La protection pénale des animaux
Par Patricia Kosowski
Juriste en Droit Nucleaire et de l'Environnement
CEA SACLAY
Posté le: 27/09/2015 18:35
Prévus à l’origine à l’alinéa 12 de l’article R.38 de l’ancien code pénal, les mauvais traitements sont désormais réprimés en vertu de l’article R.654-1 du nouveau code pénal de manière plus stricte. Alors qu’il s’agissait d’une contravention de quatrième classe pouvant être sanctionnée par une amende de 1 300 francs à 3 000 francs et/ou d’une peine de prison allant jusqu’à dix jours au plus en cas de récidive (5 jours au maximum dans le cas inverse), depuis 1994 la seule sanction encourue pour l’auteur de mauvais traitement envers un animal est de 5 000 francs au maximum (750 euros). A la suite de la suppression de l’emprisonnement contraventionnel et la disparition de la récidive des contraventions de quatrième classe , le législateur a du s’adapter en augmentant la peine d’amende maximale encourue par l’auteur de mauvais traitement et en supprimant la peine d’emprisonnement. S’agissant de la rédaction, elle diffère de celle de 1963. Maintenant l’exclusion de la condition de publicité et la remise de l’animal maltraité à une œuvre de protection animale, le texte de 1994 diffère de celui de 1963 sur un point essentiel. Désormais, l’article R.654-1 sanctionne « le fait, sans nécessité, publiquement ou non, d’exercer volontairement des mauvais traitements […] » alors que l’article R.38, 12° visait « ceux qui auront exercé sans nécessité, publiquement ou non,de mauvais traitements […] ». L’adjonction de l’adverbe « volontairement » suppose donc, pour que l’auteur soit poursuivi, la commission d’un acte intentionnel, pouvant rendre la répression plus compliquée.
Concernant les actes de cruauté, autrefois réprimés par l’article 453, ils relèvent, depuis la loi n°94-653 du 29 juillet 1994, de l’article 521-1 du nouveau code pénal alors qu’au moment de l’entrée en vigueur de ce dernier, le délit figurait à l’article 511-1. Contrairement aux mauvais traitements, le législateur n’a pas exigé que les actes de cruauté soient commis de manière intentionnelle par l’auteur ce qui aurait supposé de rapporter la preuve de la volonté de faire souffrir un animal. Deux modifications sont toutefois apportées au délit d’actes de cruauté tel que conçu par l’article 453 de l’ancien code pénal :
le législateur a ajouté un alinéa reprenant l’article 13 II de la loi de 1976 sanctionnant l’abandon volontaire d’animaux des peines prévues pour les actes de cruauté : la sensibilité animale prend une autre tournure car elle implique désormais une souffrance physique et morale, l’abandon étant une forme de souffrance morale ;
la disposition relative à la récidive a été supprimée car elle est désormais prévue par l’article 132-10 du code pénal : l’auteur d’actes de cruauté envers un animal, condamné définitivement, encourt, en cas de récidive dans les cinq ans à compter de l’expiration ou de la prescription de la précédente peine, le doublement du maximum des peines d’emprisonnement et d’amende.
Les peines ont par ailleurs été légèrement aggravées : l’amende encourue passe de 15 000 francs à 50 000 francs, la peine d’emprisonnement de six mois restant inchangée. Les sanctions encourues en cas d’expériences ou recherches scientifiques pratiquées sans se conformer aux prescriptions du décret n°87-848 du 19 octobre 1987 relatif aux expériences pratiquées sur les animaux vertébrés restent les mêmes que celles prévues par l’article 521-1 . La loi n°99-5 du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux a aggravé le montant de l’amende en le faisant passer à 200 000 francs et a porté la peine d’emprisonnement à deux ans. L’article 22 de la loi précitée a créé une peine complémentaire d’interdiction de détenir un animal à titre définitif ou non, portant atteinte une fois de plus au droit de propriété. En 2006, le législateur a fait évoluer l’article 521-1 du code pénal. Désormais, outre les sévices graves et les actes de cruauté, sont également réprimés tous les actes de nature sexuelle dont l’animal pourrait être victime. Les personnes physiques encourent une peine de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. De plus, le juge a la possibilité d’interdire à l’auteur de ces actes, d’exercer, pour une durée maximale de cinq ans, une activité professionnelle ou sociale dès lors que les facilités que procure cette activité ont été sciemment utilisées pour préparer ou commettre l'infraction. Une autre nouveauté de 2006 réside dans le fait que les personnes physiques ne sont plus les seules pouvant être sanctionnées : les personnes morales, déclarées pénalement responsables, encourent :
- une peine d’amende dont le taux maximum de l'amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l'infraction ;
- l'interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d'exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales ;
- la fermeture définitive ou pour une durée de cinq ans au plus des établissements ou de l'un ou de plusieurs des établissements de l'entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés ;
- l'interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d'émettre des chèques autres que ceux qui permettent le retrait de fonds par le tireur auprès du tiré ou ceux qui sont certifiés ou d'utiliser des cartes de paiement ;
- la peine de confiscation, dans les conditions et selon les modalités prévues à l'article 131-21 du code pénal ;
- l'affichage de la décision prononcée ou la diffusion de celle-ci soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique ;
- la confiscation de l'animal ayant été utilisé pour commettre l'infraction ou à l'encontre duquel l'infraction a été commise ;
- l'interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, de détenir un animal .
Ainsi il est possible d’affirmer que la protection de l’animal, en tant qu’être sensible, est renforcée par l’apparition de nouvelles règles.
Le code pénal s’est enrichi de deux nouvelles infractions en 1994 : la contravention de troisième classe (450 euros) d’atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité animale prévue à l’article R.653-1 , et la contravention de cinquième classe d’atteintes volontaires à la vie d’une animal réprimée par l’article R.655-1 . A l’époque, l’article R.34, 2°, 3° et 4° sanctionnait les auteurs qui provoquaient « la mort ou la blessure des animaux ou bestiaux appartenant à autrui » par divers comportements (chargement excessif des voitures, bêtes de trait de charge ou de monture, usage d’armes sans précaution ou avec maladresse, jet de pierre etc.). Désormais l’article R.653-1 sanctionne « le fait par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, d’occasionner la mort ou la blessure d’un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité […] ». De cette façon, sont reprises, de manière synthétique, toutes les manières de blesser ou de tuer un animal de manière involontaire. De plus, ce texte ne s’applique pas qu’aux animaux appartenant à autrui : il concerne n’importe quel animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité, tout comme le délit d’acte de cruauté. Le champ d’application de la protection est harmonisé entre les deux dispositions car elles concernent les mêmes sortes d’animaux. Il est à noter que la rédaction de l’article R.653-1 permet également de réprimer l’auteur qui a provoqué involontairement des blessures ou la mort d’un animal quand bien-même il s’agissait de son propriétaire. C’est donc bien la protection de l’animal pour l’animal qui est visée. Cela est confirmé par la possibilité prévue à l’alinéa 2 de confier l’animal blessé à une œuvre de protection animale.
L’article R.40, 9° du code pénal, réprimait le fait de tuer des animaux domestiques sans nécessité « dans un lieu dont celui à qui cet animal appartenait était propriétaire, locataire, colon ou fermier ». A une époque où l’économie était rurale, la protection de l’animal se faisait au travers de la protection de la valeur purement patrimoniale des bêtes. Lors de la réforme du code pénal, le législateur a souhaité moderniser le droit afin de répondre aux attentes d’une société urbaine et industrialisée devant protéger l’animal pour lui-même et non en raison de sa valeur patrimoniale, cette vision étant devenue archaïque. C’est pour cette raison que la contravention d’atteintes volontaires à la vie de l’animale a été mise au service de la protection de la sensibilité animale grâce à une définition empruntée à la contravention de mauvais traitements et au délit d’actes de cruauté. L’article R.655-1 du nouveau code pénal vise un fait commis sans utilité et volontairement, de manière publique ou non, sur un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité. Dès lors qu’une personne a tué un animal de manière intentionnelle, elle sera sanctionnée quand bien même l’auteur était son propriétaire. Il est ainsi possible d’affirmer que la protection des animaux se calque de plus en plus sur les fondements de la protection humaine notamment par l’instauration de la contravention « animalicide » de l’article R.655-1 protégeant l’intégrité physique des animaux dans leurs propres intérêts.
Le législateur de 1994 avait souhaité, dans un premier temps, renvoyer vers le code rural et de la pêche maritime ces infractions contre les animaux alors qu’elles avaient toujours été inscrites au sein du code pénal. Il avait envisagé de classer les infractions en trois catégories au sein du code précité : celle des crimes et délits contre les personnes, celle des crimes et délits contre les biens et celle des crimes et délits contre la Nation, l’Etat et la paix publique. Cela semblait convenir jusqu’au moment où le législateur a dû se prononcer sur le sort du délit d’actes de cruauté envers les animaux domestiques apprivoisés ou tenus en captivité. Selon la tradition juridique et dans un souci de cohérence avec le code civil en vigueur à l’époque, tout portait à croire que les infractions à l’encontre des animaux allaient être rattachées à la catégorie des crimes et délits contre les biens. Cependant, le législateur considéra qu’une telle qualification constituerait une régression alors que la protection de la sensibilité de l’animal n’a pas cessé de progresser. Aucune des deux autres catégories correspondant, il ne restait plus d’une seule solution : placer les infractions contre les animaux dans une catégorie distincte. Le Sénat a procédé en deux temps. Tout d’abord, a été adopté un amendement portant création dans le nouveau code pénal d’un livre V intitulé « Des autres crimes et délits » voulu dès 1992 et destiné, en tant que coquille vide, à accueillir toutes les incriminations du droit pénal dit spécial. Le second amendement adopté a inséré le délit d’acte de cruauté au sein du livre V. Quelques mois plus tard l’Assemblée Nationale se rangea à cette position. En parallèle, les auteurs de la partie règlementaire du code pénal, ont institué un titre V intitulé « Des autres contraventions », où on été insérées les contraventions d’atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité de l’animale, de mauvais traitements envers un animal et d’atteintes volontaires à la vie d’un animal. Un constat est frappant : dès lors que les infractions contre les animaux figurent dans une catégorie distincte de celle des infractions contre les biens, les animaux ne sont donc plus des biens. Le code pénal rompt avec la tradition civiliste qui considérait l’animal comme un bien, le caractère d’être sensible ayant été reconnu qu’en 2015 par le code civil.