieux dits de convivialité (cafés, restaurants, discothèques, …). Le non respect de cette interdiction expose le fumeur à une amende forfaitaire de 68 euros ou à des poursuites judiciaires.
La prévention routière place l’alcool et la vitesse comme les premières causes d’accidents de la route. Pour responsabiliser les automobilistes sur leur conduite plusieurs campagnes de sensibilisation passent par des images chocs sur les risques d’une conduite incontrôlée. La dernière campagne est un clip sur les dangers de l’alcool intitulé « insoutenable ». Le premier ministre François FILLON a déclaré au début de l’année 2010 vouloir passer sous la barre des 3000 tués sur les routes par an dès 2012. La limitation de la vitesse est contrôlée par une multiplication des radars. Il a été annoncé une installation de 25000 nouveaux radars au rythme de 500 radars chaque année, doublant le maillage actuel. Au premier quadrimestre 2010 il a été enregistré plus de 3 millions de procès- verbaux pour excès de vitesse. Ces radars n’empêchent pas et multiplient de facto le coup de frein sec lorsque le conducteur aperçoit le radar, provoquant ainsi des accidents.
Toujours en matière de sécurité routière, la maîtrise du véhicule est primordiale pour avoir une conduite sûre, et cette maîtrise est notamment assurée par le fait que le conducteur ait ses mains (« à 10H10 ») sur le volant. Pour veiller à la bonne exécution de cette consigne, l’usage du téléphone portable au volant est interdit. Le téléphone a été identifié comme la principale cause de distraction des conducteurs et la quatrième cause de mortalité sur la route. Le non respect de cette mesure de sécurité fait encourir la suppression de 2 points sur le permis et une amende de 35 euros.
Les antennes relais divisent la société scientifique sur la réelle nocivité des ondes rayonnées. Pour autant le juge se base sur le risque sanitaire éventuel pour empêcher l’installation de ces antennes à proximité d’habitation. En se fondant sur le principe selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage », la cour d’appel de Versailles le 4 février 2009 a reconnu qu’il s’agissait d’un « éventuel risque sanitaire » justifiant l’action en réparation et l’action en cessation du demandeur. La société Bouygues Telecom avait saisi la cour de cassation d’un pourvoi à l’encontre de cet arrêt, mais elle s’est désistée. Concernant la réaction de la société Bouygues Telecom, Jean-Victor Borel, maître de conférences, a souligné le fait que « notre époque est en train de devenir celle de la responsabilité-anticipation », reprenant l’idée notamment développée par C. Thibierge, in Avenir de la responsabilité, responsabilité de l’avenir (D. 2004, p. 577).
Ces décisions ont d’ailleurs permis l’émergence et la reconnaissance du principe de précaution illustrant cette responsabilité-anticipation qui engage une responsabilité sur le fondement du risque encouru et non plus exclusivement sur la réalisation d’un dommage certain.
La pandémie du virus H1N1 a conduit le gouvernement à lancer un plan anti-grippe A en été 2009 : achat de 94 millions de doses de vaccins, stockage important de l’antiviral Tamiflu, de masques, grande commercialisation de gel antibactérien et campagne de sensibilisation importante sur les gestes d’hygiène pour réduire la contamination. L’éternuement d’autrui qui ne mettait pas ses mains devant la bouche le faisait passer pour un criminel. Puis début 2010 : résiliation de l’achat de 50 millions de doses de vaccins…et atténuation du plan anti-grippe A.
L’excès sécuritaire mets en danger les règles élémentaires de la sécurité. Mais surtout cet excès sécuritaire remet implicitement et plus sournoisement les bases de notre société. Dans notre société avant tout démocratique où la liberté n’est-elle pas le principe et l’interdiction l’exception. ?
Sources :
a. www.sécurité-routière.gouv.fr
b. www.lefigaro.fr
c. La semaine juridique