I. Présentation de l’affaire

Le tribunal a été saisi par l’ONG Urgenda (Urgenda Foundation) représentant des particuliers (900 citoyens ont soutenu l’ONG) contre une décision étatique (plus précisément du Ministère des infrastructures et de l’environnement). Le plaignant avait à l’origine envoyé une requête au Premier Ministre le 12 novembre 2012 lui demandant de réduire de 40% les émissions de CO2 d’ici à 2020.
La contribution proposée par les Pays-Bas «était de réduire de 17% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020. Or, l’Union européenne s’est engagée à réduire ses émissions de 40% en 2030 et les le tribunal juge que cette proposition est en dessous de la norme de réduction de 25 à 40% pour les pays développés qui est nécessaire selon la science climatique et la politique climatique internationale.

II. Les sources et fondements de l’obligation des Etats à contribuer à la lutte contre le changement climatique

Le GIEC (Groupe d expert intergouvernemental sur l’évolution du climat) créé en 1988 par l’UNEP (United Nations Environment Program) et le l’organisation climatique mondiale (WMO ou World Meteorogical Organization) a établi cinq rapports sur l’état des connaissances scientifiques concernant le climat. Il est formé de 195 membres étatiques dont les Pays-Bas. Dans le dernier rapport de 2013/2014 établi que une température mondiale supérieure à 2°C par rapport au niveau de la période préindustrielle (jusqu’en 1850) créé un risque de changement climatique dangereux et irréversible.

Le Tribunal de la Haye explique que des conventions ont été établies et des instruments ont été développés au niveau international et européen pour contrer les problèmes du changement climatique.
Ainsi, dans le cadre des Nations-Unies, la Convention-cadre des Nations-Unies sur le changement climatique de 1992, entrée en vigueur le 21 mars 1994, a été ratifiée par 195 Etats dont les Pays-Bas. Elle prévoit que les Etats réaffirment le principe de souveraineté des Etats pour lutter contre le changement climatique et sont déterminés à protéger le système climatique pour les générations présentes et futures. Le Protocole de Kyoto de 1997, entré en vigueur le 16 février 2005, a prévu une réduction des émissions de 6% pour les Pays-Bas. Mais le Protocole ne couvre que 14% des émissions mondiales. Et son amendement Doha de 2012 avait des ambitions plus fortes puisque l’Union s’engageait à une réduction de 30% pour 2020 par rapport à 1990 si les Etats développés et en développement s’engageaient à des réductions similaires, mais il n’est pas entré en vigueur. Le Protocole concerne 37 Etats pour la période 2013-2020. Dans le cadre de la Conférence des Parties (COP), plusieurs instruments ont été élaborés : le plan d’action Bali de 2007, les accords de Cancun de 2010 et les décisions issues de la conférence de Durban de 2011.
Dans le cadre européen, l’article 191 du Traité de Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit que la politique de l’Union en matière d’environnement doit avoir pour objectifs de : préserver, protéger et améliorer la qualité de l’environnement, protéger la santé humaine, utiliser les ressources naturelles prudentes et rationnelles et promouvoir des mesures au niveau international pour résoudre les problèmes environnementaux régionaux ou mondiaux et en particulier le changement climatique. L’article 193 du Traité prévoit que des mesures compatibles avec celles de l’Union peuvent être prises par un Etat si elles sont plus protectrices. L’Union européenne a ensuite converti ces objectifs à travers un certain nombre de directive dont la directive 2003/87/EC établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (directive ETS) qui a été amendée par la directive 2009/29/EC. Cette directive a été traduite par les Pays-Bas au niveau national.
Au niveau national, la directive 2009/29/EC a été transposée par les Pays-Bas. Par ailleurs, l’article 21 de la Constitution néerlandaise impose à l’Etat une obligation de préserver la viabilité du territoire et de protéger et améliorer l’environnement vivant.

III. La responsabilité de l’Etat néerlandais

Ces engagements peuvent-ils servir de fondement à une action de citoyens ? Les Pays-Bas sont-ils légalement tenus de réduire leurs émissions de CO2 ou seulement politiquement ?

Pour le Tribunal, une obligation légale de l’Etat à l’égard de la fondation Urgenda ne peut dérivée ni de l’article 21 de la Constitution néerlandaise, ni du principe de précaution (no harm principle), ni de la Convention des Nation-Unies sur le climat et les protocoles associés, ni de l’article 191 du TFUE et de la directive ETS ni des décisions associées au TFUE.
Mais, si le plaignant ne peut se fonder sur des droits dérivant directement de ces instruments, le Tribunal s’interroge ensuite sur la question de la violation de son devoir de diligence (duty of care) à l’égard du plaignant. Le Tribunal cherche alors à établir le degré de discrétion dont l’Etat dispose pour mettre en œuvre les instruments internationaux pour connaître la diligence qu’est requise de l’Etat pour se conformer aux objectifs.

La question de savoir si l’Etat viole son devoir de diligence en prenant des mesures insuffisantes pour prévenir un changement climatique dangereux est une question juridique nouvelle pour laquelle la jurisprudence n’a pas de cadre de raisonnement établi.
Le Tribunal doit en premier lieu déterminer s’il s’agit d’une négligence illégalement dangereuse de l’Etat et en second lieu si le pouvoir discrétionnaire de l’Etat en la matière est pertinent pour évaluer l’action du gouvernement.

Le Tribunal compare alors la négligence de l’Etat à lutter contre le changement climatique avec sa jurisprudence sur la négligence dangereuse (doctrine of hazardous negligence). Mais compte tenu de la nature du danger qui est une cause mondiale et de la tâche devant être exécutée en conséquence qui doit être mise en œuvre au niveau mondial, le Tribunal considère qu’il faut examiner le devoir de vigilance de l’Etat en tenant compte de la Convention de l’ONU et du TFUE. La Convention de l’ONU établi trois principes pertinents pour déterminer la politique des Nations-Unies sur le climat : la protection du système climatique pour le bénéfice des générations présentes et futures, le principe de précaution et le principe de développement durable. Les objectifs de la politique climatique européenne sont établis par le TFUE et correspondent aux principes de haut niveau de protection, précaution et prévention.
Au regard de ces objectifs et principes et des normes dont ils sont issus, pour déterminer le champ du devoir de diligence de l’Etat, le Tribunal examine :
- la nature et l’étendu du dommage résultant du changement climatique ;
- la connaissance et la prévisibilité de ce dommage ;
- le risque qu’un changement climatique dangereux survienne ;
- la nature des actes ou omissions de l’Etat ;
- le cout de la prise de mesures de précaution ; et
- la pouvoir discrétionnaire de l’Etat pour exécuter ses devoirs publics au regard des principes de droit public et à la lumière des connaissances scientifiques les plus récentes, des options existantes pour prendre des mesures de sécurité et du ratio cout-bénéfices pour prendre les mesures de sécurité requises.

Le Tribunal conclut que :
- l’Etat a un sérieux devoir de diligence (duty of care) s’agissant de la prise de mesures afin d’éviter le changement climatique compte tenu de l’importance des risques encourus par un changement climatique dangereux ;
- l’Etat a un rôle crucial en matière de transition vers une société durable, contrairement à l’argument de l’Etat considérant qu’il n’est pas l’un des responsables (causers) du changement climatique imminent ;
- le Tribunal examine ensuite les différents moyens, notamment technologiques, ouverts aux Etats pour réduire l’émission de gaz à effet de serre, le Tribunal conclut qu’au regard de la connaissance scientifique et technologique la plus récente, il est plus efficient de réduire les risques et qu’il est plus rentable de prendre des actions adéquates plutôt que de retarder les mesures ;
- les Pays-Bas argumentaient ensuite sur l’application de ces engagements et considéraient que compte tenu de la faible contribution mondiale des émissions du pays, augmenter la réduction de ces émissions de gaz à effet de serre n’aurait pas d’impact au niveau international. Le Tribunal rejette également l’argument de l’Etat consistant à dire que les autres Etats membres de l’Union européenne vont neutraliser l’éventuel effort supplémentaire des Pays-Bas puisque la réduction des émissions de gaz à effet de serre sera calculée globalement au niveau de l’Union. Il rejette engin l’argument consistant à dire qu’il y a un risque commercial pour les entreprises néerlandaises à se voir appliquer une politique climatique plus stricte et pour cela d’une part, il compare à d’autres pays (Royaume-Uni, Danemark et Suède) qui ont mis en place de telles politiques et d’autre part, il explique que ce qui est négatif pour un secteur d’activité peut être bénéfique pour un autre secteur d’activité.

Le Tribunal considère donc que l’Etat est négligent.

Ensuite il examine les autres conditions pour retenir la responsabilité de l’Etat : un préjudice chez le plaignant, un lien de causalité entre le préjudice et la faute de l’Etat.
S’agissant du préjudice, le Tribunal considère que les intérêts représentés par la fondation Urgenda sont touchés par les dommages possibles d’un changement climatique. Ici, si des conséquences du changement climatique sont déjà visibles aux Pays-Bas, de toute façon les risques liés au changement climatique ne sont pas potentiels donc le risque de dommage peut être source de responsabilité.
Ensuite s’agissant du lien de causalité entre les émissions de gaz à effet de serre des Pays-Bas, le changement climatique et ces effets sur le climat de vie aux néerlandais.
Le Tribunal conclut que l’Etat a agi avec négligence et a, en conséquence, illégalement affecté la fondation Urgenda en visant une réduction des émissions inférieure à 25% par rapport à 1990.


Le Tribunal explique pourquoi sa décision n’est pas politique mais bien juridique.
Par cette décision le Tribunal ordonne aux Pays-Bas de limiter le volume annuel des émissions de gaz à effet de serre, ou de faire en sorte qu’ils soient limités, à au moins 25% en 2020 par rapport aux émissions de 1990 comme demandé par la fondation Urgenda.
L’Etat est également condamné à payer les frais de procédure du plaignant.




Source :
- Hague District Court decision, 24.06.2015, C/09/456689
- Oslo Principles on Global Climate Change Obligations
- Journal Le Monde, articles « La justice condamne les Pays-Bas à réduire leurs gaz à effet de serre » et « Aux Pays-Bas, le premier jalon historique d’une justice climatique »