Les voies contentieuses en matière de marchés publics ont fortement évoluées du fait de l'influence du droit communautaire. A cet égard, deux procédures d’urgence ont été consacrées en droit français du fait de la transposition des directives européennes : d’une part, le référé pré contractuel a été créé par la directive 89/665/CEE du 21 décembre 1989 , et a été introduit dans notre droit par la loi n° 92-10 du 4 janvier 1992, et d’autre part le référé contractuel a été créé par la directive n°2007/66/CE du 11 décembre 2007, et a été introduit en droit interne par l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, précisée ensuite par un décret le 27 novembre 2009. Ces procédures d’urgence permettent aux candidats de contester la régularité d’un marché dont ils ont été évincés. Le référé pré-contractuel et le référé contractuel se distinguent du fait que le premier ne peut être intenté qu’avant la signature du contrat tandis que le deuxième ne peut l’être qu’après la conclusion du contrat litigieux. Aussi, le référé contractuel est destiné à sanctionner les irrégularités les plus graves tandis que les moyens invocables dans le cadre d’un référé précontractuel sont plus nombreux mais restent tout de même limité par la loi et par la jurisprudence du juge administratif. Néanmoins, eu égard au revirement de jurisprudence récent du Conseil d’Etat, le régime du référé précontractuel tend à s’élargir.
Il convient de revenir sur la définition du régime du référé précontractuel en vertu de CJA et de la jurisprudence antérieure avant de déterminer en quoi consiste le revirement de jurisprudence du Conseil d’Etat du 18 septembre dernier.

I. L’interprétation stricte des conditions de recevabilité du référé pré-contractuel par le juge administratif

En vertu de l’article L.551-1 du Code de justice administrative (CJA), le référé pré contractuel peut etre intenté « en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services (…) ». En outre, l’article L.551-10 du CJA précise que « Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat ou à entrer au capital de la société d'économie mixte à opération unique et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué(…) ».
En somme, le référé pré contractuel sera jugé recevable par le juge si et seulement si :
- Le référé a été exercé avant la signature du contrat.
- Le requérant avait un « intérêt à conclure le contrat » ou « était susceptible d’être lésé par le manquement contesté », autrement si le requérant est un candidat évincé ou un candidat potentiel.
- Un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence a été constaté. Ces manquements doivent être d’avoir lésé l’entreprise qui s’en prévaut ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte, en avantageant une entreprise concurrente.

Ainsi, dans le cadre d’un référé pré-contractuel, l’office du juge se limite à l’évaluation de la conformité de la procédure aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Dans l’arrêt de principe, « Société intercommunal de la Côte d’Amour et de la presqu’île guérandaise » du 21 juin 2000, le Conseil d’Etat a apporté une interprétation stricte des dispositions du CJA : les irrégularités de la procédure de passation de marché invoquées qui ne concernent pas la publicité ou la mise en concurrence ne constituent pas des irrégularités susceptibles d’avoir lésé ou risquant de léser le requérant, dut-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente. Aussi, dans un arrêt plus récent du 21 mai 2010 « Commune d’Ajaccio », le Conseil d’Etat a précisé qu’il appartient au juge des référés pré-contractuels de relever des manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence mais non d’apprécier les mérites respectifs des offres.

La position du Conseil d’Etat était clair et assumée jusque lors : afin de contester la régularité de la procédure de passation de marché, le requérant ne peut invoquer que des moyens tirés des manquements de l’acheteur public à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, lors de la passation du contrat. Sont notamment concernés : la définition du contrat et des prestations attendues, toutes les obligations de publicité, l’information fournie aux candidats, le respect des documents de la consultation, notamment l’analyse des offres au regard des critères annoncés, et les motifs de rejet.

II. La consécration jurisprudentielle de l’élargissement de l’office du juge des référés pré-contractuels

Dans un arrêt du 18 septembre 2015, le Conseil d’Etat opère un important revirement de jurisprudence concernant l’étendue de l’office du juge pré-contractuel, qui ne devra désormais plus se contenter de se prononcer sur les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence de l’acheteur public, mais qui devra également connaitre de la légalité d’une candidature porté par une personne morale de droit public susceptible de fausser la concurrence.

En l’espèce, la commune de Brie avait lancé une procédure négociée pour la passation d'un marché visant à la réalisation d'études d'urbanisme portant sur la création d'une zone d'aménagement concertée. Ce marché a été attribué à un groupement de commande composé notamment du Conservatoire national des arts et métiers des Pays de la Loire et de l'association de gestion de ce Conservatoire. Plusieurs candidats évincés ont demandé au juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Rennes d'annuler la procédure de passation. Ce dernier y a fait droit, au motif que le conservatoire n'était pas en mesure de délivrer les prestations de conseil juridique en droit de l'urbanisme prévues par le règlement de la consultation. Conformément au principe de spécialité qui délimite la compétence des établissements publics, ces derniers ne peuvent agir que dans de strictes limites. A la suite de cette ordonnance, le groupement de commande attributaire a saisi le Conseil d'Etat d'un pourvoi en cassation.

La question qui se posait était celle de savoir si le juge des référés pré-contractuel pouvait contrôler les compétences statuaires d’une candidature portée par une personne morale de droit public.

Dans cet arrêt, les juges du Conseil d’Etat ont dans un premier temps rappelé que le juge de l’urgence devait « s’assurer de l’appréciation portée par le pouvoir adjudicateur pour exclure ou admettre une candidature » de telle sorte que celle-ci n’ait pas conduit au non-respect des obligations de publicité et de mise en concurrence. Dans un second temps, les juges ont consacré la possibilité offerte au juge administratif de contrôler la légalité d’une candidature portée par une personne morale de droit public. Désormais, lorsqu’une personne morale de droit public s’est portée candidate à un marché, le juge des référés devra vérifier que l’attributaire personne morale de droit public a toutes les compétences pour exécuter le contrat litigieux.

En l’espèce, le Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance du juge des référés dans la mesure ou, certes, le Conservatoire n’était pas compétent pour fournir des conseils juridiques à l’acheteur public mais que ces prestations juridiques était censée être délivré par une association qui s’y attache et non par lui-même.
En outre, le Conseil d’Etat précise que, lorsqu’il est en présence d’une personne morale de droit public candidate, pour apprécier la légalité de la candidature, le juge des référés devra « rechercher si les prestations litigieuses constituaient l’objet même du marché ou s’il s’agissait d’un complément normal de sa mission statutaires et étaient utiles à celle-ci. En d’autres termes, en l’espèce, le Conservatoire a délégué l’exécution des prestations juridiques à une entité distincte mais elle aurait pu les effectuer elle-même étant donné que ces prestations étaient complémentaires à sa mission principale, la réalisation d'études d'urbanisme portant sur la création d'une zone d'aménagement concertée, et utiles à la bonne exécution du contrat.

En principe, la question de la légalité de la candidature d’une personne morale de droit public relève de l’office du juge de plein contentieux. Par ce revirement de jurisprudence, il a été question, pour le Conseil d’Etat, de « pragmatiser le contentieux contractuel » en permettant au juge des référés de trancher les questions relative à l’illégalité d’une candidature portée par une personne morale de droit public et ce dans les délais les plus brefs.

III. Les conséquences juridiques propres aux achats publics durables

L'achat public durable est un achat dont l'objet à une dimension sociale ou environnementale ou un achat intégrant des considérations d'ordre social ou environnemental dans la procédure de passation de marchés. Dès lors, lorsque un achat public durable sera conclu entre un pouvoir adjudicateur et un opérateur économique, personne morale de droit public, le juge des référés saisi par un candidat évincé ou potentiel, sera tenu de procéder à la vérification de la légalité de la candidature. Ainsi, dans l'hypothèse ou le marché public a un objet à dimension social mais que la personne morale de droit public ayant été choisi n'a pas les compétences requises pour exécuter le contrat, le requérant pourra, dès le stade du référé, et sans avoir à saisir le juge de plein contentieux, être sur que le juge des référés relèvera d'office l'incompétence de la personne morale de droit public. Si en revanche, dans une autre hypothèse, le marché comporte quelques dispositions d'ordre environnemental, complémentaire au service principal fourni par exemple, mais utile à la bonne exécution du contrat, le juge sera en mesure de juger la candidature portée par la personne morale de droit public légale.

CE 21 juin 2000, Syndicat intercommunal de la Côte d'Amour et de la presqu'île guérandaise, requête n° 209319
CE, 21 mai 2010, Commune d'Ajaccio, n° 333737,
http://www.localtis.info/cs/ContentServer?pagename=Localtis/LOCActu/ArticleActualite&jid=1250269502769&cid=1250269496595
http://www.legavox.fr/blog/guillaume-blanchard/interet-agir-moyens-invocables-dans-7857.htm#.VgXQnsvtmko