1. Le cadre juridique au Qatar

Les entreprises multinationales emploient majoritairement des migrants étrangers au Qatar en particulier dans la construction. Cela est le cas pour les constructions effectuées dans le cadre de la Coupe du monde de football. Au Qatar, les migrants sont 1,3 millions et les qataris 2 millions. Les migrants viennent du Népal, du Bangladesh, de l’Inde, du Sri Lanka ou encore des Philippines.

La loi sur le travail (Law n°14 de l’année 2004) énonce une règle de préférence pour les travailleurs qataris. Ainsi, il faut une autorisation du gouvernement pour recruter des étrangers et préalablement le recruteur doit obtenir une licence. Mais il est bien prévu par l’article 33 de la loi qu’il n’y a pas le droit de demander des sommes aux migrants pour les recruter.
Cependant, la loi ne s’applique pas à plusieurs catégories de personnes dont les employés de maison.
Pour travailler, les non qataris doivent obtenir une approbation du Département du travail et un permis de travail. Celui-ci est accordé sous conditions : aucun qatari n’est qualifié pour ce travail, le migrant doit avoir un permis de résidence, il est soumis à des conditions médicales et le permis est accordé pour cinq années au maximum.
Il est prévu que l’employeur doit payer les trajets allers-retours des migrants s’ils sont recrutés avant leur arrivée au Qatar.
La loi réglementant l’entrée et la sortie des expatriés au Qatar, leur résidence et le système du sponsorship permet de nous renseigner sur la question. Les expatriés doivent obtenir un visa de travail. Une fois expiré, il faut attendre deux ans avant de pouvoir refaire une demande.
Pour le visa de travail, un migrant doit être sponsorisé. Le sponsor est, comme indiqué plus haut, un qatari qui a l’autorisation d’embaucher des étrangers. C’est lui qui établit les formalités de résidence des étrangers qu’il embauche. L’article 9 de la loi prévoit que le sponsor doit rendre le passeport une fois les formalités accomplies sinon il est passible, au titre de l’article 52 de la loi, d’une amende de 10.000 QR.
Si un migrant veut changer d’employeur, donc de sponsor, il faut un accord des deux sponsors et une autorisation du Ministère pour attester du transfert de responsabilité du migrant d’un employeur à un autre. Il faut également un certificat de non-opposition du sponsor, il doit valider le souhait du migrant de le quitter.
Pour sortir du Qatar, il faut un permis de sortie et donc un certificat à nouveau de non-opposition. A expiration du permis de travail, le migrant retourne dans son pays et la loi qatarie prévoit que le sponsor doit payer le rapatriement du migrant ou de son corps s’il est décédé.
Le Qatar a donc un système très particulier pour l’emploi d’étrangers mais, pour autant, il ne s’agit pas d’esclavagisme institutionnalisé et une loi (loi n°15 de 2011) a été édictée pour combattre le trafic d’êtres humains.

2. La dénonciation des ONG et autres cabinets indépendants

Dans un rapport de mai 2015, Amnesty International a dénoncé le traitement des migrants étrangers au Qatar. La législation qatarie ne permet pas de protéger les travailleurs étrangers des employeurs qataris. Ceux-ci peuvent aisément abuser de leurs droits puisque les sanctions encourues sont faibles. Le rapport fait le bilan des annonces de réforme faites par le Qatar en février 2014, il s’agit de régler différents problèmes : les frais payés par les migrants dans leur pays d’origine et illégalement, le permis de sortie et le certificat de non-opposition ainsi que le problème des retards de paiement de salaire voire de non-paiement. Une réforme a été engagée pour lutter contre la confiscation des passeports.

Sherpa accuse Vinci d’exploiter ces travailleurs au Qatar. Pour contrer cette accusation, en plus des démarches juridiques, Vinci a envoyé des agents et des délégations de syndiqués au Qatar. L’entreprise a construit des abris pour les employés étrangers afin qu’ils n’aient plus besoin de faire garder leurs passeports par les employeurs. L’entreprise explique que même lorsque les employeurs conservaient les passeports dans leur bureau, les employés y avaient accès.

Le Qatar a mis en place une Commission des droits de l’Homme qui émet un rapport annuel sur le respect des droits de l’Homme au Qatar et qui est censée être indépendante. En 2014, elle a critiqué le système de kafaka par ses effets.
Devant les critiques, le Qatar a mandaté un cabinet d’avocats, DLA Piper, pour étudier le travail des migrants dans le secteur de la construction au Qatar. Le cabinet suggère de nombreux changements. Alors qu’il est interdit de faire payer des frais aux migrants pour qu’ils puissent trouver un employeur ou un emploi au Qatar, des agences de recrutement installées dans leur pays d’origine contournent cette interdiction. Les migrants doivent payer des sommes importantes à ces agences qui servent d’intermédiaires. Ce contournement est possible car le droit du travail qatari n’a pas d’effet extraterritorial. Ainsi, la prohibition des demandes de frais aux migrants par le droit qatari est contournée. La solution suggérée par le cabinet est de conclure des accords bilatéraux pour faire respecter le fait que normalement c’est au sponsor de payer les frais de voyage. Une annonce du Ministère a été faite en ce sens.
Un autre problème est le système du kafala lui-même et principalement les risques d’abus liés au permis de sortie et de l’absence de liberté de changer d’employeur. Ce système repose sur la responsabilité de l’employeur du fait de ses employés et a pour origine la crainte du risque d’abus des migrants, la crainte des vols lorsqu’ils quittent le Qatar par exemple.
Par ailleurs, l’étude du cabinet démontre qu’en pratique les passeports sont gardés pour les protéger, cela peut être à la demande des employés.

3. Les perspectives d’évolution de la situation des travailleurs étrangers

Plusieurs réformes ont été annoncées par le Qatar récemment comme l’augmentation des amendes en cas de retenue de passeport ou le remplacement de l’autorisation de sortie par une autorisation automatique du Ministère sous réserve d’objections de l’employeur. Enfin, une réforme a été mise en place : l’obligation de paiement par compte bancaire des salaires des migrants car, en effet, le problème de l’accès au compte bancaire est aussi une difficulté qui facilite les non-paiements ou retards de paiement de salaires.
Au niveau européen, le Parlement européen a pris une résolution le 20 novembre 2013 sur la situation des travailleurs migrants au Qatar.
Le Parlement européen invite les autorités qatariennes à mettre effectivement en œuvre la législation existante notamment l’interdiction de confiscation de passeports. En effet, le Parlement s’inquiète que des personnes soient détenues uniquement pour avoir fui leur employeur. Il invite à abolir le système dit de « kafala » et en particulier le « certificat de non-opposition » et le permis de sortie. Il invite le Qatar à travailler avec les pays d’origine des travailleurs étrangers au Qatar et à ratifier des traités en ce sens ainsi que les Conventions de l’OIT et le Pacte civil.
Enfin, le Parlement appelle les entreprises européennes de construction de stades et autres infrastructures à offrir des conditions de travail correctes à leurs employés au Qatar d’origine étrangère.

La question de l’exploitation des travailleurs étrangers au Qatar par les entreprises multinationales notamment françaises démontre qu’entre le droit et la pratique il peut exister un fossé. Une fois de plus, le projet de loi sur la responsabilité des sociétés-mères du fait de leurs filiales et sous-traitants pourra aider à améliorer la situation en obligeant les entreprises multinationales à contrôler le respect des droits de l’Homme et du droit qatari par leurs sous-traitants.