L’affrontement des différentes conceptions du principe de précaution : sécurité contre innovation


Le principe de précaution fait débat ; entre la volonté d’assurer la sécurité de tous au maximum et le frein qu’il représente pour l’innovation, ce principe admet des conceptions variées.
Apparu depuis le Sommet de la Terre de Rio de 1992, le principe de précaution est défini en droit français à l’article 5 de la Charte de l’environnement adossée à la constitution ainsi : «Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veilleront, par application du principe de précaution, et dans leurs domaines d'attribution, à la mise en oeuvre de procédures d’évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».



La question est : où placer le niveau « seuil » du principe de précaution ?
Doit-on accepter un logique de risque zéro, avec pour conséquence un frein au développement de toutes nouvelles technologies et recherches scientifiques ?
En terme de sécurité sanitaire la question est délicate : peut-on permettre un risque pour la santé humaine, ne serait-ce qu’infime face à des logiques économiques ?
A cela le responsable de la division « ouverture à la société » de l’IRSN, François Rollinger répond que ''c’est la noblesse du décideur politique d’arbitrer sur le niveau du risque que l’on peut tolérer''. En d’autres termes, les délimitations du principe de précaution doivent être faites par les autorités publiques. Quel enjeu ? Comme l’a souligné Béatrice Parance ( Cour d’appel de Versailles, 4 février 2009 commentaire dans semaine juridique générale) les dérives occasionnées par l’application du principe de précaution par le juge judiciaire témoignent d’une nécessité de réglementer son application, notamment dans le fameux débat des antennes relais. Il est vrai que l’invocation du principe de précaution a pu être invoqué et permettre le démantèlement d’antenne relais en raison du risque sanitaire qu’elles occasionnent. Mais si ce risque peut être admis de manière objective, à partir de quelle distance ce risque cesse t’il d’exister ? Est-ce vraiment au juge judiciaire de déterminer à partir de quand exactement le risque disparaît-il ? Il apparaît alors pour des logiques de sécurité juridique et d’égalité, qu’une norme doive être imposée par les autorités publiques, et donc ainsi que le principe de précaution soit mis en œuvre par ces dernières.
Pour autant, la crainte du principe de précaution est plus large que la question de son application par le juge judiciaire.
Ainsi, dans le rapport de 2007 « Un grand désarroi : l’expérience du principe de précaution par les industriels » de François Ewald on peut lire que « ''Si le principe de précaution est perçu comme une telle menace par les industriels, c’est parce qu’il signifie ou implique pour eux un changement de logique, le passage du progressif, ou plus exactement le sentiment que, à l’occasion d’une reconnaissance du principe de précaution, les pouvoirs publics pourraient brusquement changer de logique, interdire ce qui jusqu’alors était permis, et cela sans qu’on puisse vraiment l’anticiper. C’est, pour les industriels, comme si on les plaçait sous une épée de Damoclès ». Les scientifiques quant à eux redoutent cette intrusion juridique dans la science qui pourrait freiner et freine la recherche. Le directeur de recherche de l’INRA, Michel Caboche a d’ailleurs pu dire que « le recours au principe de précaution aboutit à l’interdiction, au blocage de la recherche scientifique, alors que la meilleure réponse est l’expérimentation. Il faut mettre des garde-fous à l’application de ce principe. Le progrès de la connaissance est le meilleur moyen de contrer le danger ».
Face à cette déclaration c’est la sensation inverse qui est ressentie par la société civile, qui a tendance à se méfier de la science.
Si le débat du principe de précaution pousse à de vives critiques, il faut néanmoins souligner la nécessité du principe face à des situations telles que le scandale de l’amiante, désastre humain et financier. Le point qui fait débat est inhérent au principe de précaution : l’incertitude du risque de dommage grave et irréversible.
Alors comment préciser les contours du principe afin d’éviter ses effets néfastes ? Sans doute faudrait-il associer les pouvoirs publics à la société scientifique, ce qui par là-même éviterais une jurisprudence éparse et fluctuante. Dans cette lignée, le 1er juin 2010 un séminaire parlementaire souligne la nécessité d’un texte de précision et rejette formellement l’idée d’abroger le principe de précaution., tout comme la secrétaire d’Etat à l’écologie, Chantal Jouanno qui a assuré que « c’est un principe sur lequel on ne reviendra pas ».