
Lien de causalité entre la maladie de Parkinson d’un agriculteur et l’exposition aux produits phytosanitaires.
Par JIMMY HUSSON
Posté le: 25/12/2009 23:08
Le 5 novembre 2009 le tribunal des affaires de sécurité sociale (section agricole) de la Vienne vient de reconnaître le lien entre l’exposition professionnelle à des pesticides d’un agriculteur et la maladie de Parkinson. En effet l’agriculteur, Monsieur Choisy, est exploitant depuis 1982. Il est atteint de la maladie de Parkinson depuis 2000, date à laquelle apparaisse les premiers symptômes. Pour les médecins, cette maladie résulterait du fait des travaux d’agricoles et l’exposition prolongée aux pesticides et aux produits phytosanitaires. . En octobre 2007 il adresse une demande de reconnaissance au titre des maladies professionnelles, auprès de sa caisse d'assurance-maladie, l'AAEXA, qui lui est refusée au motif que l’affection incriminée n’est pas inscrite dans un tableau de maladies professionnelles du régime agricole. Il saisi alors le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), qui a considéré qu’il n’y avait pas « de lien direct et essentiel entre la pathologie et le travail décrit ». a alors contesté cette décision sur la base des deux premières jurisprudences et de certaines études scientifiques. Un nouveau CRRMP a été désigné : il a donné un avis favorable établissant le lien de causalité entre la maladie et l’activité habituelle de la victime atteinte de la maladie de Parkinson. Ainsi le 6 avril 2009, le comité de reconnaissance des maladies professionnelles de Nantes établit le « lien de causalité entre la maladie et l'activité habituelle de la victime ».Cette décision a été confirmée par le TASS agricole de la Vienne qui homologue ce dernier avis du CRRMP.
Cette décision rappelle celle rendue le 12 mai 2006 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bourges en tout point. C’est la troisième allant dans ce sens.
Elle met en évidence le caractère délictuel de l’arrêt lié à un lien de causalité tempéré par un défaut d’information. En effet, afin d’apprécier ce qui fait sa substance, il nous faut définir ce lien de causalité tout en s’interrogeant sur la faute de la victime liée à un manque d’information malgré le jugement favorable.
1- Le jugement, où comment un lien de causalité a pu être établit suite à une étude franco-américaine.
Avant d’aborder le caractère délictuel de l’affaire, il convient de voir l’établissement du lien de causalité.
A- Un lien de causalité fondé sur une étude sur la maladie de Parkinson.
Le tribunal des affaires de sécurité sociale (section agricole) de la Vienne s’est basé sur l’article L461-1du code de la sécurité sociale lequel précise que pour être présumée d'origine professionnelle toute maladie il faut remplir un certain nombre de conditions « tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition » ou bien « lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé. »
« Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L'avis du comité s'impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l'article L. 315-1. »
Or comme il a été cité précédemment, le comité de reconnaissance des maladies professionnelles de Nantes a établit le « lien de causalité entre la maladie et l'activité habituelle de la victime ». Le tribunal des affaires de sécurité sociale, au visa de l’article L 461-1 du Code de la Sécurité Sociale, rappelle que l’avis du comité s’impose à la caisse.
Ce comité confirme l’étude menée par une équipe française de l’Inserm et de l’Université Pierre et Marie Curie qui a interrogé 224 patients atteints de maladie de Parkinson, qu’elle a comparé à un groupe de 557 personnes non malades, toutes affiliées à la Mutuelle Sociale Agricole. « Pour chacun d’entre eux, leur exposition aux pesticides durant toute la vie professionnelle a été minutieusement reconstituée grâce à un grand nombre d’informations (surface des exploitations, type de cultures et de pesticides utilisés, nombre d’années et fréquence annuelle d’exposition, méthode d’épandage…). Les résultats sont sans ambigüité et montrent que les patients atteints de maladie de Parkinson avaient utilisé plus souvent des pesticides et durant un plus grand nombre d’années que les témoins.
De plus, les agriculteurs exposés aux pesticides avaient un risque doublé de développer la maladie par rapport à ceux qui n’en utilisaient pas. Et ce risque est même plus important encore (x 2,4) chez ceux utilisant des insecticides de type organochloré. Aujourd’hui interdite, cette famille de produits a été largement utilisée en France entre les années 1950 et 1990. Regroupant par exemple le lindane et le DDT, elle se caractérise par une persistance dans l’environnement de nombreuses années après l’utilisation. Les auteurs insistent donc sur la nécessité d’une éducation à un meilleur usage professionnel et de mesures de protection des travailleurs agricoles exposés aux pesticides.
Mais ces relations dangereuses ne se limitent plus aux seuls agriculteurs. Publiée en avril 2009, une étude américaine a été conduite auprès de 368 malades ayant résidé à moins de 500 mètres de surfaces agricoles sur lesquelles des pesticides ont été épandus entre 1974 et 1999. Elle conclue que cette proximité augmente le risque de Parkinson de 75 % ! Et le risque de développer la maladie avant 60 ans (cas plus rares) est multiplié par 4. »
L’exposition aux pesticides augmente le risque Parkinson de 70 % selon certaines études.
Compte tenu qu’il semble établi un risque médicale liée à l’utilisation de certains produits phytosanitaires il convient de voir la responsabilité qui peut en résulter.
B - Une responsabilité objective à approcher
Dans cette affaire la responsabilité est dite "objective" car c'est une responsabilité sans faute où le seul dommage suffit à permettre à la victime de réclamer une indemnisation sans qu'aucune faute ne puisse être reprochée au débiteur, ni que ce dernier puisse s'exonérer de sa responsabilité en prouvant qu'il n'a commis aucune faute ou a fait toute diligence pour éviter le dommage.
On n’examine donc pas si la substance interdite a été utilisée intentionnellement ou par négligence. Ce principe dite de la responsabilité objective («strict liability») est le seul qui permette de sanctionner.
Pour mettre en œuvre la responsabilité extra contractuelle il faut un dommage (Le préjudice peut être matériel, physique ou moral). Le dommage doit être quantifiable. Or dans notre cas il existe bien un dommage.
Les articles 1382 et 1383 du code civil énoncent que « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » ;« Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »
Or si il existe bien un dommage, on peut qualifier de diffus celui-ci, compte tenu que sur un laps de temps de 18 ans, le chef d’exploitation a usé d’un nombre certain de produits phytosanitaires sans compter celui où il a du exercer la fonction d’aide familiale sur l’exploitation familiale. On peut se demander si il a été consigné un registre des produits usés. De même compte tenu du lien social entre agriculteurs dans une zone géographique, on peut subodorer une forme de contamination dans l’espace. Ceci résulte non seulement d’une manifestation éloignée du dommage de son lieu de production mais aussi d’une survenance d’effets à plus ou moins long terme . Cela amène à y voir un effet latent des produits émis. Dès lors, la responsabilité semble difficile a établir, d’autant plus qu’elle résulte d’une pratique professionnelle.
Or le fait générateur est en soi l’utilisation dans un cadre professionnel de produits phytosanitaires. La faute doit être la cause du dommage. Or dans notre cas la faute ne souffre pas d’un problème de sécurité dans la mesure où les pesticides sont de manière intrinsèque dangereux.
A ce stade il convient de se demander si l’information a bien été acquise et émise.
2- Une information qui suppose aussi une formation.
L’information c’est le pouvoir, la responsabilité du fait des produits défectueux passe par une connaissance qui empêchera la responsabilité du producteur mais qui suppose un savoir de la part de l’agriculteur.
A- La question de la responsabilité du fait des produits défectueux
Eu égard à l’exploitant on pourrait faire le parallèle avec la responsabilité du fait des produits défectueux notamment à travers la directive du 25 juillet 1985 dans son article 7 – e qui énonce que « Le producteur n'est pas responsable en application de la présente directive s'il prouve: e) que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit par lui n'a pas permis de déceler l'existence du défaut. » L'article 1386-11 du code civil énumère un à un les faits exonératoires cités dans cette directive laquelle a été transposée dans le code civil. Les moyens de défense tendant à prouver l’inexistence d’une condition de la responsabilité peut être par le producteur que le produit n'était pas mis en circulation. Il peut s'agir également de la preuve que le défaut n’existait pas au moment où le produit a été mis en circulation mais qu’il s’est crée postérieurement à cette mise en circulation. Le producteur peut tout aussi se dégager de sa responsabilité en montrant que le produit n’était pas destiné à la vente ou à toutes autres formes de distribution. En effet, ce système de responsabilité est fondé sur une mise en circulation volontaire à des fins professionnelles.
Ceci étant, cela pose la question de la définition du produit.
Pour rentrer dans le champ de la loi, le produit doit avoir été mis en circulation après 1998. La mise en circulation se traduit par deux caractères : le producteur a été dessaisi du produit, le produit est mis en vente ou dans toute autre forme de distribution
En 2006, la CJCE a donné une définition de la mise en service d'un produit. C'est lorsque « le produit sort du processus de fabrication et rentre dans le processus de commercialisation. » Dans notre cas les produits sont sortis du processus et ont été vendus. Du reste il est impossible de savoir quel fabricant est concerné.
L’intérêt du parallèle entre cette affaire et la responsabilité des produits défectueux tient à un arrêt récent, celui de la 1ère chambre civile de la cour de cassation du 9 juillet 2009 concernant la Société Sanofi Pasteur.
Il résulte de cet arrêt « qu’ aux termes de l’article 1384-6 du code civil, un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre ; dans l’appréciation de cette exigence, il doit être tenu compte, notamment, de la présentation du produit, de l’usage, qui peut être raisonnablement attendu, et du moment de sa mise en circulation ; la cour d’appel a constaté que le dictionnaire médical Vidal, comme la notice actuelle de présentation du vaccin, fait figurer au nombre des effets secondaires indésirables possibles du produit la poussée de sclérose en plaque, quand la notice de présentation du produit litigieux ne contenait pas cette information ; elle en a exactement déduit que le vaccin présentait le caractère d’un produit défectueux au sens de ce texte. »
Il est de fait question d’un défaut d’information. Or l’article 1384 énonce : « On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde. » Il est question de la garde du produit. Dés lors être gardien suppose la connaissance.
B- Etre agriculteur, c’est être professionnel, donc maîtriser un savoir faire.
Le savoir faire de l’agriculteur vient de sa connaissance de la terre et des intrants nécessaires aux cultures. Cela est régie par une formation.
Celle-ci se traduit par le Diplôme d'Application de Produits Antiparasitaires ( DAPA) au regard de la loi n°92-533 du 17/06/1992 en vue de exercer une activité de formation et d’encadrement de personnel dans le secteur de la distribution et de l’application de produits antiparasitaires, utiliser en toute sécurité et dans le respect de la législation les produits anti-parasitaires
Toute personne ayant suivi une formation agricole, type BAC pro, BP REA, BTSA a de facto le DAPA qu’il renouvelle tous les cinq ans. Or pour s’installer, dans le cadre du contrôle des structures régie par les articles L 321-1 et suivant du code rural et l’article R331-1 de ce même code, il convient de suivre une formation.
Cela se traduit par une connaissance des produits phytosanitaires.
Ainsi il existe différents types de produits phytosanitaires, certains des produits chimiques de synthèse, d'autres sont naturels (microorganismes, microorganismes, phéromones, substances naturelles). Les premiers sont généralement spécifiquement conçus pour tuer des organismes entrant en compétition avec les plantes cultivées ou nuisant à leur croissance ou à leur reproduction (mousses, champignons, bactéries, végétaux concurrents, insectes, rongeurs, acariens, mollusques, vers, nématodes, virus, etc.). Les seconds agissent généralement de manière différente: par compétition, par prédation, par mimétisme, par stimulation des défenses naturelles, ...
Les premiers sont généralement toxiques pour tout ou partie de l'environnement, avec un impact plus ou moins étendu et rémanent selon les cas. Les seconds sont généralement non dangereux pour l'environnement.
Les produits jugés les plus dangereux sont étiquetés comme tels.
Le transport, la préparation et l'application des produits phytosanitaires présentent souvent des risques pour l'utilisateur s'il ne respecte pas certaines règles et précautions. Il faut : prendre connaissance des risques toxicologiques et des conseils de prudence mentionnés sur l'étiquette, se protéger les mains, le visage, porter un masque à cartouche et non en papier et une combinaison, si recommandé et/ou si l'environnement ou une sensibilité allergique personnelle le justifie, toujours se laver les mains et le visage après utilisation, éviter de boire, manger ou fumer et rester calme pendant l'application (risque d'ingestion, d'inflammation, ou d'inhalation accrue), respecter les dosages, et l'usage pour lequel le produit est homologué, éviter de mélanger des produits, éviter de changer les produits d'emballage, utiliser un pulvérisateur adéquat et bien réglé, respecter les conditions et les restrictions d'emploi mentionnés sur l'étiquette (ex : ne pas pulvériser quand il y a du vent ou quand l'air est trop sec), stopper l'activité, s'éloigner du produit et prendre les conseils d'un médecin en cas de manifestations allergiques, particulièrement respiratoires.
De fait on peut s’interroger sur la faute l’agriculteur. Car au fond il est gardien de la chose à travers l’usage, le contrôle et la direction de son exploitation dans l’emploi de pesticides. Il aurait pu user de systèmes d’exploitation différents comme l’agriculture biologique. Cet aspect est à atténuer dans la mesure où l’utilisation de pesticides a été généralisée accentuée par une politique agricole qui a mené la France a être une puissance agricole. On notera que durant des décennies le monde agricole fut peu enclin à user de masques, de tenues de protection afin de pas « faire Tchernobyl ».
Le jugement rendu à Poitiers fait peser à travers la solidarité nationale l’indemnisation.
Le monde agricole est pudique à évoquer les problèmes liés aux maladies professionnelles. Aussi, malgré trois jugements rendus allant dans le sens d’une prise de conscience du risque, il conviendra à terme de connaître l’ampleur du problème liée à des intoxications résultant de pratiques professionnelles.
Droit du dommage corporel, système d’indemnisation, par Yvonne Lambert-Faivre édition Dalloz
Les déchets agricoles et l’épandage, par Alexandra Langlais éditions Technip
Contrats concurrence consommation revue mensuelle lexisnexis jurisclasseur novembre 2009 p 22, 23
Professional exposure to pesticides and Parkinson’s disease” – Annals of Neurology – juin 2009