En principe, en cas de risque grave ou de projet impactant les conditions de travail des salariés, le Comité d'Hygiène, de Sécurité et des conditions de travail (CHSCT), peut faire appel à une expert agréé afin de mener une expertise au sein d'un établissement (L 4614-12 du Code du travail). Cette expertise, portant sur la santé, la sécurité, l'organisation du travail et de la production, est aux frais de l'employeur et ce, même si la délibération du CHSCT permettant le recours à l'expert agréé a été annulée (Cass. Soc., 15 mai 2013, N°11-24218). Récemment, le Conseil constitutionnel a remis en cause cette dernière jurisprudence par une décision n° 2015-500 QPC du 27 novembre 2015, Société Foot Locker France SAS.

En l'espèce, le médecin du travail de la société Foot Locker France SAS a demandé la convocation des membres du CHSCT du fait des souffrances au travail subies par les employés. Une délibération, votée le 23 mars 2012, confie à un cabinet externe le soin de réaliser une expertise en raison d'un risque grave. La société contestant le bien-fondé de cette expertise, elle saisie le Tribunal de Grande Instance par la voie d'un référé qui rejette sa demande. Suite à l'expertise, le cabinet obtient le paiement de ses honoraires.

Par la suite, la Cour d'appel a annulé la délibération du CHSCT le 27 mars 2013 en raison, selon elle, de l'absence de danger grave. Quelques mois plus tard, l'expert a saisi le président du TGI afin que la société Foot Locker lui règle le solde restant de ses honoraires, saisine qui a été rejetée.
Dans ce contexte, la société requérante a déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant la Cour d'appel de Versailles. En effet, elle soutenait que l'article L 4614-13 portant sur l'expertise méconnaissant le droit au recours juridictionnel de l'employeur, le droit de propriété et la liberté d'entreprendre de l'employeur.
Cette question a été transmise à la Chambre sociale de la Cour de cassation qui, par un arrêt du 16 septembre 2015, a estimé d'une part, que l'expertise était justifiée et d'autre part, que la question revêtait un caractère sérieux. C'est ainsi que la QPC suivante : « Les dispositions de l'article L4614-13 du code du travail et l'interprétation jurisprudentielle y afférente sont-elles contraires aux principes de liberté d'entreprendre et/ou de droit à un procès équitable lorsqu'elles imposent à l'employeur de prendre en charge les honoraires d'expertise alors même que la décision de recours à l'expert a été annulée ? » a été renvoyée au Conseil constitutionnel.

Au terme de cette décision du 27 septembre 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré le premier alinéa et la première phrase de deuxième alinéa de l'article L 4614-13 du Code du travail contraires à la Constitution. Cette déclaration d'inconstitutionnalité a été reportée au 1er janvier 2017. Le Conseil constitutionnel a laissé au législateur jusqu'à cette date pour modifier l'article L 4614-13 du Code du travail. En attendant, l'employeur prend toujours les frais de l'expertise en charge même en cas d'annulation. En raison de l'atteinte au droit de propriété de l'employeur, le législateur a également pour mission d'instaurer un effet suspensif du recours de l'employeur et un délai d'examen maximal de ce recours par le juge. En conséquence, l'expertise ne peut se faire tant que le juge n'aura pas statuer.

Le projet de loi réformant le droit du travail portée par la Ministre Myriam el Khomri, qui devrait être présenté le 9 mars prochain, a prévu de modifier l'article L 4614-13 du Code du travail. Il se présenterait de la manière suivante : "Les frais d'expertise sont à la charge de l'employeur. Toutefois, en cas d'annulation définitive par le juge de la décision du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l'instance de coordination, les sommes perçues par l'expert sont remboursées par ce dernier à l'employeur. Le comité d'entreprise peut, à tout moment, décider de les prendre en charge dans les conditions prévues à l'article L2325-41".

Cet article suit la logique du Conseil constitutionnel. Ainsi, s'il est adopté, cela impliquerait qu'en cas annulation de la décision du CHSCT, les frais d'expertise ne seraient plus supportés par l'employeur mais devront lui être remboursés par l'expert. Ce dernier ne sera donc pas rémunéré pour le travail déjà effectué. La dernière phrase de cette disposition permet au comité d'entreprise de prendre en charge ces coûts mais cela reste une faculté et non une obligation.
Le CE pourrait prendre en charge ces sommes mais le projet de loi n'en fait pas une obligation, seulement une faculté.