La proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, déposée à l’Assemblée Nationale le 11 février 2015, a été transmise au Sénat en deuxième lecture le 24 mars 2016.
Son objectif est d’instaurer une obligation de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre à l’égard de leurs filiales, sociétés qu’elles contrôlent directement ou indirectement, ainsi qu’à l’égard de leurs fournisseurs et sous-traitants avec qui elles entretiennent une relation commerciale établie. Une obligation visant également à prévenir et détecter les possibles corruptions actives et passives au sein de ces sociétés.
Il s’agit donc plus largement de renforcer la responsabilité sociale et environnementale des entreprises françaises, et surtout des entreprises françaises transnationales, via l’imposition d’un plan de vigilance raisonnable. Une responsabilisation visant à prévenir les risques d’atteintes aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales, les dommages corporels ou environnementaux graves, ou enfin les risques sanitaires résultant de leurs activités.
Après une adoption en première lecture par l’Assemblée Nationale le 30 mars 2015, la proposition de loi a été rejeté par le Sénat le 18 novembre de cette même année. Puis, adoptée en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale le 23 mars 2016, la proposition a dès lors été transmise au Sénat. Les travaux de la commission sont à venir.
Une proposition de loi qui est la dernière parmi de nombreuses propositions élaborées en 2014 à la suite du drame du Rana Plaza (Bengladesh) du 24 avril 2013 et ayant fait plus de 1000 morts.
Le premier article, article primordial de cette proposition, consiste en l’obligation pour toutes les entreprises d’au moins 5 000 salariés en France, ou d’au moins 10 000 salariés au niveau international, d’établir un plan de vigilance raisonnable. Ce qui concernerait d’après Bercy entre 150 et 200 entités.

Le plan de vigilance imposé devrait être inclut au rapport annuel que les entreprises doivent d’ores et déjà établir. Il devra notamment inclure une cartographie des risques pays par pays, une contractualisation des obligations de RSE, des mesures de protection concernant les lanceurs d’alerte ou encore des audits sociaux et environnementaux à tous les niveaux de la chaîne de valeur. Les modalités de présentation et d’application du plan de vigilance, ainsi que les conditions de suivie de sa mise en œuvre seront précisées par décret.
Si ce plan vient à manquer, des sanctions sont prévues : l’entreprise pourra être sanctionnée d’une amende pouvant aller jusqu’à 10 millions d’euros, non déductible du résultat fiscal, et le juge aura de plus la possibilité d’imposer la publication, diffusion ou affichage de la décision d’incrimination ou d’un extrait de celle-ci.
Au préalable, et avant l’imposition d’une telle sanction, toute société n’ayant pas établi son plan de vigilance ou ne l’ayant pas rendu public, pourra y être contrainte par le juge sur demande de toute personne justifiant d’un intérêt à agir. En cas de non respect par la société concernée, l’amende pourra alors être ordonnée.
Enfin, la société mère ou l’entreprise donneuse d’ordre, pourra voir engagée sa responsabilité sur le plan civil, une responsabilité pour faute constituée par l’inexistence ou l’insuffisance du plan de vigilance, l’absence ou la défaillance de mise en œuvre de ce plan, ou enfin s’il est prouvé que l’entité visée aurait pu éviter ou minimiser le préjudice causé.

Néanmoins, la faiblesse de cette proposition consiste dans le fait que cette obligation de mise en place d’un plan de vigilance est une obligation de moyen et non de résultat. Ce qui signifie qu’en cas de dommage causé par une filiale, un fournisseur ou un sous-traitant, la société mère ou l’entreprise donneuse d’ordre pourra s’exonérer de sa responsabilité si elle démontre qu’elle s’est bien conformée à ses différentes obligations légales.

Un parcours difficile
La proposition de loi n’a pas suivi un parcours simple mais a plutôt soulevée de nombreuses interrogations et a ouvert de nombreux débats.
Le rapporteur de la commission des lois, Monsieur Christophe-André Frassa (LR), dénonce « un risque disproportionné pour l’attractivité de la France et la compétitivité des entreprises françaises ». D’autres sont même plus incisifs et énoncent, comme lr député Patrick Hetzel (LR), que ce texte, en plus d’apporter une atteinte disproportionnée à la compétitivité des entreprises françaises et à l’attractivité de notre territoire, est suicidaire pour notre économie.
Dans le même état d’esprit, la député Maina Sage (UDI) pointe elle une « initiative franco-française », qui porterait atteinte à la compétitivité des nos entreprises dans une économie aujourd’hui mondialisée.
Toutefois, l’Union avance elle aussi sur ce terrain petit à petit.
Le 11 mai dernier, se tenait une conférence de l’Union Européenne sur les entreprises et les droits de l’Homme. Une conférence lors de laquelle les responsables de l’Union et les États membres ont renouvelé leurs engagements quant au renforcement de la protection des droits humains dans le cadre de l’activité économique.
Puis, le 18 mai, huit parlements nationaux ont lancé une initiative « Carton Vert » ayant pour but de garantir la responsabilité des entreprises concernant la violation des droits de l’Homme. Lancée par la députée Danielle Auroi (groupe écologiste), cette initiative se base sur la proposition de loi française car elle appelle à un devoir de vigilance des entreprises européennes envers l’ensemble des individus et communautés dont les droits humains et l’environnement sont impactés par leurs activités.
Par conséquent, cette proposition de loi n’est une purement franco-française. Une proposition de règlement européen est d’ailleurs en cours de négociation concernant l’instauration d’un devoir de vigilance pour les entreprises traitant de certains minéraux. Un secteur restreint mais qui pourrait cependant ouvrir la voie a des secteurs plus importants et surtout plus larges.

Pour revenir aux différentes positions prises face à notre proposition de loi au niveau national, de nombreuses ONG se sont exprimées en faveur d’une telle mise en place d’un plan de vigilance pour les sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre. Amnesty International France, le Collectif Etique sur l’étiquette, les Amis de la Terre et d’autres rappellent « qu’en instaurant l’obligation d’un plan de vigilance, cette proposition de loi imposerait aux grandes entreprises implantées en France d’être responsables dans la conduite de leurs affaires, en France comme à l’étranger, pour l’ensemble de leur chaine de valeur. Une proposition qui s’inscrit dans un objectif de prévention des dommages environnementaux et de violation des droits humains ».
Puis, les syndicats, et notamment la CFE-CGC souligne que « la mise en place d’un tel devoir de vigilance s’inscrit dans la prévention des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs dans la chaîne de valeur, et permet de mobiliser des ressources pour anticiper et éviter les drames humains ». Et face aux critiques sur la perte de compétitivité induite par la proposition de loi, ce même syndicat répond que justement « la compétitivité des entreprises françaises ne pourra pas se construire dans la durée si elle repose sur la moins-disance sociale ».
De plus, il faut savoir que les petites et moyennes entreprises, non concernées par cette proposition de loi, sont déjà soumises à la réglementation française qui exige un niveau de garantie élevé en matière de respect des droits Fondamentaux et droits de l’Environnement.
Enfin, le député Philipe Noguès (PS), face aux diverses contestations, répond préalablement par une question très juste qui force à réfléchir « pouvons-nous bâtir, au 21ème siècle, nos plaisirs ou nos loisirs sur l’esclavage ? ». Une réponse en question qui interpelle, avant d’énoncer que « l’Etat a la responsabilité d’agir (…) pour que les échanges commerciaux soient plus justes d’un point de vue humain, social et environnemental ».

Nous sommes actuellement en pleine mouvance sociale, sociétale, environnementale et économique. Les Hommes et la Terre ont besoin du droit pour se protéger face aux géants de l’économie.
Le drame du Rana Plaza est l’exemple type d’une industrie qui a voulu accélérer les cadences sans prendre garde aux conséquences que cela pouvait avoir. Une situation qui ne devrait plus se reproduire.
Il est donc nécessaire dorénavant de trouver un bon compromis entre le devoir de protection que se doit de porter le droit et l’économie, qui par une telle proposition ne peut être que plus juste car prenant en considération l’ensemble des acteurs et les conséquences que les activités économiques peuvent avoir.