Le 12 mai 2016, le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a été voté en deuxième lecture par le Sénat.

Après un vote en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale qui laissait penser à la mise en place d’un texte riche en évolutions sur le plan du préjudice écologique, le Sénat, malgré avoir voté l’inscription du préjudice écologique dans le code civil, a apporté de nombreuses modifications au texte.

Selon la Commission du développement durable, les modifications apportées « permettent de simplifier le dispositif en veillant à sa bonne harmonisation avec le droit commun de la responsabilité civile, de garantir l’efficacité de la réparation et de veiller à la bonne application dans le temps du nouveau dispositif ».
Toutefois, les simplifications ne sont pas toujours cohérentes.

Selon le Sénat, le nouvel article 1386-19 du code civil disposerait que « Toute personne responsable d'un dommage anormal causé à l'environnement est tenue de réparer le préjudice écologique qui en résulte ». Une rédaction faisant moins écho à l’article fondateur de la responsabilité civile, l’article 1382, que la rédaction de l’Assemblée Nationale.
De plus, le Sénat ne propose pas de définition précise du préjudice écologique autre que celle « de dommage anormal causé à l’environnement » car il a supprimé l’article 1386-19-1 voté par l’Assemblée Nationale qui définissait le préjudice écologique comme « une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’Homme de l’environnement. ».

Sur les modalités de réparation du préjudice écologique, le Sénat a conservé la priorité donnée à la réparation en nature, et il a même ajouté que cette réparation visait à « supprimer, réduire ou compenser le dommage », un écho au tryptique éviter-réduire-compenser conservé à l’article 2 consacré au principe de non-régression.
Le Sénat conserve également l’affectation des dommages et intérêts, une transgression au principe de non allocation des sommes allouées nécessaire en matière environnementale.
Ces sommes sont versées au demandeur, et « si celui-ci ne peut prendre les mesures utiles à cette fin », à l’Agence française pour la biodiversité qui devrait voir le jour au 1er janvier 2017.

Puis, alors que l’Assemblée Nationale avait posé, au sein de cet article 1386-20, le fait que les dépenses exposées par le demandeur « pour prévenir la réalisation imminente d'un préjudice, en éviter l’aggravation ou en réduire les conséquences » peuvent lui être remboursées. Le Sénat lui évoque la prévention imminente d’un dommage, et non d’un préjudice, et qualifie l’engagement de cette somme comme un préjudice réparable. Toutefois, il ne pourra y avoir réparation de ce préjudice uniquement si les sommes ont été raisonnablement engagées. Le juge devra donc apprécier in concreto le montant de ces sommes afin de déterminer à son tour le montant de la condamnation de l’auteur du préjudice écologique causé.

Enfin, le Sénat supprime totalement l’alinéa relatif aux mesures de suivi quant à l’efficacité des mesures de réparation. Une mesure pourtant intéressante car elle aurait permis de s'assurer de la bonne affectations des sommes alloués à la réparation de l'environnement .

Concernant ensuite la restriction du périmètre des personnes ayant intérêt à agir pour la réparation d’un dommage anormal causé à l’environnement. Une limitation de l’action aux acteurs institutionnalisés qui fut notamment votée sur l’initiative du rapporteur Jérôme Bignon (LR) car ce dernier énonce que le texte voté par l’Assemblée Nationale faisait peser « un risque d’éparpillement des actions en justice ».

Le Sénat a donc supprimé l’ouverture de l’action à toute personne ayant qualité à agir, pour l’encadrer et la limiter « à l'État, à l'Agence française pour la biodiversité, aux collectivités territoriales et à leurs groupements dont le territoire est concerné, aux établissements publics, aux fondations reconnues d'utilité publique et aux associations agréées ou ayant au moins cinq années d'existence à la date d'introduction de l'instance, qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l'environnement ».
Un encadrement restreignant et surtout limitatif regretté par WWF qui énonce, par l’intermédiaire de son directeur général Pascal Canfin, que « cette restriction vise à prévenir des abus qui n’auront pas lieu car c’est le juge qui décidera du bien-fondé de l’action ».
Cette limitation n’est donc effectivement pas nécessaire étant donné la capacité du juge de juger et d’apprécier l’intérêt et surtout la qualité à agir des demandeurs. Selon certains juristes, cette limitation est « loin de coller avec la jurisprudence générée par l’arrêt de l’Erika ».

Puis, concernant la prescription de ce préjudice écologique, le délai a été descendu à 10 ans à compter du jour où le titulaire a connu ou aurait du connaître la manifestation du préjudice environnemental. Et le délai de forclusion a été supprimé.

Enfin, l’article 1386-23 de l’Assemblée Nationale qui établissait précisément le dispositif d’articulation entre le nouveau régime de réparation des préjudices écologiques avec le régime institué par la loi de 2008 sur la responsabilité environnementale a été également totalement supprimé. Les sénateurs ont estimé que ces dispositions « qui relèvent de la compétence du pouvoir règlementaire, ne sont pas utiles puisque le droit positif permet d’ores et déjà au juge de surseoir à statuer dans l’attente de la décision du juge administratif s’il en va d’une bonne administration de la justice ».
Toutefois, cette justification entre en conflit avec la justification pour l’encadrement des acteurs de l’action en réparation du préjudice écologique car sur ce point-ci, le droit positif permet également d’ores et déjà au juge de limiter les demandeurs par l’étude et l’analyse de leurs qualités à agir.

Par conséquent, et rien qu’à la lecture du seul article 2 bis, nous nous apercevons que le texte a une nouvelle fois bien évolué.


Ces évolutions se retrouvent également au sein de l’article 2.I.6° relatif au principe de solidarité écologique qui dispose désormais que « Le principe de solidarité écologique, qui appelle à prendre en compte, dans toute prise de décision publique ayant une incidence notable sur l'environnement des territoires directement concernés, les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels ou aménagés ». Le nouveau texte supprime donc l’obligation de prise en compte, dans les décisions politiques, des possibles incidences environnementales sur les territoires indirectement concernés.

Quant à l’inscription sur la possibilité d’établir des obligations réelles environnementales (ORE). Une ORE consiste en la possibilité, pour un propriétaire, de faire peser sur son bien, pour une période qu’il détermine, des obligations actives et passives, librement définit dans le contrat, au profit d’une Collectivité, d’un établissement public ou encore d’une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement.
Ces obligations auront « pour finalité le maintien, la conservation, la gestion ou la restauration d’éléments de la biodiversité ou de fonction écologique ».
Cette nouveauté a été inscrite dans le projet de loi et, afin de rassurer la profession agricole, il a été précisé qu’un propriétaire ne pourrait consentir de telles obligations sans l’accord express de l’exploitant titulaire d’un bail rural. Puis, lors de son passage devant l’Assemblée Nationale puis le Sénat, des accords supplémentaires ont été imposés, celui des autres détenteurs de droits et usages, celui de la Commune ou encore celui de l’association communale de chasse agréée lorsque le propriétaire y a adhéré. Autant de conditions qui ne permettraient presque plus aujourd’hui d’obtenir le droit de mettre en œuvre de telles obligations.
Il est donc question ici de rendre très difficile pour un propriétaire d’user de son propre bien dans un but d’intérêt général, ne pourrait-on pas y voir une atteinte au droit de propriété ?

Enfin, quant aux néonicotinoïdes, le Sénat a refusé l’interdiction de ces produits au 1er septembre 2018. Un point de divergence fort entre les deux assemblées et sur lequel pourtant le Gouvernement a une prise de position claire.
Les ministres de l’Environnement Ségolène Royal, et de l’agriculture Stéphane Le Foll, ainsi que Madame Pompili, affirment qu’il est proposé d’interdire, au plus tard en 2018, les néonicotinoïdes pour lesquels il existe des alternatives, avant une interdiction complète en 2020. Madame Pompili insiste sur l’importance de conserver une date butoir car cela permet de pousser à la rechercher tout en garantissant aux agriculteurs un accompagnement dans ce changement. Selon elle, « quand il n’y a pas d’échéance, il y a procrastination ».


Face à cette situation de crispation, une Commission mixte paritaire a donc été mise en place et constituée de sept députés et sept sénateurs représentant à égalité la majorité et l’opposition.

Néanmoins, cette commission s’est soldée par un échec au bout d’à peine une heure d’examen. Le rapporteur Jérôme Bignon (LR) déplore le fait que « les députés ont stoppé net les discussions dès l’examen de l’article 2 », l’article 2 bis traitant du préjudice écologique n’a donc même pas été évoqué.

Les discussions se sont donc centrées sur l’article 2 du projet de loi qui pose l’inscription, au sein du code de l’environnement, du principe de non-régression.

Pour le rapporteur député Jean-Paul Chanteguet, « la reconquête de la biodiversité est impossible si la loi n’affirme pas, comme un socle, le principe de non-régression ». De plus, il ajoute que « le principe de non-régression constitue un aspect fondamental de ce texte, car, en l’absence d’une telle disposition, il se trouvera toujours une bonne raison d’abaisser le niveau de la protection de l’environnement. »

Toutefois, selon le rapporteur sénateur Jérôme Bignon, le principe de non-régression « n’est pas abouti juridiquement, donc il ne faut pas le faire figurer dans une loi ». Certains le suivent, préférant l’établissement préalable d’un rapport sur l’application de ce principe.

Suite aux discussions sur cet article 2, sept parlementaires étaient favorables à son inscription, quand les sept autres y étaient opposés. Un blocage qui n’a pas permis la continuation des discussions et a donc provoqué la clôture de la commission mixte paritaire.
Ce refus d’inscrire ce principe dans la loi a été qualifié par Madame Pompili de « particulièrement regrettable ». Selon elle, la loi « doit donner une direction, porter une ambition », or le texte voté par le Sénat « n’est pas à la hauteur des objectifs du Gouvernement ».

Suite à cet échec de la commission mixte paritaire, le texte devra donc repasser une nouvelle fois devant chaque assemblée, avant une lecture ultime devant l’Assemblée Nationale.
Selon le député Jean-Paul Chanteguet, « nous devons nous tenir à l’objectif d’une adoption définitive avant la fin de la session extraordinaire de juillet pour que soit effectivement mis en place l’Agence française pour la biodiversité au 1er janvier 2017 ».

Ce projet de loi, premier grand texte d’envergure sur le sujet de la biodiversité depuis la loi de 1976 sur la protection de la Nature connait donc un parcours très laborieux sachant que le projet a été annoncé pour la première fois en 2012.

Nous attendons donc dorénavant le 7 juin, date du passage du texte en troisième lecture à l’Assemblée Nationale, en espérant que le texte soit voté de manière totalement définitive pour la session extraordinaire de juillet.