En droit français le produit défectueux est le produit qui « n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre » et lorsque telle est le cas, la victime qui a subi un dommage du fait de la défectuosité d’un produit peut engager la responsabilité du producteur sous certaines conditions fixé aux articles 1386-1 et suivant du Code civil. Le juge civil a été amené à préciser, par sa jurisprudence, l’interprétation de ces articles afin de définir les limites du champ d’application de cette responsabilité. Tel est l’objet de la décision rendue par les juges de la première chambre civile de la Cour de cassation du 1er juillet 2015.

En l'espèce, une société qui approvisionnait la société « Le Club des vignerons » en bouteilles de verre destinées à son activité de commercialisation de vin, a constaté que des bouteilles étaient affectées de défauts pouvant provoquer l'apparition de débris de verre. La société fournissant les bouteilles a demandé à la société Le Club des vignerons l'immobilisation des lots de fabrication concernés. Cette absence de commercialisation des produits affectés par le défaut entraînant un préjudice économique pour elle, la société Le Club des vignerons a assigné la société fabricante de bouteilles et son assureur en réparation du préjudice, laquelle demande a été accueillie en première instance. Toutefois, le litige a été porté en cause d'appel et les juges du fond (CA Lyon, 13 février 2014), ont rejeté la demande de réparation de la société Le Club des vignerons au motif que le préjudice était économique et n'était pas indemnisable au sens des articles 1386-1 et suivants du Code civil.

Dès lors, la question qui se pose est celle de savoir si un préjudice d’ordre purement économique peut être indemnisable au sens des articles 1386-1 et suivant du code civil ?

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a énoncé, au visa des articles 1386-1 et 1386-2 du Code civil, que les défauts relevés affectaient non seulement les bouteilles de verre mais aussi le vin qu'elles devaient contenir, ce dont il résultait que la mévente des bouteilles défectueuses, engendrant le préjudice invoqué, était consécutive au caractère impropre à la consommation du vin. En conséquence, la cour d'appel qui décide de ne pas indemniser ce préjudice viole les dispositions des articles précités.

Si l’apport essentiel de cet arrêt réside dans la consécration de la reconnaissance du préjudice économique résultant de la défectuosité d’un produit, un autre apport semble tout aussi remarquable : le dommage causé à une chose, autre que le produit défectueux lui-même, est couvert par le régime de la responsabilité du produit défectueux, quand bien même cette chose avait pour vocation à être commercialiser, et n’était pas destiné à un usage privé.

Rappelons que la responsabilité du fait des produits défectueux a été consacré par une directive communautaire du le 25 juillet 1985 qui n’a été transposé en droit français que treize ans plus tard, par la loi du 19 mai 1998 insérant les articles relatifs à la responsabilité du fait des produits défectueux au code civil. En vertu de l’article 9 de la directive, les dommages couverts par la responsabilité du fait des produits défectueux sont :

- « a) les dommages causés par la mort ou par des lésions corporelles »
- « b) les dommages causés à une chose ou à la destruction d’une chose, autre que le produit défectueux lui-même sous déduction d’une franchise de 500 euros, à condition que cette chose :
o i) soit d’un type normalement destiné à l’usage ou à la consommation privés et
o ii) ait été utilisée par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privé ».

L’article 9 n’a vraisemblablement pour objet que la réparation des dommages qui résultent de l’atteinte à la sécurité des personnes mais aussi de l’atteinte aux biens corporels, qu’ils soient détruits ou détériorés, à condition que ceux-ci n’ait été destiné qu’à l’usage ou à la consommation privé et qu’ils aient été utilisés par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privée. Cette définition semble exclure, a contrario, le préjudice résultant de la détérioration d’un bien corporel destiné à la commercialisation, et non à l’usage privé.

Au regard des dispositions de la directive communautaire du 25 juillet 1985, la solution adoptée par la Cour de cassation, reconnaissant la réparation du préjudice économique pur lié à la mévente de produit du au caractère impropre à la consommation de vin, causé par un défaut des bouteilles vendues, semble aller à l’encontre de la définition du dommage réparable dans le cadre de la responsabilité du fait des produits défectueux tels que donnée par le législateur européen. En ce sens, rappelons qu’au sens de l’article 9 de la directive, concernant l’atteinte aux biens corporels, seuls les atteintes aux biens corporels destinés à l’usage privé qui ont été détruit ou détérioré par le produit défectueux devraient être réparables au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux. Or dans les faits d’espèce de l’arrêt du 1er juillet 2015, les biens corporels ayant été détérioré du fait de la défectuosité du produit étaient des biens destinés à la commercialisation. Il serait donc intéressant de savoir comment se positionne la CJUE dans cette affaire.

Civ 1ère, 1er juillet 2015, n° 14-18.391, F-P+B
http://grerca.univ-rennes1.fr/digitalAssets/304/304964_13-ccorgassynthedommage2.pdf