Bien identifier les fonctions de chacun au sein de l'entreprise est primordial pour maîtriser les risques de mise en cause pesant tant sur l’entreprise que sur ses dirigeants. À ce titre, les délégations de pouvoir et de signature doivent faire l'objet d'un encadrement précis.

Il appartient à l’employeur de veiller personnellement au respect strict et constant, dans son entreprise, des règles édictées par le Code du travail. En pratique, il ne peut pas être présent partout. Pour pallier cette difficulté, l’employeur peut transférer ses pouvoirs, et ainsi ses responsabilités, à un préposé doté d’une délégation de pouvoir.
Si les délégations de pouvoir peuvent s’opérer dans tous les domaines, l’hygiène et la sécurité au travail en sont les favoris.

I. Les conditions de l’effet exonératoire de la délégation de pouvoir

Pour que la délégation de pouvoir soit pertinente et efficace, l’employeur devra choisir une personne en qui il a confiance et qui possède certaines compétences. L’employeur transfère ainsi ses pouvoirs, avec les moyens nécessaires pour remplir cette mission, mais aussi les responsabilités qui vont avec.

Le chef d’entreprise ne pourra se prévaloir utilement de l’effet exonératoire de la délégation de pouvoir que si, le délégataire réunit ces 3 conditions :
L’autorité : le délégataire doit avoir une autonomie suffisante lui permettant d'accomplir sa mission. Il doit notamment disposer d'un pouvoir de commandement
et d’une autorité hiérarchique afin de faire respecter les consignes relatives à l'hygiène, à la santé et à la sécurité. Enfin, il doit être en mesure de prendre des sanctions dès lors qu’il constate le non-respect de l’une des règles.

La compétence : le délégataire doit posséder les connaissances techniques nécessaires à la réalisation de sa mission, à l’analyse de la situation de travail et à 
l’évaluation des risques; mais aussi juridiques lui permettant la compréhension des textes qu'il est chargé de faire respecter. En pratique, cette dernière compétence n’est pas souvent vérifiée.
Les moyens : le délégataire doit disposer des moyens nécessaires pour exercer sa mission, et notamment au niveau du budget un pouvoir de signature, et le pouvoir d’acheter dès qu’il estime cela opportun.

Il s’agit là de conditions cumulatives. Faute de quoi, lorsque l'une ou l'autre n'est pas remplie, la délégation de pouvoir est nulle.

Par ailleurs, la délégation de pouvoir doit être justifiée par l’importance de l’entreprise et par l’impossibilité pour le chef d’entreprise d’assurer personnellement une surveillance effective des activités et du personnel de l’entreprise. Cependant, cette condition doit être nuancée. Il n’a pas a établir obligatoirement une impossibilité totale d’accomplir personnellement l’objet de la délégation.

En ce qui concerne le contenu de la délégation de pouvoir, elle doit résulter d’éléments clairs et précis, pouvant être factuels ou tirés du contexte. De plus, elle doit être limitée quant à son objet et dans le temps . La jurisprudence admet, que la délégation de pouvoir n’a pas nécessairement à être nominative, pour être certaine et exempte d’ambigüité.

A contrario, aucune condition de forme n’est à respecter et peut prendre diverses formes (clauses dans le contrat de travail dans le cas d’une embauche, avenant au contrat de travail,…). Lorsque les conditions de l’effet exonération telles que sus détaillées sont remplies, intéressons nous aux conséquences civiles et pénales qui en découlent.

II. Le transfert de la responsabilité de l’employeur

A - Quid de la responsabilité pénale ?

Dans cinq arrêts de principe du 11 mars 1993, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a retenu que : «  Sauf si la loi en dispose autrement , le chef d’entreprise, qui n’a pas personnellement pris part à la réalisation de l’infraction, peut s’exonérer de sa responsabilité pénale s’il rapporte la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires ».

Ainsi, dès lors que le salarié assumait, dans le cadre d’une délégation de pouvoir, la responsabilité d’un chef d’entreprise au moment où l’infraction a été commise, il doit répondre de cette infraction en lieu et place de celui-ci. L’effet, ici, est double en ce qu’elle permet d’une part, d’identifier clairement le nouveau responsable, et d’autre part de libérer le responsable initial, l’employeur.

Lorsqu’un accident corporel survient et résulte de l’inobservation des règlements, il est imputable au délégataire, c’est ce dernier qui fait l’objet de poursuites pour homicides ou blessures par imprudence. Le salarié délégataire répond donc aux conséquences de son propre fait (action ou inaction de sa part), mais également à celles du fait des personnes placées sous son autorité.

Ainsi, le chef d’entreprise n’est donc pénalement responsable de rien. Cependant, l’effet exonératoire connait des limites. En effet, il ne vaut que pour les infractions commises dans l’exercice des pouvoirs que le chef d’entreprise a délégués. Pour les infractions étrangères aux pouvoirs qu’il a délégués, il demeure pénalement responsable. Par ailleurs, l’effet exonératoire devra être écarté lorsqu’il y a eu « participation personnelle  »
du chef d’entreprise, autrement dit dès lors qu’il s’immisce dans le pouvoir prétendument délégué et a perturbé l’activité de son délégué.

B - Quid de la responsabilité civile ?

Aux termes de l’article L 4741-7 du Code du travail « Les chefs d’entreprise sont civilement responsables des condamnations prononcées contre leurs directeurs, gérants, préposés ». Ainsi, le délégant peut voir sa responsabilité engagée au titre d’une faute de gestion s’il a manqué à son obligation de vigilance en ne respectant pas les conditions de validité de la délégation de pouvoir, ou en ne contrôlant pas l’action du délégataire. La responsabilité civile est personnelle à l’auteur d’un fait dommageable et ne peut donc pas être transférée du délégant au délégataire.

Avec l’arrêt « Cousin», la Cour de Cassation en sa formation plénière a décidé que «  le préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis, fût-ce sur l’ordre du commettant, une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité civile à l’égard de celui-ci ». Ainsi, seule la faute pénale intentionnelle du salarié permet d’engager sa responsabilité civile.

Par la suite, la jurisprudence a évolué en procédant à une extension de la responsabilité civile, admettant qu’une simple faute d’imprudence suffit à engager la responsabilité civile du délégataire.

En conclusion, ces conditions respectées, les pouvoirs et responsabilités de chacun pourront être identifiés en cas de difficulté et les risques de mise en cause de l’entreprise maîtrisé.