Rappel des faits et de la procédure :

Les faits de l’espèce étaient les suivants. Des particuliers ont assigné une société de construction qui a édifié sur une parcelle voisine de leur propriété, 2 bâtiments, en réparation d’un trouble anormal de voisinage. Ce trouble anormal était caractérisé en l’espèce, d’une part, par une perte d’intimité, et d’autre part, par une perte d’ensoleillement.

La Cour d’Appel a censuré le jugement de première instance qui offrait partiellement satisfaction au requérant. Les Juges du fond ont estimé dans un premier temps, que la haie végétale présente sur la parcelle permettait de supprimer la perte d’intimité; puis dans un second temps, qu’aucune incidence de la construction n’est à déplorer sur l’ensoleillement.

Analyse :

En vertu de l’article 1382 du Code civil, celui-ci dispose que « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Rappelons que la théorie des troubles anormaux de voisinage est à l’origine purement prétorienne. Il s’agit d’un moyen d’agir pour un voisin subissant un trouble de voisinage, d’engager la responsabilité de l’auteur du trouble. Il est important de noter que cette responsabilité est autonome, autrement dit, détachée de toute faute de la part du voisin et, par conséquent, du fondement des articles 1382 et suivants du Code civil, comme a pu le confirmer à plusieurs reprises la jurisprudence (Cass. 1ère civ., 18 septembre 2002 et (Cass. 3ère civ., 24 septembre 2003).

Ainsi, il suffit à la victime d’un tel trouble de prouver que celui-ci revêt un caractère « anormal » et présentant donc une gravité certaine, indispensable pour pouvoir prétendre à quelconque réparation en nature ou par équivalent. La jurisprudence constante en la matière, rappelle constamment qu’il revient aux Juges du Fond d’apprécier souverainement si l’agissement litigieux constitue ou non, en fonction des circonstances temporelles et géographiques de l’espèce, un trouble anormal de voisinage (Cass. 3e civ., 3 nov. 1977 ; Cass. 2e civ., 19 mars 1997).

En outre, il faut souligner que le caractère de « normalité » dudit trouble, ne s’appréciera uniquement en fonction de la perception et de la réception des victimes. C’est en ce sens que la victime d’un tel trouble ne peut en aucun cas prétendre à l’immutabilité de ses avantages individuels, dans une zone urbaine constituée de nombreux immeubles.
À titre d’illustration, aux termes d’un arrêt de la Cour d’Appel de Paris (CA Paris, 19e ch. A, 22 avril 1997,n° 1997-020965), les juges du fond ont reconnu que la réduction manifeste d’ensoleillement dans un cuisine, dont la durée varie suivant les saisons constitue, en l’espèce, un inconvénient normal et prévisible de voisinage en zone urbaine habitable.

Dans cet arrêt, la Cour de Cassation confirme l’appréciation de la Cour d’Appel et refuse de reconnaître l’existence d’un trouble anormal de voisinage et ce, à plusieurs titres :

D’une part, elle a estimé que «  les constructions avaient été réalisées en zone urbaine dans un secteur où la situation existante et son maintien ne faisaient l’objet d’aucune protection particulière, qu’une haie végétale permettrait de diminuer ou de supprimer la perte d’intimité résultant des vues sur une partie du jardin depuis l’un des bâtiments construits » ;

Et d’autre part, elle soulève qu’en l’espèce, « rien n’établissait que la luminosité de la maison était affectée dans des proportions excédant le risque nécessairement encouru du fait de l’installation en milieu urbain ».

Ainsi, l’arrêt rendu par la Cour de Cassation s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence rendue jusqu’à présent, confirmant que le trouble anormal de voisinage s’apprécie à l’aune du milieu où le trouble supposé s’inscrit. Dès lors, le dit trouble ne doit pas excéder les inconvénients normaux du voisinage s’agissant de la perte de vue et d’ensoleillement, résultant de l’implantation d’une construction et ce, du moment où le trouble est la conséquence sine qua non de l’urbanisation progressive des communes situées dans les banlieues de grandes villes, et notamment Paris (CA Paris, 19e ch. A, 28 mars 1995, n° 1995-020964).

De même, il a été jugé par la Cour d’Appel de Rouen que la perte de vue consécutive à la construction d’un bâtiment plus haut d’un étage que les anciens bâtiments, ne constitue en aucun cas un trouble. En effet, les Juges du Fond ont estimé en l’espèce, qu’une élévation modérée s’inscrit dans un environnement urbain et entre dans les prévisions raisonnables du développement citadin.

En conclusion, cet arrêt loin d’être novateur, s’inscrit dans la lignée jurisprudentielle rendue sur ce sujet.