Le projet de loi de modernisation du système de santé est actuellement à l'examen au Sénat. Lors de la séance 14 septembre 2015, les sénateurs ont réintroduit le concept d’exposome dans le projet de loi, et ce après l’avoir supprimé à la suite de l’examen par la commission des affaires sociales du Sénat en juillet dernier.

Ce concept vise à mesurer et à prendre en considération les expositions environnementales cumulées d’une personne de la période in utero jusqu'à sa fin de vie comme le stipule l’article 1 du projet de loi : « La politique de santé comprend : 1° La surveillance et l’observation de l’état de santé de la population et l’identification de ses principaux déterminants, notamment ceux liés à l’éducation et aux conditions de vie et de travail. L’identification de ces risques s’appuie sur le concept d’exposome, entendu comme l’intégration de l’ensemble des expositions pour la vie entière. L’analyse des risques pour la santé de la population prend en compte l’ensemble de l’exposome, c’est-à-dire l’ensemble des facteurs non génétiques qui peuvent influencer la santé humaine … »

Ce concept est d’importance, et ce particulièrement pour le milieu industriel. En effet, l’activité industrielle est génératrice d’impacts sur l’environnement.

Ces impacts ne se résument pas qu’à des catastrophes de type pollution d’envergure ou explosion de site, telles que BHOPAL, SEVESO, AZF, TIANJIN. Ces impacts peuvent aussi être « invisibles » et se manifester dans la durée en raison de l’exposition de personnes à des situations pathogènes tant professionnelles qu’extraprofessionnelles. L’accroissement d’affections chroniques, comme la baisse de la fertilité, les dysfonctionnements hormonaux, ont fait prendre conscience qu’il existe des facteurs autres que génétiques pouvant être des sources nocives pour la santé.

Le concept d’exposome vise justement à identifier et analyser ces risques afin de pouvoir mettre en place une prévention. Son enjeu est double : réduction des dépenses de santé et possibilité pour le politique d’intervenir pour mettre en place une prévention au niveau des sources de risques, dont l’activité professionnelle.

Dans le monde professionnel les sources de risques sont multiples : physiques (bruit, chaleur, froid …), chimiques (particules, liquides, gaz …), biologiques (bactéries, virus …), psychologiques (stress, addictions …), radiologiques (rayons X, Gamma, champs électromagnétiques ...), conditions de travail (travail de nuit, intérimaire, saisonnier ...).

L’on sait aujourd’hui que certains travaux sont la cause notamment de cancers d’origine professionnelle et sont d’ailleurs reconnus comme maladies professionnelles indemnisables. Citons comme exemple l’amiante. Selon la dernière enquête SUMER de 2010 la proportion de salariés exposés à au moins un produit cancérogène est de 10 ,1 %, les trois plus fortes proportions étant (i) les secteurs industries extractives avec 47,3 %, (ii) la construction avec 31,1 % et (iii) l’industrie manufacturière avec 18,5 %.

Toutefois, l’exposome professionnel reste encore difficile à évaluer, et ce particulièrement quand la pathologie constatée peut être le résultat de multiples « petits évènements » intervenus lors la vie professionnelle de la personne concernée et pas forcément tous déterminables. Il en est de même quand la pathologie ne se révèle que plusieurs années après avoir travaillé. De plus, la mobilité des personnes au travail, changement de postes et/ou de lieu de travail, Interim, ne facilite pas l’identification de la source de risques.

Néanmoins, des « outils d’identification » existent déjà à travers les démarches de la métrologie des expositions professionnelles que l’employeur peut être amené à devoir mettre en oeuvre pour évaluer les risques d’exposition sur le lieu de travail. Cela passe notamment par des mesures de visites de postes, de métrologie de l’atmosphère (postes et locaux de travail) et de biométrologie pour évaluer l’imprégnation du personnel.

Il existe par ailleurs des dispositifs de traçabilité des expositions professionnelles, à savoir l’un aux expositions aux rayonnements ionisants qui mesure les doses réellement incorporées par le salarié et l’autre aux agents chimiques, dont les agents CMR (cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques), qui ne tient compte que de l’environnement professionnel et qui informe seulement sur la susceptibilité d’y avoir été en contact.

Par ailleurs, le suivi de toutes les expositions des salariés aux facteurs de risques professionnels fait l’objet :

- du carnet de santé au travail, constitué par le médecin du travail,

- de l’obligation pour l’employeur de consigner dans une fiche individuelle « … les conditions de pénibilité auxquelles le travailleur est exposé, la période au cours de laquelle cette exposition est survenue ainsi que les mesures de prévention mises en œuvre par l'employeur pour faire disparaître ou réduire ces facteurs durant cette période. » (article L.4121-3-1 du code du travail).

Il existe par ailleurs de nombreux organismes de traçabilité des expositions professionnelles, comme :

- le Réseau National de Vigilance et Prévention des Pathologies Professionnelles (RNV3P) qui regroupe les observations de tous les centres de consultations de pathologies professionnelles, pour mieux repérer les étiologies professionnelles et suivre l'évolution des maladies professionnelles,

- l’INVS (Institut de Veille Sanitaire) qui analyse les données de base de santé publique, effectue le choix d'indicateurs fiables et pertinents d’épidémiologie, diffuse une information régulière aux décideurs,

- l’INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale) qui effectue des recherches sur l’épidémiologie des cancers professionnels et sur les composantes professionnelles et sociales de la santé,

- l’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité) qui développe des bases de données et des métrologies d’exposition adaptées aux polluants chimiques et biologiques industriels,

- l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) et l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS), impliqués dans le troisième plan national santé environnement 2015-2019 (PNSE3),

- la base de données COLCHIC alimentée par les prélèvements réalisés par les laboratoires des CRAM et de l’INRS contenant des informations sur les conditions de réalisation des prélèvements (technique de prélèvement, volume, durée, méthode, ...) des données sur l’entreprise (secteur d’activité économique, localisation, ...) et des informations sur les travailleurs (fréquence d’exposition, profession, type de tâches effectuées, ...).

Les sénateurs reprendront l'examen du projet de loi de modernisation du système de santé à partir du lundi 28 septembre 2015.

En l’état, il peut être retenu que, d’une manière générale, le concept d’exposome nécessitera encore de nombreux développements méthodologiques dans l'évaluation et la traçabilité des expositions avant de devenir pleinement opérationnel. Toutefois, pour ce qui concerne le milieu professionnel, et particulièrement industriel, les outils d’ores et déjà mis en place pour apprécier les risques du travail au niveau des salariés risqueront d’avoir des implications en ce qui concerne l’appréciation des risques auxquels sont exposées non seulement les personnes internes à l’entreprise mais également les personnes extérieures à l’entreprise génératrice des risques. En cela, le concept d’exposome, réintroduit dans le projet de loi de modernisation du système de santé, risque de faciliter l’élargissement du champ des responsabilités des entreprises au cadre extraprofessionnel.