« La dématérialisation est la première étape incontournable de toute stratégie de développement durable », a déclaré Eric Boustouller le président de Microsoft France à l’occasion du Salon de l’entreprise durable qui s’est déroulé à Paris les 20 et 21 octobre 2009. Cette démarche s'inscrit en effet d'ores et déjà dans les enjeux de demain et notamment ceux du développement durable. Le premier volume du Livre vert "Dématérialisation, levier de développement durable" publié par Syntec informatique offre une synthèse des différentes voies de développement durable que la dématérialisation apporte. La dématérialisation est la transformation de supports d'informations matériels (souvent des documents papier) en fichiers informatiques (pouvant entraîner la mise en oeuvre du fameux "bureau sans papier" dans une entreprise). Dématérialiser en informatique, signifie transférer sur un support numérique des d’informations qui existent sous forme analogique (papier, film, microfilm). Dans ce cas précis, on parle de la numérisation d’un document. Dans un autre cas, le document est directement crée sous forme numérique et traité comme tel. La dématérialisation peut servir à gérer de façon totalement électronique des données ou des documents qui transitent au sein des entreprises et/ou dans le cadre d'échanges avec des partenaires (administrations, clients, fournisseurs,...). Par rapport à 2008 et selon le cabinet d'études IDC, le marché mondial de la dématérialisation, évalué à 1,66 milliards de dollars en 2009, connaîtrait donc une croissance de 21,1%. Ce marché prend en compte l'ensemble des solutions qui permettent de réduire l'usage du papier au sein des entreprises. Le concept de dématérialisation offre en effet de nombreux avantages aux entreprises, notamment celui d'une promesse d’économie. Mais il s'agit également d'un excellent moyen de commencer à s’engager en faveur du développement durable.
Dans quelle mesure la dématérialisation est-elle un outil au service du Développement Durable ?
Au-delà des bénéfices économiques, la dématérialisation présente de nombreux atouts sociétaux et environnementaux. Le développement de la dématérialisation représente un axe de progrès vers une société bas carbone mais surtout le concept représente un impact sociétal significatif (I). Cependant, afin de s'inscrire efficacement dans une perspective de développement durable, la dématérialisation doit elle-même se conformer au cadre juridique dans lequel elle s'inscrit afin de minimiser ses propres impacts environnementaux et sociétaux (II).


I - La dématérialisation: une réponse à des enjeux de développement durable.

La dématérialisation, non seulement vecteur de croissance économique, est souvent présentée comme un avantage en termes de développement durable, parce qu'elle permettrait de diminuer la consommation de papier, ce qui aurait un impact environnemental positif du fait d'une moindre consommation de bois, d'une moindre déforestation et ainsi d'une réduction de l'empreinte carbone associée (A). Mais il est nécessaire de rappeler que le concept de développement durable repose sur deux piliers fondamentaux, le pilier environnemental, abondamment cité, et l'autre, plus discret, social, relatif à un ensemble de bonnes pratiques, d'une bonne gouvernance s'incrivant logiquement dans une démarche de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) (B).

A – La dématérialisation: progrès vers une économie bas carbone.

Les avantages de la dématérialisation sont multiples en terme d'économie d’argent puisqu'elle s'accompagne d'un accroissement de la productivité grâce au gain de temps permis (échanges, délais de facturation), d'une efficacité opérationnelle (meilleur traçabilité et contrôle) permettant l'amélioration et donc l'augmentation des flux de bien marchands (fournisseurs…) ainsi que d'une réduction des coûts de manière générale notamment des frais (de traitement, d'expédition). Mais elle représente aussi des avantages non négligeables en terme d'économie d'énergie.
La dématérialisation occupe une place importante dans les Green IT et ouvre la voie à de nouveaux comportements et pratiques qui permettent de réduire l'empreinte écologique des entreprises et de la société. Elle conduit, d'une manière générale, à réduire les déchets par exemple les déchets d'emballages, cartouches d'encre ou encore bandes films ou photos analogiques. En effet, la consommation des Technologies de l' Information et de la Communication (TIC) augmenterait de 10% environ chaque année selon une étude de la Commission Européenne parue en 2008 tandis que la consommation de papiers et cartons s'est accrue d'environ 3.3% chaque année sur la même période (lepapier.fr). Ainsi, la dématérialisation d'un nombre croissant de circuits papier par la mise en place de nouvelles applications conduit à la dématérialisation de nombreux supports, échanges, des organisation, des originaux papier, des informations numériques; des processus : dématérialisation des factures fournisseur (invoice processing) mais aussi des ordres de mission, des courriers, des notes de frais, des demandes d'équipements, etc. Ces applications apportent un meilleur service aux utilisateurs tout en diminuant la consommation de papier par les imprimantes et ainsi l'impact énergétique de l'activité de l'entreprise. L'étude «Smart 2020 : Enabling the low carbon economy in the information age» estime le réduction totale d'émissions de CO² liées à la dématérialisation à 500 mille tonnes, en prenant en compte la dématérialisation des documents papier mais aussi celle des autres médias, de la visioconférence et du télétravail. L'autre atout essentiel de cette démarche est qu'elle permet aussi la réduction des besoins de déplacement par la mise en place de ces nouveaux outils logistiques (téléconférence, travail à distance, transactions commerciales autorisant les achats en ligne...). En permettant la limitation des transports de biens et des personnes, la dématérialisation réduit la consommation d'énergie et les émissions de gaz à effet de serre qui y est associée. Cette participation à l'efficacité énergétique des transports (déplacements évités) se retrouve dans d'autres domaines tels que l'aéronautique ou encore l'immobilier (locaux non chauffés). Elle contribue ainsi aux efforts dans le processus de lutte contre le réchauffement climatique. En décembre 2008, le Gouvernement a publié le «Rapport TIC et Développement durable» selon lequel la dématérialisation représenterait un potentiel d'économie de 7 800 millions de tonnes de CO² en 2020 soit près de 30 % des émissions totales de CO². En France, la dématérialisation permettrait de réduire l' impact environnemental de 20,7 millions de tonnes de CO².

B – Impact de la dématérialisation sur le pilier social du développement durable

La dématérialisation, notamment grâce à internet, est au coeur de notre société. Elle facilite ainsi l'accès à l'information et à la connaissance, encourage les échanges permettant le désenclavementtant économique que social de certaines populations (à mobilité réduite) et territoires (zones rurales et pays en voie de développement). Elle représente donc un enjeu important dans la mise en œuvre de nouveaux services numériques et de services de e-gouvernement (e-démocratie, santé, etc.). Elle contribue au bien être social des individus, employés (confort du télétravail, valorisation de certains métiers...) ou citoyens (accessibilité des informations à distance, création de communautés virtuelles...) et participe à une meilleure cohésion sociale. Elle s'inscrit ainsi logiquement dans un démarche de Responsabilité Sociétale des Entreprises. Cette vision globale se retrouve dans les 10 principes du pacte mondial des Nations Unis, et, à l'instar des systèmes de production industrielle qui font l'objet de normes et de certifications pour la protection de l'environnement, sont récemment apparues d'autres normes, telle la SA 8000, élaborée en 1997 par le SAI (Social Accountability International, ex CEPAA, Council on Economic Priorities Accreditation Agency) afin de répondre originellement à la demande des associations de consommateurs, et qui constitue une base de certification éthique fondée sur des grands textes de référence dont la déclaration universelle des droits de l’Homme de l’ONU, et les conventions du Bureau International du Travail. Ainsi d'un point de vue sociétal et de par la dématérialisation, les TIC contribuent au développement de la société dans son ensemble et aide les entreprises et les organisations à renforcer leurs activités, tout en améliorant la prise en compte du développement durable. Elle apporte de nouveaux moyens et espaces d'échange et permet ainsi l'émergence d'une société plus collaborative et réactive, accessible et transparente.


La dématérialisation dispose donc d'un fort potentiel pour contribuer à placer le développement durable au centre des préoccupations des entreprises et des organisations en général. Néanmoins, pour s'inscrire complètement dans une démarche de développement durable, encore faut – il que sa mise en oeuvre ne contrebalance pas les nombreux avantages qu'elle apporte. Et surtout, les véritables enjeux développement durable de la dématérialisation se situent sans doute à un autre niveau...


II – La dématérialisation: alliée contestée du développement durable.

En premier lieu, la protection de l’environnement par la mise en œuvre de la dématérialisation doit, pour être effective, prendre en considération ses propres impacts environnementaux générés par les systèmes d'information qu'elle instrumentalise (A). En second lieu, pour intégrer véritablement le volet social et sociétal d'une démarche de développement durable, la dématérialisation doit prendre en compte son propre impact sur la société (B).

A – Les risques environnementaux de la dématérialisation

La protection de l’environnement par la mise en œuvre de la dématérialisation doit prendre en compte les pratiques des utilisateurs en matière d’impression décentralisée. Bien souvent la mise en œuvre d’un projet de dématérialisation permet une réduction drastique voire une suppression complète de l’impression centralisée. En revanche, les utilisateurs de l’application peuvent, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, être incités à imprimer ce qu’ils reçoivent sur leurs écrans. La dématérialisation contribue par nature à une augmentation phénoménale de la production et de la circulation de l’information. Même si elle favorisera vraisemblablement à moyen terme une diminution de l’usage du papier elle ne traduit pas encore la disparition de l'impression papier. Par ailleurs, la rigueur intellectuelle nécessite également de prendre en considération la question du recyclage des matériels informatiques utilisés pour les applications de dématérialisation. C’est à ce prix que l’on obtiendra réellement un bilan écologique équilibré de la mise en œuvre de la dématérialisation. C'est ici que toute la dimension «Green IT» de la dématérialisation a toute sa place. En effet, selon l'étude publiée par le cabinet Gartner en avril 2007, les TIC contribueraient à 2% des émissions mondiales de CO². Elles sont synonymes de consommation d'énergie et d'électricité. De plus, la fabrication des matières électroniques et informatiques est polluante et génère d'importantes quantités de déchets polluants ou toxiques alors même que la filière de récupération de ces Déchets d'Equipements Electriques et Electroniques (DEEE) des professionnels n'est pas encore assez performante pour y faire face. Il est donc nécessaire dans la mise en oeuvre de la dématérialisation de veiller à ce que les structures informatiques soient conçues, utilisées et éliminées dans le respect de l'environnement ( prise en compte de la réglementation : directive ROHS et REACH et prise en compte du développement durable à toutes les étapes du cycle de vie: conception, usage et recyclage).Sans ces considérations, la dématérialisation aura l'effet inverse de celui escompté.

B – Les risques de déstabilisation de la société générés par la dématérialisation

La dématérialisation a des impacts sociaux et sociétaux positifs à condition de ne pas laisser s'installer une fracture numérique entre ceux qui ont acces aux TIC et ceux qui en sont privés: il est donc nécessaire de former et d'équiper les populations afin que la dématérialisation ne devienne pas synonyme de fracture sociale. De même, en permettant le développement du travail à distance, elle ne doit pas conduire à l'isolement des employés. La dématérialisation facilite la délocalisation et modifie le fonctionnement et l'organisation de l'entreprise impactant les métiers et les compétences. Cela nécessite d'anticiper les adaptations et les formations appropriées et d'intégrer la responsabilité sociétale de l'entreprise dans la démarche. Selon le premier volume du Livre vert publié par Syntec informatique, «elle reste aussi très souvent considérée comme complexe par ceux qui envisagent de l'entreprendre. Elle contrarie des habitudes bien ancrées comme la culture de la preuve sur papier ou encore des processus métier manuels installés de longue date".Ainsi la dématérialisation participe «à une mutation de notre modèle de société».
C'est ainsi qu' aujourd'hui et selon un étude de SerdaLab réalisée en 2009 en France, l'amélioration du partage et de la circulation de l'information est la principale motivation qui conduit les organisations à dématérialiser. Ni l'aspect règlementaire ni le développent durable ne figurent parmi les motivations évoquées. Mais la dématérialisation des informations et des outils qui les transportent rend ces dernières plus vulnérables aux indiscrétions intentionnelles ou accidentelles, occasionnelles ou institutionnelles. Les technologies de l’information peuvent également contribuer à la mise en place de dispositifs particulièrement intrusifs de cybersurveillance par exemple sur les lieux de travail. Ces pratiques sont en contradiction avec les principes éthiques qui caractérisent le pilier social du développement durable favorisant le développement de services de protection des données à caractère personnel selon les exigences des réglementations informatique et libertés. L'atteinte aux droits de l'homme peut être constituée par la remise en cause du droit à la protection de la vie privée. Les questions liées à la protection, la gestion, la maîtrise et l’élimination «des traces informatiques» sont des enjeux de société majeurs qui ont toute leur place dans la sphère du développement durable. Intégrer les questions de développement durables aux réflexions quant aux impératifs de sécurité et à la gouvernance de l'information participe très probablement d'une démarche porteuse de réelle perspectives. Certaines évolutions encourageantes du cadre réglementaire semblent vouloir contrecarrer ces risques liés à la mise en oeuvre de la dématérialisation. Ainsi, la valeur et les contraintes juridiques sont désormais selon le code civil les mêmes pour les documents dématérialisés que pour les documents papier. Le Plan France Numérique 2012 du gouvernement énonce des priorités telles que «permettre à tous les Français d'accéder aux réseaux et services numériques» ou encore «moderniser notre gouvernance de l'économie numérique».

Si les risques qu'elle emporte sont considérés et contrebalancés, la dématérialisation contribue indéniablement à la performance environnementale, sociétale et économique de notre société, ou, à une moindre échelle, de l'entreprise, véhiculant ainsi les valeurs fédératrices du développement durable.