
La sanction civile de la vente d’une substance non enregistrée sous REACH
Par Remi NOUAILHAC
Juriste HSE Corporate
Total SA
Posté le: 30/10/2009 17:31
L’enregistrement des substances sous le régime du règlement REACH est obligatoire. Le législateur français a prévu, outre les sanctions administratives et pénales, une sanction civile spéciale, qui s’ajoute à la sanction de droit commun portant sur le contrat de vente.
Le règlement REACH (1), qui est venu mettre de nouvelles obligations à la charge des entreprises produisant ou important des substances chimiques (2), est fondé sur le principe de précaution (3). Cela signifie schématiquement qu’une substance ou un mélange ne peut désormais être mis sur le marché communautaire que si son innocuité pour la santé et l’environnement a préalablement été démontrée. Le respect de la procédure d’enregistrement étant censé garantir cette démonstration, le défaut d’enregistrement d’une substance donnée emporte l’interdiction de sa mise sur le marché.
Si le règlement détaille la procédure communautaire d’enregistrement, il ne prévoit pas de sanctions pour la violation de ses dispositions. Il oblige les Etats membres à déterminer le régime des sanctions applicables et à prendre toute mesure nécessaire pour assurer la mise en œuvre de celles-ci. Les sanctions ainsi prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives (4).
C’est ainsi qu’en France, l’ordonnance du 26 février 2009 (5), a fixé le cadre des contrôles et des sanctions liés à la mise en œuvre du règlement REACH. Le régime des sanctions administratives et pénales, encore partiellement inapplicable en raison de la non-parution des décrets d’application, a déjà été détaillé (6). Mais l’ordonnance a prévu, en outre, une sanction originale sur le plan civil, directement applicable depuis le 28 février 2009.
Après avoir détaillé le régime de cette sanction spéciale (I), il conviendra néanmoins de ne pas oublier le droit commun, lequel peut également venir frapper la vente d’une substance ou d’un mélange non enregistré sous REACH (II).
I. – LA SANCTION SPECIALE
A. - Fondement
L’article 2 de l’ordonnance du 26 février 2009 a modifié l’article L. 4411-3 du code du travail, qui dispose désormais que « la fabrication, la mise sur le marché, l'utilisation des substances, telles quelles ou contenues dans des préparations ou des articles, et la mise sur le marché des préparations, sont soumises aux dispositions du règlement [REACH] ». Cette précision peut sembler redondante avec l’effet direct du règlement, mais elle prend place dans le corps de règles du code du travail relatives à la sécurité des produits chimiques utilisés dans le travail. En réalité, l’article L. 4411-3 opère par renvoi de l’article L. 4411-7, qui dispose :
« L'acheteur d'une substance ou d'une préparation dangereuse qui a été livré dans des conditions contraires aux dispositions des articles L. 4411-1 et L. 4411-3 peut, même en présence d'une clause contraire, dans le délai d'une année à compter du jour de la livraison, demander la résolution de la vente.
La juridiction qui prononce cette résolution peut accorder des dommages et intérêts à l'acheteur. »
Les articles L. 4411-7 et L. 4411-3 existaient avant l’ordonnance du 26 février 2009. Mais l’article L. 4411-3 portait uniquement sur la communication d’informations relatives aux substances et préparations dangereuses non mises sur le marché communautaire avant 1981, c'est-à-dire à un nombre réduit de produits, et selon le système peu contraignant qui prévalait antérieurement au règlement REACH. Ainsi, la possibilité de voir s’appliquer la sanction était rare.
Désormais, c’est en revanche tout produit dangereux non enregistré, ou encore enregistré de manière incorrecte ou incomplète, qui est susceptible d’entrer dans le champ d’application de l’article L. 4411-7. Encore devra-t-on préciser le champ d’application particulier de cette disposition.
B. - Champ d’application
1° - L’exposition des travailleurs
Le nouvel article L. 4411-3 prend place dans un chapitre du code du travail relatif à la mise sur le marché des substances et préparations, lui-même inclus dans la partie du code relative à la santé et à la sécurité au travail. L’objectif est indiqué en tête de chapitre par l’article L. 4411-1, qui dispose : « Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité au travail, la fabrication, la mise en vente, la vente, l'importation, la cession à quelque titre que ce soit ainsi que l'utilisation des substances et préparations dangereuses pour les travailleurs peuvent être limitées, réglementées ou interdites ».
On peut en déduire a contrario que la sanction envisagée n’a vocation à s’appliquer qu’à des substances ou mélanges avec lesquels des travailleurs entrent en contact. Il reste qu’en pratique, le vendeur d’un produit dangereux pourra souvent s’attendre à ce que le produit vendu soit utilisé dans un contexte de travail, par exemple en tant que matière première, produit destiné à une transformation, composant, carburant, etc.
2° - La dangerosité du produit
L’article L. 4411-7 ne vise que les substances ou les préparations dangereuses. La définition de cette dangerosité est donnée par l’article R. 4411-6, qui énumère limitativement des catégories de produits dangereux : explosibles, comburants, toxiques, cancérogènes, etc. On notera que ces catégories ne correspondent pas à la classification communautaire des substances et mélanges récemment refondue (7). Le nouveau règlement CE n° 1272/2008 prévoit vingt-huit catégories très détaillées et réparties entre dangers physiques, dangers pour la santé, et dangers pour l’environnement, tandis que l’article R. 4411-6 retient quinze catégories sommairement définies.
C. – Régime
La sanction prévue par l’article L. 4411-7 est la résolution de la vente du produit. Le terme de résolution renvoie à la sanction d’un défaut dans l’exécution du contrat, non dans sa formation. Le législateur semble donc considérer que c’est la livraison du produit non enregistré sous REACH, et non sa vente, qui constitue un défaut de légalité.
Aux termes de l’article L. 4411-7 du code du travail, cette résolution ne peut être demandée que par l’acheteur du produit dangereux.
Le délai d’un an pour agir est original, en ce qu’il court à compter de la livraison du produit. Cette originalité tend à appuyer le caractère résolutoire de la sanction, puisqu’à travers la livraison, c’est bien l’exécution du contrat qui est sanctionnée.
On notera en outre que si la résolution est prononcée, des dommages et intérêts peuvent être alloués à l’acheteur. Cette sanction, même si elle est expressément mentionnée, n’est qu’une application du principe de responsabilité pour faute. Le dommage réparable devra néanmoins être prouvé. Quant à la faute civile du vendeur, elle réside naturellement dans le manquement à l’obligation légale de procéder à l’enregistrement de la substance avant la mise sur le marché.
II. - LA SANCTION DE DROIT COMMUN
A. - Fondement
Le droit commun sanctionne les contrats dont l’objet est hors commerce sur le fondement de l’article 1128 du code civil, qui dispose : « il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet de conventions ». La notion d’objet dans le commerce est classiquement conçue excluant toute transaction sur les objets « tabous » selon l’expression du doyen Carbonnier (par exemple, le corps humain, dont le caractère hors commerce entraînait déjà, avant l’intervention des lois « bioéthique » de 1994, la nullité des conventions de gestation pour autrui (8)).
Dans un mouvement plus récent, la Cour de cassation semble souhaiter aller plus loin en affirmant notamment le caractère hors commerce des marchandises contrefaites (9) et des produits périmés (10). Dans le cadre de ce courant jurisprudentiel, il est tout à fait concevable qu’une substance ou mélange non enregistré au titre du règlement REACH puisse être considéré comme étant hors du commerce.
B. - Champ d’application
Contrairement à la sanction spéciale, la non-validité des contrats portant sur des choses hors du commerce n’est pas soumise à un champ d’application restrictif. Dès lors, la vente d’une substance ou d’un mélange non enregistré sous REACH peut être sanctionnée, que le produit soit ou non dangereux, et quel que soit le contexte de son utilisation (exposition des travailleurs ou non).
C. – Sanction
La sanction d’un contrat dont l’objet est hors du commerce est la nullité absolue. Cette nullité peut être demandée en justice par toute personne y ayant intérêt, y compris les parties et les héritiers et créanciers de celles-ci. Concernant les tiers absolus (penitus extranei), la jurisprudence se montre exigeante quant à l’intérêt à agir : un simple concurrent du vendeur ne peut pas contester un acte avec pour seul intérêt de pénaliser un concurrent.
L’action en nullité absolue se prescrit aujourd'hui par cinq ans à compter du jour où le titulaire de l’action a connu les faits lui permettant de l’exercer (c. civ., art. 2224), en l’occurrence le fait que le produit vendu n’était pas dûment enregistré au jour de la vente.
D. - Concurrence des deux sanctions
La sanction spéciale est une résolution, visant par conséquent l’exécution du contrat. Cette particularité tend à conférer une pleine applicabilité à la nullité absolue de droit commun, qui porte au contraire sur la formation du contrat. En effet, si le législateur avait prévu comme sanction spéciale une nullité sanctionnant la formation du contrat de vente d’un produit non enregistré, on eût considéré la règle spéciale comme dérogatoire au droit commun ; ce n’est pas le cas, et les deux sanctions sont donc susceptibles de jouer concurremment.
NOTES
(1) PE et Cons. UE, règl. (CE) n° 1907/2006, 18 déc. 2006, concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH) et instituant une agence européenne des produits chimiques : JOUE n° L 396, 30 déc. 2006, p. 1.
(2) Le règlement REACH vise également les utilisateurs en aval, mais pas dans ses dispositions relatives à l’obligation d’enregistrement des substances et mélanges.
(3) Règl. CE n° 1970/2006, art. 1er, § 3.
(4) Règl. CE n° 1970/2006, art. 126.
(5) Ord. n° 2009-229, 26 févr. 2009, prise pour l'application de l'article 12 de la loi n° 2008-757 du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'environnement : JORF n° 49, 27 févr. 2009, p. 3469.
(6) Cf. Ollier J.-Y., Pelletreau S., Contrôle et sanctions liés au règlement REACH, BDEI n° 23, sept. 2009, p. 48.
(7) PE et Cons. UE, règl. (CE) n° 1272/2008, 16 déc. 2008, relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) n° 1907/2006 : JOUE n° L 353, 31 déc. 2008, p. 10
(8) Cass., ass. plén., 31 mai 1991 : Bull. civ., n° 4 ; D. 1991. 417, note Thouvenin.
(9) Cass. com. 24 sept. 2003 : Bull. civ. IV, n° 147 ; D. 2003. 2683, note Caron.
(10) Cass. com. 16 mai 2006 : Bull. civ. IV, n° 124 ; D. 2006. AJ. 1683, obs. Lienhard.