La mise en place par l’employeur de moyens visant à faire cesser une souffrance morale au travail est bien encadrée par le juge. En effet, il ressort que si l’absence de mesures visant à remédier à une situation de souffrance morale est de nature à engager la responsabilité de l’employeur sur le fondement de l’obligation de sécurité (Cour de cassation, Chambre sociale, 8 juin 2017, n°16-10.458), la prise de mesures insuffisantes l’est également (Cour de cassation, Chambre sociale, 22 juin 2017, n°16-15.507). Toutefois, un résumé aussi succinct ne saurait suffire car nous serions en présence d’une insécurité juridique. Les questions qui se posent sont alors les suivantes : A quel moment considérer que les dispositions prises sont suffisantes ? Doivent-elles nécessairement aboutir à la résolution du conflit et du trouble pour considérer que les mesures adoptées par l’employeur n’ont pas été insuffisantes ?

En réponse à ces questions, il ne faut pas oublier que l’obligation de sécurité dans le contrat de travail est une obligation de résultat. Cela signifie donc, en premier lieu, que tous les moyens nécessaires doivent être mis en œuvre pour que la sécurité physique et mentale du salarié ou des salariés soit préservée. Dès lors, il n’est pas étonnant que la Cour de cassation ait considéré dans l’arrêt du 22 juin 2017, n°16-15.507, que l’employeur avait manqué à son obligation de sécurité malgré que certaines dispositions eu été prises pour faire cesser le trouble. Dans la mesure où le conflit persistait et avait conduit à un arrêt maladie, l’employeur aurait en effet dû selon les juges proposer une mutation ou encore un changement de bureau au lieu et place d’un licenciement pour inaptitude de la victime. La même solution est retenue dans l’arrêt du 5 juillet 2017, n°15-23.572. La résiliation judiciaire du contrat pour cause réelle et sérieuse est ici prononcée au motifs que l’employeur n’avait pas pris toutes les mesures de prévention et de sécurité pour protéger la santé mentale et physique du salarié, alors qu’il avait parfaitement conscience des nouvelles responsabilités confiées à la victime. En effet, un avenant au contrat imposait à la salariée de saisir la hiérarchie afin de réexaminer la compatibilité de la charge de travail en cas de difficulté. Même si la victime n’avait pas saisi sa hiérarchie comme elle aurait dû le faire, l’obligation de prévention et de sécurité imposait à l’employeur d’être plus proactif dans la préservation de la santé de sa salariée.

En second lieu, il semblerait également que si obligation de résultat il y a, la détérioration de la santé mentale du salarié doit alors impérativement cesser. Faute de quoi la responsabilité de l’employeur sera engagée. Cela implique donc la prise de mesures rapides et efficaces. Au regard de ce constat, la décision rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation du 21 juin 2017, n° 15-24.272, se comprend également. Dans cette affaire, un envoie de mails racistes avait provoqué chez le destinataire un syndrome anxio-dépréssif. Suite à cela, l’employeur avait rapidement agi en sanctionnant l’auteur des messages racistes et en enjoignant ce dernier à présenter ses excuses. Or à partir de ce moment, le harcèlement avait cessé. La demande de résiliation du contrat, faite par la victime, est alors rejetée par les juges au motif que « [le] manquement [à l’obligation de sécurité] ne présentait pas un caractère de gravité suffisant pour empêcher la poursuite du contrat de travail ». A l’inverse, si le harcèlement n’avait pas cessé, la résiliation judiciaire du contrat aurait PU être prononcée pour insuffisance de mesures prises.

En réalité, la Cour de cassation a progressivement réorienté sa jurisprudence et ne semble pas considérer que l’atteinte doit être absolument évitée. La position retenue est plutôt la suivante : l'employeur ne sera condamné que s'il n'a pas pris toutes les mesures de prévention prévues à l'article L4121-1 et L4121-2 du Code du travail. Autrement dit, même si le dommage est survenu, l'employeur n'aura pas manqué à son obligation de sécurité s'il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention imposées par la loi pour faire cesser le trouble (Ch.soc. Cass. 1er juin 2016 n°14-19.702). In fine, l’obligation de résultat est atténuée, elle ne parait plus être de plein droit. Le manquement ne sera pas retenu en toute circonstance en cas de dommage.

Une gestion efficace de la souffrance morale au travail passe donc par des moyens préventifs et curatifs. Ces moyens doivent nécessairement aboutir. Toutefois, si la souffrance morale est le fait d’un autre salarié, l’employeur ne doit pas non plus tomber dans le travers de sanctions disproportionnées ou de mesures disproportionnées. Une gradation doit sans doute être privilégiée. Ainsi, il semblerait que le licenciement de l’auteur du préjudice ne saurait être admis si des mesures alternatives permettraient de faire cesser la souffrance morale de la victime. A moins d’être en présence d’une faute (simple, grave ou lourde). Auquel cas la proportionnalité ne rentrerait pas en ligne de compte. C’est justement la position qu’a adoptée la Cour de cassation en matière de harcèlement sexuel (Cass. Soc 13 juillet n°16-12.493), ce dernier étant considéré comme une faute grave. Une solution similaire pourrait parfaitement être envisagée lorsque la souffrance morale serait le fait d’un autre salarié, tout dépendrai alors des faits.