1. Une élaboration « hors-norme »

Une modernisation des secteurs de l’agriculture et de la pêche est apparue nécessaire à la fin de l’année 2009. Deux facteurs contextuels l’expliquent.
D’une part ces secteurs sont en crise. En effet, en moyenne en 2009, les revenus des agriculteurs ont baissé de 34% selon une étude prévisionnelle de l’INSEE en date du 14 décembre 2009 . Tandis que les prix du marché de l’agriculture et de la pêche ont considérablement chuté, les coûts de production ont diminué dans de moindres proportions.
D’autre part, ces secteurs doivent se préparer à subir des évolutions notoires au regard des politiques européennes qui interviendront en 2012 et 2013. Notamment la future Politique agricole commune (PAC 2013), encore en discussion à l’heure actuelle.
Dans ce climat difficile et incertain, le ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche, Bruno Le Maire, a envisagé un projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche (LMAP) dès septembre 2009 et l’a proposé en Conseil des ministres en janvier 2010.
Ce projet de loi a été élaboré en plusieurs étapes. Il a été l’occasion pour diverses parties prenantes d’intervenir dans l’élaboration de la loi. En effet, une grande concertation a été lancée le 14 septembre 2009 pour une durée d’un mois. Ce « Grand Débat » a réunis des responsables professionnels et institutionnels, représentants d’ONG et de la société civile, mais encore des parlementaires, associations de consommateurs, acteurs du secteur agroalimentaire et de la distribution. Cinq groupes de travail ont alors été formés autour des thèmes : alimentation, compétitivité et revenus, agriculture durable et territoires, PAC 2013 et pêche. Chacune des parties susvisées a choisi son groupe de travail afin d’échanger sur ces sujets et d’y faire des propositions en vue de l’élaboration de la loi. Les internautes ont également eu l’occasion de participer au débat via internet sur le site : www.parlonsagriculture.com L’ensemble de ces échanges devait permettre de recueillir le plus de propositions possible, auprès des personnes concernées, pour ensuite les intégrer dans le projet de loi.
Ainsi, un projet de loi a été déposé en Conseil des ministres en janvier 2010. Il a fait l’objet d’une procédure accélérée (une seule lecture par assemblée) et a été adopté par le Sénat le 12 juillet 2010 et par l’Assemblée nationale le jour suivant. La loi n° 2010-874 relative à la modernisation de l’agriculture et de la pêche a été promulguée le 27 juillet 2010.
Ce choix dans la conception de la loi n’est pas sans rappeler la loi Grenelle 1 qui a également fait l’objet d’une participation des parties prenantes. Cette nouvelle tendance dans l’élaboration des lois donne tout son sens au concept de « démocratie participative ». Cette méthode en principe à un sens, à savoir se rapprocher des citoyens et faire des lois dont ils se sentent concernés. Toutefois, il faut espérer qu’il ne s’agisse pas d’une simple affaire d’image et de communication du Gouvernement. L’expérience a montré que l’intervention des diverses personnes intéressées dans l’élaboration de la loi Grenelle 1 avait permis d’aboutir à un texte plein de bonnes intentions. Toutefois, sa mise en œuvre de par la loi Grenelle 2, qui n’a pas fait intervenir ces mêmes intéressés, est vivement décriée par ces derniers. Il faut oser croire que le sort de la LMAP ne sera pas le même et pour cela il faudra attendre les décrets d’application de la loi.

2. Le contenu de la LMAP

La loi s’articule autour de quatre objectifs principaux :
- Instaurer une politique alimentaire ;
- renforcer la compétitivité du secteur agricole ;
- stabiliser les revenus des agriculteurs ;
- lutter contre la disparition des terres agricoles.
Cette loi a donc vocation à répondre aux difficultés tenant à l’instabilité des marchés alimentaires, aux menaces sanitaires, au respect de l’environnement, au défi énergétique, mais encore à la nutrition et la santé, sans compter la nécessité de se préparer au regard des échéances européennes (PAC 2013) et mondiales (vers un accord en 2010 relatif au cycle de Doha).
Dans ce sens, la loi est organisée en huit titres :
- Définir et mettre en œuvre une politique publique de l’alimentation ;
- renforcer la compétitivité de l’agriculture et stabiliser les revenus des agriculteurs ;
- améliorer la compétitivité des exploitations ;
- favoriser et accompagner l’installation ;
- inscrire l’agriculture et la forêt dans un développement durable des territoires ;
- simplifier les procédures et adapter le droit ;
- moderniser la gouvernance de la pêche maritime et de l’aquaculture ;
- dispositions particulières aux outre mer.
Reprenons les éléments majeurs de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche n° 2010-874.

3. Sur l’introduction d’une politique nationale de l’alimentation dans le Code rural

La LMAP modifie le Code rural en y introduisant la thématique de l’alimentation. Le livre II du code précité s’intitule désormais « Alimentation, santé publique vétérinaire et protection des végétaux » au lieu de « Santé publique vétérinaire et protection des végétaux ». Son titre III est ainsi rédigé : « Qualité nutritionnelle et sécurité sanitaire des aliments » et intègre un chapitre préliminaire relatif à la politique publique de l’alimentation.
Cette politique « vise à assurer à la population l'accès, dans des conditions économiquement acceptables par tous, à une alimentation sûre, diversifiée, en quantité suffisante, de bonne qualité gustative et nutritionnelle, produite dans des conditions durables. Elle vise à offrir à chacun les conditions du choix de son alimentation en fonction de ses souhaits, de ses contraintes et de ses besoins nutritionnels, pour son bien-être et sa santé ». Pour cela le Gouvernement mettra en place un programme national pour l’alimentation. A titre d’exemple, une des mesures concrètes sera de faire respecter dans les cantines des collectivités, les règles nutritionnelles.
Dans cette mouvance, il existe déjà aujourd’hui des mesures comme le programme national « Nutrition santé », « 5 fruits et légumes par jour », ou encore les dispositions de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 (article 30) permettant d’interdire les distributeurs de sodas et confiseries dans les établissements scolaires pour lutter contre l'obésité infantile.
Si l’introduction du thème de l’alimentation dans le Code rural a un but louable, tout reste encore à faire. Comment sera mise en œuvre concrètement la politique nationale de l’alimentation ? Il y a fort à parier qu’elle s’inspirera de ce qui a déjà été fait en la matière. Mais est ce à une loi de suggérer aux français, à titre d’exemple, de « Bien manger et bouger plus » ? Effectivement, la LMAP prévoit au niveau du plan national de l’alimentation des domaines d’actions. Ainsi, il sera intéressant de voir comment le Gouvernement assurera, à titre d’exemple, la « qualité gustative des produits agricoles ». Ou encore la « sécurité sanitaire des aliments » alors que dans le même temps il est critiqué pour avoir réduit les effectifs des agents d’inspection sanitaire .

4. Sur l’amélioration de la compétitivité du secteur agricole

Le renforcement de la compétitivité de l’agriculture française est également un thème très important traité par la LMAP. En ce sens, la loi offre la possibilité de rendre obligatoire, par accord interprofessionnel ou par décret en Conseil d’Etat, la conclusion de contrats écrits entre producteurs et acheteurs ou industries. Ces contrats stipuleraient les volumes, les prix et la durée des engagements. Cette contractualisation devrait protéger les agriculteurs des fluctuations du marché. Ici encore le Code rural est modifié pour intégrer dans son Chapitre I, Titre III, Livre IV, une Section 1 intitulée « Les accords interprofessionnels à long terme ». Il s’agit de développer le recours à un contrat écrit pour gérer les relations entre les producteurs et l'aval des filières.

Les dispositions de la loi sur ces contrats sont ainsi rédigées : « La conclusion de contrats de vente écrits entre producteurs et acheteurs, ou entre opérateurs économiques mentionnés au premier alinéa de l'article L. 551-1, propriétaires de la marchandise, et acheteurs, peut être rendue obligatoire pour les produits agricoles destinés à la revente ou à la transformation. Ces contrats écrits comportent des clauses relatives à la durée du contrat, aux volumes et aux caractéristiques des produits à livrer, aux modalités de collecte ou de livraison des produits, aux critères et modalités de détermination du prix, aux modalités de paiement et aux modalités de révision et de résiliation du contrat ou au préavis de rupture. Ces clauses prévoient l'interdiction, pour les acheteurs, de retourner aux producteurs ou aux opérateurs économiques mentionnés au premier alinéa les produits qu'ils ont acceptés lors de la livraison ; cette interdiction ne s'applique pas en cas de non-conformité des produits à des normes légales ou réglementaires. Sauf stipulations contraires, ces contrats sont renouvelables par tacite reconduction pour une période équivalente à celle pour laquelle ils ont été conclus. Ils peuvent être rendus obligatoires […] ».

Plus précisément, les accords professionnels ou décrets sus visés, fixeront par produit ou catégorie de produits et par catégorie d'acheteurs, la durée minimale des contrats qui est de un à cinq ans, ainsi que les modes de commercialisation pour lesquels une durée inférieure sera admise. Si la méthode de la contractualisation paraît judicieuse, elle n’est pas la loi dispose qu’elle peut le devenir dans les conditions envisagées ci-dessus.

Toujours dans l’objectif d’améliorer la compétitivité du secteur agricole, la loi met en place un fonds national de gestion des risques afin de participer au financement des dispositifs de gestion des aléas climatique, sanitaire, phytosanitaire et environnemental .
Ce fonds sera financé par une contribution supplémentaire versée par l’ensemble des agriculteurs, aux assureurs. La contribution additionnelle est assise sur la totalité des primes ou cotisations versées. Son taux est fixé à 11 % de ce montant. Elle sera également financée par une contribution additionnelle particulière applicable aux exploitations conchylicoles et par une subvention inscrite au budget de l’Etat.


5. Sur les autres mesures phares de la LMAP


La loi vise l’amélioration de la sécurité alimentaire par le renforcement de la traçabilité des produits, la diversification et la recherche de qualité.

Dans le cadre de la lutte contre la disparition des terres agricoles, la loi détermine les moyens de mettre en œuvre une véritable politique de préservation du foncier agricole en s'appuyant au niveau intercommunal sur les schémas de cohérence territoriale. Effectivement, la disparition des terres agricoles a doublé depuis les années soixante, passant de 35 000 hectares de terres agricoles consommés chaque année, à 75 000. L’objectif est de réduire de moitié le rythme de consommation des terres agricoles d'ici 2020.
Pour cela, la LMAP met en place trois instruments :
- un Plan régional de l’agriculture durable (PRAD) qui fixe les grandes orientations de la politique agricole, agroalimentaire et agro-industrielle de l'Etat dans la région en tenant compte des spécificités des territoires ainsi que de l'ensemble des enjeux économiques, sociaux et environnementaux ;
- un Observatoire de la consommation des espaces agricoles (OCEA) qui élabore des outils pertinents pour mesurer le changement de destination des espaces agricoles et homologue des indicateurs d'évolution ;
- une Commission de la consommation des espaces agricoles qui peut être consultée sur toute question relative à la régression des surfaces agricoles et sur les moyens de contribuer à la limitation de la consommation de l'espace agricole.


Enfin, une taxe sur la cession à titre onéreux de terrains nus ou des droits relatifs à des terrains nus rendus constructibles est instaurée. La loi n’en dit pas plus sur la taille des terrains et la nature des cessions concernées. Il semble qu’il faille comprendre que l’ensemble des terrains vendus à des fins de construction seront taxés. Effectivement il semble peu probable que de petits terrains en campagne très isolés soient vendus à cet effet, il s’agira certainement de taxer les ventes de grandes parcelles par de gros promoteurs immobilier. Cette taxe suffira peut-être à faire reculer la perte de terres agricole. Mais il est plus probable qu’elle conduise les propriétaires à réduire les prix de vente des terrains.
Le produit de cette taxe est affecté à un fonds finançant des mesures pour l’installation des jeunes agriculteurs inscrit au budget de l'Agence de services et de paiement. Ce fonds finance des mesures en faveur des jeunes agriculteurs visant à faciliter l'accès au foncier et à développer des projets innovants.

La loi est beaucoup moins développée vis-à-vis du secteur de la pêche et l’aquaculture. Elle dote les filières pêche et aquaculture d'outils rénovés de gouvernance et favorise le développement de l'aquaculture. Ainsi, elle créée un Conseil supérieur d'orientation des politiques halieutique, aquacole et halio alimentaire « qui participe par ses avis à la définition, la coordination, la mise en œuvre et l'évaluation des politiques de gestion de la ressource, d'orientation des structures, de la production, de la transformation et de la commercialisation, d'organisation des marchés, de formation, d'emploi, de relations sociales et de recherche ».

La mise en œuvre de cette loi nous dira si le Gouvernement est meilleur en communication que dans la mise en application de la loi, ou s’il répond aux exigences de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010 et donc aux attentes des citoyens.


Pour aller plus loi :

- Projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche (site de l’Assemblée nationale et du Sénat),

- Rapport n° 436 déposé le 6 mai 2010 par MM. Gérard César et Charles Revet, au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (1) sur le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche,

- Loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche sur www.legifrance.gouv.fr