Le droit de l’urbanisme repose sur l’équilibre entre deux principes : le droit de propriété et l’intérêt général de la matière. Il convient d’analyser si les prescriptions urbanistiques relatives à la maitrise de l’artificialisation des sols et le droit de propriété sont en équilibre, ou bien si ce droit absolu risque de déstabiliser la lutte contre l’artificialisation. Il faut donc dans un premier temps étudier les textes (Paragraphe 1) puis la jurisprudence (Paragraphe 2) afin de répondre à cette interrogation.

Paragraphe 1 - Des textes davantage protecteurs du droit de propriété
Le droit de propriété est un droit essentiel reconnu aux articles 2 et 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, ainsi qu’à l’article 1er du 1er protocole additionnel à la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Le problème se posant ici concerne les actions de maitrise de l’artificialisation des sols pouvant avoir comme effet de limiter le droit de propriété. En effet, il y aura une atteinte au droit de propriété dès lors, par exemple, qu’un terrain sera classé en zone non-constructible, ou encore, lorsque les règles d’urbanisme interdiront l’extension du bâti existant. Néanmoins, bien qu’étant un droit fondamental, exclusif et absolu, le droit de propriété ne peut s’exercer que dans les limites fixées par l’intérêt général14. Le droit de l’urbanisme repose donc sur un équilibre entre ces deux éléments essentiels.
Le droit de l’urbanisme s’applique nécessairement à tout propriétaire foncier. Ses prescriptions urbanistiques s’imposent de manière plus ou moins importante selon la situation géographique et l’environnement de la propriété. Les charges relatives à l’occupation des sols résultant des règles d’urbanisme sont des servitudes d’urbanisme. Ces dernières sont des obligations s’imposant aux propriétaires au nom de l’intérêt général. Dès lors, les obligations permettant de maitriser l’artificialisation des sols vont limiter le droit de propriété. Il s’agira donc de servitudes d’urbanisme constitutives d’intérêt général, le droit de propriété devra donc s’exercer dans les limites fixées par ces dernières.
Cependant, pour qu’une prescription d’urbanisme limitant le droit de propriété soit légale, il est nécessaire qu’elle réponde à plusieurs conditions. En effet, selon l’article 17 de la DDHC « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. ». De surcroit, au niveau européen, l’article 1er du 1ère protocole de la Convention Européenne des Droits de l’Homme relatif au droit au respect des biens énonce que « Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi. » ; l’alinéa 2 précise que ces dispositions n’empêchent pas un Etat membre de règlementer l’usage des biens pour des motifs d’intérêt général.
Dans le cadre de l’article 17 de la DDHC, il est possible de distinguer trois conditions qui vont permettre aux règles de maitrise de l’artificialisation des sols d’encadrer légalement le droit de propriété.
Tout d’abord, il est nécessaire que les dispositions relatives à la lutte contre l’artificialisation des sols résultent d’une loi. Comme il sera présenté postérieurement, les règles générales d’urbanisme vont énoncer les dispositions, qui seront par la suite appliquées dans les documents d’urbanisme et les autorisations d’occupation du sol. Dès lors, les règles de maitrise de l’artificialisation des sols résultent effectivement d’une loi.
Ensuite, le texte constitutionnel exige que les limitations au droit de propriété soient d’intérêt général. Concernant les règles d’urbanisme permettant de maitriser l’artificialisation, il apparait clairement qu’il s’agit de règles d’intérêt général. En effet, ces règles ont pour objectif de protéger le sol, que le Code de l’urbanisme qualifie de « patrimoine commun de la nation ». Enfin, l’atteinte causée au droit de propriété doit être proportionnée au regard de l’intérêt à défendre. La proportionnalité est constatée dès lors, par exemple, que le propriétaire est indemnisé pour l’atteinte portée à l’usage de son droit de propriété. Cependant, les servitudes d’urbanisme ne peuvent donner lieu à une indemnisation sauf lorsqu’il est porté atteinte à une situation existante ou à des droits acquis. Dès lors, la question est de savoir si une prescription relative à la maitrise de l’artificialisation des sols est proportionnée à l’atteinte portée au droit de propriété.
Cette problématique de l’équilibre, au sein du droit de l’urbanisme, entre le droit de propriété et l’intérêt général, s’est posée avec davantage d’acuité depuis quelques années grâce au contrôle de conventionalité et de constitutionnalité. En effet, depuis 1981, il est possible pour tout justiciable d’agir de manière individuelle devant la Cour européenne des droits de l’Homme, après épuisement des voies de recours internes. Depuis 2010, il est également ouvert la possibilité pour les justiciables de poser une question prioritaire de constitutionnalité. Les justiciables ont donc la possibilité d’agir, dès lors que, selon eux, il y a une atteinte à leur droit de propriété.
Il convient donc d’étudier l’interprétation des juges européens et constitutionnels des conditions exposées précédemment.

Paragraphe 2 - Une interprétation jurisprudentielle souple en faveur d’un équilibre entre maitrise de l’artificialisation et droit de propriété
L’interprétation faite par les juges pour que les prescriptions d’urbanisme limitant le droit de propriété ne soient pas contraire à la CEDH ou inconstitutionnelle est essentielle. Surtout, ces interprétations, au fil de la jurisprudence, vont permettre de déduire si les prescriptions urbanistiques relatives à la maitrise de l’artificialisation et le droit de propriété sont en équilibres, ou si ce droit absolu risque de déstabiliser la lutte contre l’artificialisation.
Tout d’abord, le juge européen distingue trois types d’atteintes possibles au droit de propriété : lorsqu’il y a une privation de propriété ; une réglementation de l’usage du bien ; ou lorsqu’il n’y a ni privation, ni limitation mais qu’il existe malgré tout une atteinte au principe du respect des biens.
En matière urbanistique, il s’agit simplement d’une réglementation de l’usage du bien et non pas d’une privation du bien au sens strict. Dans ce cadre, la Cour européenne subordonne les Etats membres à réglementer les usages des biens pour des motifs d’urbanisme sous trois conditions. La première condition exige que la réglementation doit procéder d’une loi ; la seconde condition contraint à ce que cette réglementation soit d’intérêt général ; et enfin, la dernière condition impose un équilibre entre l’intérêt général et l’atteinte. Cette création prétorienne peut laisser penser que le juge européen fait une interprétation stricte des réglementations portant sur l’usage d’un bien. Cependant, le contrôle de la Cour est en réalité assez restreint, il semble que cette dernière ne veuille pas entraver les politiques urbaines internes des Etats.
En ce qui concerne la condition de légalité, les règles de maitrise de l’artificialisation des sols, comme il sera démontré tout au long de ce travail, résulte bien de textes législatif.
De surcroit, la réglementation de l’usage des biens doit poursuivre un but d’intérêt général. Face à cet élément, force est de constater que la Cour se borne à affirmer que la réglementation est effectivement justifiée par un intérêt général au sens de l’article 1er du 1er protocole additionnel. Nonobstant l’interprétation de la Cour de la condition d’intérêt général, il convient de rappeler que la maitrise de l’artificialisation des sols est d’intérêt général aux vues des risques que ce phénomène est susceptible de causer. Dès lors, dans les cas où le droit de l’urbanisme limite le droit de propriété avec pour objectif de maitriser l’artificialisation des sols, cela pourra être considéré comme étant d’intérêt général.
Enfin, concernant la troisième condition relative au contrôle de proportionnalité, la Cour concède aux Etats membres une marge d’appréciation car elle estime que les autorités nationales sont plus à même de déterminer si la restriction s’impose ou non. Dans le cadre de la lutte contre l’artificialisation, les obligations prescrites sont constitutives de servitude d’urbanisme, et donc, ne font pas l’objet d’une indemnisation. A ce titre, les juges européens ont admis que l’absence d’indemnisation du propriétaire pour réglementation de l’usage de son bien ne saurait se traduire, à elle seule, comme étant une mesure disproportionnée. Néanmoins, une telle indemnité est due si le propriétaire a subi du fait de la réglementation une charge spéciale et exorbitante. Cette charge devra être appréciée in concreto. Mais cette jurisprudence n’est pas de nature à remettre en cause le principe de non-indemnisation des servitudes d’urbanisme.
A la lumière, de la jurisprudence de la CEDH, il apparait donc que les prescriptions d’urbanisme relative à la maitrise de l’artificialisation des sols s’appliquent de manière équilibrée avec le droit de propriété.
En droit interne, le juge constitutionnel distingue entre la privation du droit de propriété et l’atteinte aux conditions de son exercice. Dans le cadre d’une atteinte aux conditions d’exercice du droit de propriété, le Conseil constitutionnel va s’assurer que la réglementation en cause est justifiée par un motif d’intérêt général et qu’elle est proportionnée à l’objectif poursuivi. Pour le Conseil, la justification par un motif d’intérêt général s’apprécie in abstracto. Dès lors, comme pour le juge européen, le juge constitutionnel se borne seulement à constater la présence d’un intérêt général. En ce qui concerne la proportionnalité entre l’atteinte et l’objectif poursuivi, le juge constitutionnel va considérer qu’un « petit » motif d’intérêt général va suffire à justifier une atteinte indirecte et limitée au droit de propriété ; alors qu’une atteinte plus grave devra être justifiée par un motif d’intérêt général plus important et devra être strictement encadrée. A ce titre, les juges de la rue Montpensier estiment que l’absence d’indemnisation peut être prise en compte pour apprécier la proportionnalité seulement si le propriétaire a subi une charge spéciale et exorbitante. Dans le cadre de prescriptions d’urbanisme limitant l’artificialisation des sols, le juge constitutionnel pourrait considérer que l’intérêt de cette maitrise est tel, qu’il justifie une atteinte aux conditions d’exercice au droit de propriété.
Bien que le droit de propriété, tel qu’énoncé dans les textes, semble susceptible de déséquilibrer les prescriptions d’urbanisme relatives à l’artificialisation, les juges opèrent un contrôle souple. Ces derniers protègent le territoire national en tant que patrimoine commun de la nation ; dès lors, la maitrise de l’artificialisation des sols apparait comme étant d’intérêt général.