Les négociants suisses Trafigura et Vitol feraient partie d’un grand nombre de sociétés accusées de détenir un rôle central dans le secteur des carburants en Afrique, où certaines d’entre elles ont acquis d’importants réseaux de stations-service, mais aussi d’un modèle d’affaires scandaleux qui accompagne leur déploiement sur toute la chaîne d’approvisionnement. C’est ainsi que ces derniers, particulièrement en Afrique de l’Ouest, profitent de la faiblesse des standards étatiques pour vendre des carburants de mauvaise qualité et réaliser des profits gigantesques au détriment de la santé publique de la population africaine. L’ONG se baserait sur les résultats choquants d’échantillons prélevés à la pompe dans 8 pays : ces carburants présentent jusqu’à 378 fois plus de souffre que la teneur autorisée en Europe parmi d’autres substances ultra-nocives comme le benzène ou les aromatiques polycycliques à des niveaux, là aussi, interdits par les normes européennes. Ainsi, des cargaisons importées par BP ont été évaluées à 3600 ppm en 2013 lorsque la limite était de 5000. Par la suite, lorsqu’elle a été diminuée à 3000 ppm, les cargaisons de BP affichaient des contenus enregistrés à 2500 ppm…
L’ONG révèle, au terme de ses recherches étalées sur 3 ans que, bien loin de se contenter de vendre ces carburants toxiques, les négociants suisses les fabriquent à dessein, en mélangeant divers produits pétroliers semi-finis à d’autres substances pétrochimiques afin de créer ce que l’industrie appelle « la qualité africaine ». Produits et exportés depuis la zone ARA (Amsterdam-Rotterdam-Anvers), dans laquelle les négociants suisses disposent d’entrepôts et de raffineries importantes, ils reçoivent en retour le pétrole brut d’excellente qualité de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest.
Lorsque le carburant est brûlé, du sulfure contenu dans celui-ci est relâché dans l’atmosphère en dioxyde de sulfure parmi d’autres composants connus comme étant causes de maladies respiratoires comme des cancers, bronchites ou d’asthme.
Trafigura avait déjà fait les gros titres lorsqu’un navire qu’elle avait affrété avait écoulé des déchets toxiques en Côte d’Ivoire il y a 10 ans dans l’affaire Probo Koala : ses avocats avaient tenté de bâillonner la presse en l’empêchant de rapporter l’incident. Andréa Missbach, membre de l’ONG a expliqué la raison du rapport : « Comme tout le monde, nous nous sommes intéressés à la pollution, puis nous nous sommes demandés : pourquoi Trafigura était-elle en train d’effectuer une opération de raffinage directement à bord d’un navire ? ».
Bien que ne faisant pas partie du rapport de Public Eye, des données de ce dernier incriminent de nombreuses autres compagnies pétrolières comme la British oil compagny BP, qui aurait exporté par bateau du diesel hautement sulfuré vers le Ghana. Il n’y a rien d’illégal à propos des pratiques exposées par le rapport et le mélange de carburants pour atteindre des spécifications particulières avant export est une pratique industrielle standard ; les compagnies nient tout méfait en ajoutant qu’elles se plient à la loi des pays dans lesquels elles opèrent. L’ONG estime pour sa part que le résultat de ces pratiques est un choix stratégique autour des régulations qui permet aux négociants de maximiser leurs profits au détriment de la santé des populations africaines. Erik Solheim, directeur de l’UNEP (programme environnemental des Nations-Unies) a qualifié cette pratique d’inacceptable.
Cette affaire trouve un écho particulier au regard de l’étude de la Banque mondiale (traitée précédemment Cf. Le véritable coût de la pollution atmosphérique ) au terme de laquelle elle trouvait que la pollution atmosphérique était l’un des plus grands tueurs au monde et que ses implications revêtaient de multiples visages. Ce qui expliquait notamment pourquoi les standards européens en termes de contenu sulfuré avaient été établis à 10 ppm depuis 2009. Dans certaines parties de l’Afrique en revanche, la limite légale du sulfure dans le diesel est de 5000 ppm malgré les efforts engagés par l’UNEP pour l’abaisser. La croissance rapide de l’urbanisme et l’inflation de la détention d’automobiles dans les pays émergents de ce continent favorisent l’exposition de leurs populations aux émissions polluantes. Selon le chef du programme transport de l’UNEP, Rob De Jong, ces carburants hautement sulfurés détruisent rapidement les technologies de réduction d’émissions prévues dans les véhicules nouveaux, « un véhicule neuf doté d’une telle technologie se verra rapidement rejeter des fumées nocives même s’il était potentiellement très propre, en quelques pleins ».
Pour rappeler les Géants pétroliers de leurs bonnes intentions maintes fois proclamées auparavant (puisque le CEO de Trafigura avait, dans son rapport de durabilité de 2015, entendait devenir un leader reconnu en matière de responsabilité sociale d’entreprise), l’ONG et ses partenaires africaines vont affréter un container rempli d’air pollué de la capitale du Ghana vers Genève fin septembre. Cette campagne symbolique de « retour à l’envoyeur » est une invitation faite à Trafigura à arrêter les déclarations de bonnes intentions et à arrêter de vendre des carburants dans un shopping au moins-disant.