Le trouble anormal de voisinage où comment la responsabilité de l'agriculteur peut être mis en jeu dans le cadre d'une pollution
Par JIMMY HUSSON
Posté le: 22/06/2010 19:42
La connaissance des installations classées de protection de l'environnement connues sous le sigle de ICPE amène à s'interroger sur la question de la responsabilité civile de l'agriculteur dans ce cadre mais sous l'angle du trouble anormal de voisinage. Cet aspect est intéressant dans la mesure où l'agriculture française est marquée par les systèmes d'exploitation de polyculture-culture voire de spécialisation chère à Ricardo comme l'élevage porcin, avicole lesquels peuvent se réaliser dans un mode de production intensif qui génère des risques de pollution compte tenu des excès qui peuvent en résulter.
Ainsi un arrêt de la Cour d'appel de Pau en date du 14 octobre 2002 évoque cet aspect à travers la pollution d'une pièce d'eau par des nitrates provenant d'un élevage de porcs et entraînant la perte de poissons.
La Cour d’appel d’Agen vient de rendre un arrêt le 20 janvier 2010 rendue par la chambre civile retenant le caractère rural pour débouter des riverains. Dans ce dernier arrêt l’éleveur a gagné son procès du fait qu'il a « participé activement à construire un dossier technique complet. Celui-ci doit être étayé par des documents et selon une méthodologie particulière ». Or, si les jurisprudences défavorables aux intérêts de l’élevage ont pu se développer, c’est grâce à la prise en charge des contentieux par les assurances protections juridiques qui ont proposé aux éleveurs des avocats « gratuits ».
Aussi il convient de connaître les caractéristiques puis les bases juridiques du trouble anormal de voisinage .
1- Les caractéristiques du trouble anormal de voisinage:
La jurisprudence s’appuie sur différents critères pour apprécier l’inconvénient anormal de voisinage autrement dit sur la durée, à savoir l’intensité et la répétition d’un bruit ainsi que s’il a lieu le jour ou la nuit;puis la répétition d’un fait (par exemple les barbecues ne sont pas un inconvénient anormal dans la mesure où cela reste occasionnel et ne noircissent pas le mur du voisin) ; puis le lieu (par exemple la proximité d’un élevage respectueux du règlement sanitaire et dont le bruit, les odeurs sont normales en milieu rural). De là, deux choses émergent à savoir le non respect de la loi ou de la réglementation. Cela constitue une faute qui peut donner lieu à des dommages et intérêts ; ou bien si il existe une faute de loi ou de réglementation, le juge apprécie alors l’anormalité du trouble.
En outre, les troubles peuvent donner lieu à réparation dès lors qu'ils ont un caractère anormal.
Ainsi la présence d'élevage hors sol (élevage de porcs CA Montpellier 12 mars 2002), de troupeaux (présence d'un troupeau de 200 moutons entraînant des odeurs persistantes alors qu'il aurait pu être placé plus loin ,CA Aix 24 juin 1985) ou de tas de fumiers (CA Douai 6 mars 2003) peut être la source d'un trouble anormal de voisinage même à la campagne. Il a été jugé qu'un épandage de lisier à l'origine d'une odeur pestilentielle était la source d'un trouble anormal de voisinage même en l'absence d'infraction aux règlements (CA Agen 26 février 2003). Un éleveur de bovins a été condamné à reculer ses silos nauséabonds à cent mètres d'une habitation (CA Limoges 19 février 2003).
Le caractère visuel est à considérer. Ainsi l'enlaidissement du paysage, la perte d'ensoleillement ont ce caractère. Il a été jugé que la construction d'un hangar enlaidissait le paysage et que cet enlaidissement constituait un trouble anormal de voisinage. (CA Montpellier 26 juillet 2000). La démolition du hangar inesthétique et supprimant la vue sur la campagne avoisinante a pu être ordonnée (CA Riom 20 février 2003). En revanche la présence d'un tas de jerry cans dans le champ de vision ne constituait pas un trouble anormal (CA Reims 10 octobre 2002) mais il n'est pas impossible de trouver une décision en sens contraire car la présence d'épaves constitue un trouble anormal (CA de Bordeaux 26 août 1986). La construction d'un hangar agricole à proximité d'une résidence secondaire entraînant une perte d'ensoleillement peut constituer un trouble de voisinage (CA Montpellier 26 juillet 2000 - démolition ordonnée ; CA de Dijon 29 juin 1989) Dans ces deux espèces les cours d'appel ont retenu qu'il était possible de prévoir une implantation différente des hangars.La présence d'obstacles (tas de bois, CA de Bordeaux 26 août 1986) ou de constructions (hangar, CA Montpellier 26 juillet 2000) limitant la vue ont été considérés comme des troubles anormaux de voisinage.
Compte tenu de l'activité agricole il résulte des inconvénients comme le bruit. Toutes sortes de bruits peuvent être sanctionnés par la jurisprudence. Les cris d'animaux sont tous visés (élevage de chiens, CA Aix 4 septembre 2000) chants du coq dès 6 heures du matin ganganement des oies gloussement des dindons, CA Paris 21 novembre 2000). Même à la campagne le cocorico d'un coq matinal peut être jugé insupportable (CA Dijon 2 avril 1987). La jurisprudence n'est pas homogène, certaines cour ont considéré que le cri du coq était normal à la campagne (CA Besançon 4 février 2000). Le bruit peut être également celui de machines, ou de moteurs (moteur destiné à l'irrigation d'une parcelle de légumineuses , CA Agen 19 mai 1994) ou encore celui d'un canon anti étourneaux (déflagration toutes les 66 secondes, CA Caen 27 février 2001). La présence d'insectes provoquée par la présence d'un troupeau d'ovin peut constituer un trouble anormal (CA Aix 24 juin 1985).
De fait le trouble anormal de voisinage s'est constituée par la jurisprudence. A présent il convient de voir celui-ci sous l'angle des lois.
2- La base juridique des troubles de voisinage
L’article 544 du code civil énonce que « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. » De nombreux cas de jurisprudence pour trouble anormal sont issus de cet article. Si le propriétaire a le droit d’être au calme et de vivre en bon voisinage, ceci vaut aussi bien pour son voisin. L’un comme l’autre ne doivent donc pas causer de troubles dépassant les inconvénients normaux de voisinage. La ligne entre les inconvénients normaux de voisinage avec ceux qui sont anormaux est tracée par les lois (les articles R. 1334-30 à R. 1334-37 du code de la santé publique relatifs au bruit de voisinage précisent les seuils d’émergence à ne pas dépasser et les bruits concernés).
En outre les arrêtés préfectoraux, relayés par des arrêtés municipaux rappellent la loi à travers le code de la santé et code général des collectivités territoriales en ce qui concerne le pouvoir et le devoir des maires relatifs à la tranquillité publique - articles L. 2212-2 et L. 2214-4, tout en la précisant (par exemple en indiquant les heures où le bricolage et le jardinage sont autorisés) et à l’adaptant en fonction des spécificités locales.
Il faut par ailleurs tenir compte du règlement sanitaire départemental (voir DDASS) ; les règlements de copropriété et de lotissement. On remarquera que les juges apprécient souverainement.
Pour conclure on notera que dans le monde agricole seuls les juristes maîtrisant à la fois le droit de l’urbanisme , le droit des ICPE et le droit civil peuvent arrêter un argumentaire juridique cohérent et efficace. De fait le droit rural ne résume pas à l'analyse de problèmes de bails ruraux, de droit des sociétés mais bien plus.