LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE :
UNE AVANCEE POTENTIELLE POUR L’ENVIRONNEMENT


La Question Prioritaire de Constitutionnalité, entrée en vigueur le 1er mars 2010, a été insérée par un nouvel article 61-1 dans la Constitution, par la combinaison de l’article 46-I de la loi constitutionnelle (n° 2008-724) du 23 juillet 2008 et de l’article 5 de la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution (n°2009-1523). La présentation de cette réforme (I) laisse tout de suite imaginer les répercussions positives qu’elle pourrait avoir en matière environnementale (II).


I – PRESENTATION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

La Question Prioritaire de Constitutionnalité est une véritable avancée (A) permettant aux justiciables de faire valoir leurs droits à l’encontre de lois auparavant presque incontestables (B).


A – UN CONTROLE DE CONSTITUTIONNALITE RESTREINT AVANT LA REFORME

Avant l’instauration de la Question Prioritaire de Constitutionnalité, la vérification de la conformité d’une disposition légale aux droits et libertés garantis par la Constitution était très strictement limitée. Il a enfin été remédié à l’absence de droit pour les citoyens d’invoquer leur propre Constitution et les droits qu’elle leur garantit.

Devant le juge constitutionnel d’abord, la constitutionnalité d’une loi ne pouvait être contrôlée par principe qu’a priori, avant la promulgation de celle-ci (article 61 de la Constitution), et seulement si elle est déférée devant lui par le Président de la République, le Premier Ministre, le Président de l'Assemblée Nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs. Par exception le contrôle pouvait se faire a posteriori, grâce à la technique du contrôle incident, par le biais d’une seconde loi portée devant lui.

Devant les juges ordinaires ensuite, seul un contrôle de conventionnalité des lois (conformité aux engagements internationaux) pouvait être effectué, depuis les fameux arrêts de la Cour de cassation (Société des Cafés Jacques Vabre, Chambre mixte du 24 mai 1975, N°73-13556) et du Conseil d’Etat (Nicolo, CE Assemblée, 20 octobre 1989, N°108243). Les juridictions suprêmes avaient également parfois recours à l’abrogation implicite en écartant les lois non conformes à la Constitution, mais sans jamais pouvoir les abroger.


B – LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE, UNE AVANCEE POUR LA PROTECTION DES DROITS ET LIBERTES

Grâce à la Question Prioritaire de Constitutionnalité, les restrictions antérieures au contrôle et à la garantie des droits et libertés ont été fortement assouplies.

Les disposition régissant la Question Prioritaire de Constitutionnalité sont l’article 61-1 et 62 de la Constitution, la Loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, les deux décrets d’application du 16 février 2010 (l’un relatif aux règles de procédure, et l'autre relatif à la continuité de l'aide juridictionnelle), et le règlement intérieur du Conseil Constitutionnel.

L’article 61-1 de la Constitution dispose :
« Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »

Cette nouvelle procédure permet en effet aux justiciables de faire valoir leurs droits, certes indirectement par le mécanisme de la question préjudicielle -et donc par le biais d’un ou plusieurs juges intermédiaires- par une demande au Conseil Constitutionnel d’abroger les dispositions légales qui porteraient atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.

C’est pourquoi, il est désormais possible de contester toute disposition législative (lois, lois organiques, ordonnances ratifiées par le Parlement et décrets-lois) promulguée même avant le 4 octobre 1958, devant n’importe quel juge, dès lors qu’elle serait contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution. En revanche, les actes administratifs ne sont pas concernés par la Question Préjudicielle de Constitutionnalité.

Voici en quelques lignes l’essentiel de la procédure de la Question Préjudicielle de Constitutionnalité :

La Question Préjudicielle de Constitutionnalité peut par principe être soulevée dans le cadre d’une instance en cours, c’est-à-dire devant une juridiction de l’ordre administratif ou judiciaire, en première instance, en appel ou en cassation (même pour la première fois).

Il s’agit d’une demande formulée à l’initiative des parties (ce moyen n’est pas relevé d’office par le juge), dans un support écrit, motivé et distinct des conclusions (ou du mémoire) au fond, sous peine d’irrecevabilité qui peut être soulevée d’office par le juge mais spontanément régularisée par les parties.

La disposition contestée ne doit pas avoir déjà été déclarée conforme à la Constitution, sauf changement de circonstances de droit ou de fait (par exemple, une modification de la Constitution, ou… la Charte de l’environnement!).

La Question Préjudicielle de Constitutionnalité doit être examinée en priorité et sans délai par le juge, puis transmise dans les huit jours par décision motivée à la juridiction suprême de son ordre, et en principe sursoit à statuer.

Le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation aura alors trois mois pour décider de renvoyer ou non au Conseil Constitutionnel (en cas de défaut le renvoi est automatique).

Les juridictions suprêmes étant saisies directement de la Question Préjudicielle de Constitutionnalité ont également trois mois pour décider de renvoyer ou non au Conseil Constitutionnel.

Une fois saisi, le Conseil Constitutionnel a à son tour trois mois pour rendre sa décision (aucune sanction n’est prévue en cas de retard, si ce n’est le délai raisonnable car la procédure devant le Conseil constitutionnel est soumise à l’article 6 §1 de la Convention EDH). Les observations des parties doivent être produites dans le premier mois, par voie électronique. L’audience est publique, ce qui est nouveau pour le Conseil Constitutionnel et l’a contraint à prévoir des travaux d’aménagement.

Sa décision doit être motivée, puis notifiée aux parties et communiquée aux juridictions et autorités concernées.

L’article 62 alinéa 2 de la Constitution prévoit la portée de cette décision : la sanction de l’inconstitutionnalité d’une disposition est l’abrogation à compter de la publication de la décision, et le Conseil Constitutionnel a le pouvoir de déterminer les conditions et les limites de ces effets (notamment à l’affaire concernée).



II – INTERET DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE EN MATIERE ENVIRONNEMENTALE

Grâce à la Question Préjudicielle de Constitutionnalité, il est désormais possible de faire abroger les dispositions légales contraires à la Charte de l’environnement (A), dans une plus ou moins grande mesure (B).

A - LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE IMPLIQUE LE CONTROLE DE CONFORMITE A LA CHARTE DE L’ENVIRONNEMENT

Le très grand intérêt de cette nouvelle procédure au regard de l’environnement est l’étendue des « droits et libertés que la Constitution garantit».

En effet, il ne s’agit pas des seuls droits et libertés protégés par la Constitution, mais de ceux garantis par l’ensemble des règles formant le Bloc de Constitutionnalité. Parmi celles-ci, la Charte de l’environnement (Loi constitutionnelle du 1er mars 2005, n°2005-205).

Or, la Charte de l’environnement étant très récente, d’innombrables dispositions notamment antérieures sont susceptibles de ne pas y être conformes, ce qui laisse espérer l’abrogation à venir de nombreuses règles nuisibles pour l’environnement et le développement durable.

De plus, la Charte de l’environnement constitue un « changement de circonstances de droit » qui justifie qu’une disposition, ayant déjà été jugée conforme à la Constitution par le Conseil Constitutionnel avant la Charte, soit à nouveau portée devant lui par le biais de la Question Préjudicielle de Constitutionnalité .



B – LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE : VERS UNE APPLICATION DES DROITS, DES LIBERTES, ET PEUT-ETRE DES DEVOIRS POSES PAR LA CHARTE DE L’ENVIRONNEMENT

On peut penser notamment que bon nombre de dispositions feront l’objet d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité sur le fondement des articles 1er (droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé) et 7 (droit d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement) de la Charte.

Il reste à savoir si le Conseil Constitutionnel considérera que les « droits et libertés que la Constitution garantit » comprendront aussi les devoirs, qui sont nombreux à être énumérés dans la Charte de l’environnement.

Il serait alors possible de soulever une Question Prioritaire de Constitutionnalité concernant une disposition qui serait par exemple contraire à la « promotion du développement durable » ou qui ne concilierait pas « la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social » (article 6).

Pourraient encore être abrogées les dispositions permettant de ne pas « prévenir les atteintes qu’une personne est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences » (article 3), ou omettant de contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement (article 4), ou ne respectant pas le principe de précaution (article 5).

Il faut espérer que le Conseil exerce un contrôle strict même sur les dispositions qui renvoient la définition de leurs modalités à la loi.

Les récentes décisions de non conformité du Conseil Constitutionnel au regard de la Charte de l’environnement (dernièrement, la décision n°2009-599 DC du 29 décembre 2009 sur la loi de finances 2010, condamnant les exonérations relatives à la contribution carbone comme étant contraires aux articles 2, 3 et 4 de la Charte (Considérants 79 et 82)) donnent bon espoir de voir une jurisprudence favorable se développer, en faveur de l’environnement.

Encore faut-il pour cela que les praticiens se servent de cet outil, ce qui semble déjà ne pas poser problème, mais aussi que les Cours suprêmes jouent le jeu et renvoient bien les questions au Conseil constitutionnel…

Seule la pratique nous apprendra la véritable mesure de cette avancée sans précédent !



Olivia GAST