Le système commercial multilatéral désigne un ensemble de principes et de règles que les États membres sont tenus de respecter dans leurs relations commerciales. Ces principes et règles, élaborés, il y a plus d’un demi siècle, par l’Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce, GATT en 1947, ont été renforcés par la création de l’Organisation Mondiale du Commerce, OMC suite au cycle de l’Uruguay. L’OMC est le symbole et le gardien du système commercial multilatéral qui repose sur les principes sacro-saint dont un commerce sans discrimination, un commerce plus libre, un commerce prévisible, un commerce plus concurrentiel et plus favorable aux pays les moins avancés (1).

En se fondant sur ces principes, l’adoption en 2006 et l’entrée en vigueur en 2007 du règlement dit « REACH » (2) de l’Union européenne ,UE, un des grands marchés mondiaux, ont suscité de remous et tensions au sein du système commercial multilatéral, considéré de ce fait comme un obstacle technique au commerce. Le règlement REACH fournit un cadre législatif complet en matière de fabrication et d’utilisation des produits chimiques en Europe. Il transfère la responsabilité de veiller à la sûreté des produits chimiques fabriqués, importés, commercialisés et employés dans l’UE des autorités publiques au privé. Son objectif principal est d’améliorer le niveau de protection de la santé et de l’environnement tout en renforçant la compétitivité et l’innovation dans l’UE.

Ainsi, peut -on se demander, face à l’évolution du système commercial multilatéral, et au vue de 10 ans de mise en œuvre de ce règlement, quel est son impact sur le système commercial multilatéral ? Il s’avère alors que le règlement REACH, considéré par un bon nombre des États membres comme un obstacle technique au commerce, a tenu tête aux règles et principes de l’OMC à tel point qu’il a pu influencer les États membres à pouvoir adapter leurs législations internes au motif de ne pas perdre le premier des grands marchés mondiaux, l’UE.


Règlement REACH: obstacle technique au commerce ?


Au sein de l’OMC, l’accord sur les obstacles techniques au commerce a pour but d’éviter que les normes et règlements techniques ainsi que les procédures d’essai et de certification ne soient utilisées pour créer des obstacles au commerce (3). Seules des mesures prises sur la base des normes internationales pertinentes sont conformes au droit de l’OMC (4).

Le règlement REACH , même si son objectif principal est d’améliorer le niveau de protection de la santé et de l’environnement tout en renforçant la compétitivité et l’innovation dans l’UE, il prévoit notamment : (i) un enregistrement obligatoire des substances avec la transmission d’un dossier à la nouvelle Agence européenne sur les produits chimiques (ECHA); à cet effet, presque plusieurs enregistrements des substances produites ou importées d’abord à 1000 tonnes ou plus par an ont été effectués dès 2008 et aussi fin 2013 substances de 100 et 1000 tonnes et d’ici 2018 substances des petites quantités; (ii) une évaluation des dossiers par cette Agence avec la collaboration des Autorités compétentes des États membres; une procédure d’autorisation pour les substances dites « extrêmement préoccupantes ».

De ces dispositifs, plusieurs inquiétudes ont été soulevées dès l’origine par les États-Unis, la Chine, l’Argentine et tant d’autres membres. Ces derniers continuent à exprimer des préoccupations au sujet du règlement REACH. Cette question a été examinée au cours de plusieurs réunions du Comité Obstacles Techniques au Commerce, OTC de l’OMC, et pour la première fois en mars 2003 (5). A cette réunion, plusieurs membres ont fait observer que REACH pénaliserait les industriels basés en dehors de l’UE, ses procédures paraissent très complexes pour les PME, et fausserait la concurrence du fait que les informations relatives à la composition, voire certains usages, des molécules sont jugées stratégiques et confidentielles au vue des sociétés doivent faire objet d’enregistrement et évaluation.

Autrement dit, la question de la conformité du règlement REACH avec les règles de base de l'OMC est posée avec le principe de non-discrimination par exemple : aucun pays ne doit établir de discrimination ni entre ses partenaires commerciaux, ni entre ses propres produits, services et ressortissants, d'une part, et les produits, services et ressortissants étrangers, d'autre part. Un autre exemple, c’est avec le principe de prévisibilité, c’est dire que les sociétés, investisseurs et gouvernements étrangers doivent avoir l'assurance que les obstacles au commerce ne sont pas appliqués de façon arbitraire. Un autre encore est celui de transparence, ce qui revient à dire que les règles commerciales des pays doivent être aussi claires et accessibles au public que possible.

REACH selon l’UE, son objectif principal  est d’améliorer le niveau de protection de la santé et de l’environnement tout en renforçant la compétitivité et l’innovation. Pour l'OMC alors, les questions touchant l'environnement et le développement durable entrent bien dans ce cadre si l'on prouve que les mesures prises ne sont pas appliquées arbitrairement et qu'elles ne constituent pas une forme déguisée de protectionnisme. Ce règlement n’ayant toujours pas été à l’abri d’une plainte, certains États membres sont toujours contre le REACH et d’autres ont simplement décidé dans le souci non seulement de ne pas perdre le premier marché mondial mais aussi de protéger l’environnement et de suivre le pas de l’UE.


Règlement REACH: source d’inspiration pour les législations des États membres de l’OMC


L’UE a survécu au risque d’isolement en adoptant le règlement REACH (6), car même s’il a pu résister aux critiques des Membres de l’OMC, qui jusqu’à ce jour, aucune plainte formelle n’a été déposée au sein de l’Organe de Règlement de Différend, ORD , continue néanmoins à inspirer les législations internes des autres Membres. Se basant sur une raison plus importante qui est la protection de la santé et de l’environnement tout en préservant la compétitivité et l’innovation, plusieurs autres Membres ont voulu adapter leur législations respectives pour ne pas perdre les avantages tirés du marché européen.

L’on peut citer l’exemple de deux autres grands marchés mondiaux. Il s’agit de la Chine et les États-Unis. La Chine avec son REACH made in China dénommé « Measures on environmental management for the new chemical substances », adoptées en 2003, et en vigueur depuis 2010, prévoit par exemple, la procédure qui comprend la notification des tonnages utilisés, la réalisation d'études écotoxicologiques et la validation par une autorité des résultats. Quant aux États-Unis, depuis décembre 2015, le sénat américain avait adopté une reforme totale de l’intangible loi « Toxic Substances Control Act », TSCA, de 1976 par une nouvelle dénommée le « Chimical safety Reform » ou « Safe Chimical Act ». Cette nouvelle loi se rapproche du REACH en ce que par rapport au TSCA qui souffrait des mêmes problèmes d'efficacité que la législation européenne antérieure à REACH n'a pu étudier elle-même qu'environ 200 molécules sur plus de 60.000 enregistrées. Avec la reforme, le « Safe Chimical Act » étudie plus de 80 000 substances et consacre des procédures de notification à européenne.

Que REACH soit une référence pour les autres, une préoccupation demeure. Elle consiste à savoir si au sein même de l’OMC, les questions environnementales sont-elles réglées? CARREAU et JUILLARD nous renseignent qu’ il y a une absence d’intégration des questions environnementales au sein de l’OMC même s’il existe une certaine approche positive en ce sens qu’elles font partie d’exceptions générales de l’article XX et aussi la jurisprudence de l’OMC semble peu favorable à l’environnement (7).

Il s’avère alors que les mesures environnementales prises par les Membres sont en principe licites au vue de l’OMC à condition toutefois de ne pas établir des discriminations arbitraires ou injustifiables ou de relever d’un protectionnisme déguisé. Il y a au sein de l’ORD des conflits entre d’une part des considérations environnementales et d’autre part la liberté des échanges. Celles-ci, pensent CARREAU et JUILLARD, a eu tendance à triompher parmi les grandes causes célèbres en la matière: « Essence nouvelle et anciennes formules en 1996 », « Hormones en 1997 », « Crevettes en 1998 », « Saumons en 1998 » et « Amiante en 2001 », seule l’Amiante a donné satisfaction aux défenseurs de l’environnement (8).

Ce qui nous laisse croire que même si une plainte allait être déposée contre le règlement REACH, ce dernier n’aurait pas pu résister devant l’ORD car considérations commerciales semblent encore primer sur la protection de l’environnement et de la santé.

Références

1.CARREAU D. et JUILLARD P. , « Droit international économique », 5è Ed, Dalloz, Paris 2013, pp 88, 198-230

2. Règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH «Registration, Evaluation, Authorization of Chemicals»), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO L 136 du 29.5.2007, p. 3-280).

3. « Traités du Droit du commerce international », sous la direction de BEGUIN J. et MENJUCQ M. , 2è Ed , LexisNexis, Paris, 2011, pp 100-103

4.Idem

5. « Les produits chimiques et les jouets au centre des problèmes commerciaux des membres », OMC Nouvelle 2008 in
https://www.wto.org/french/news_f/news08_f/tbt_20march08_f.htm consulté le 10 octobre 2017

6.En 2013, la Commission européenne a évalué les cinq premières années d’application du règlement REACH et a conclu qu’aucune révision importante n’était nécessaire avant la date butoir du 1er juin 2018 pour l’enregistrement de certaines substances.

7.CARREAU D. et JUILLARD P. , op cit, p. 403-404

8. Idem