En juin 2015, Martin Seychell a annoncé le lancement d'une étude d'impact afin de déterminer la meilleure définition applicable aux perturbateurs endocriniens. Pour comprendre les enjeux autour de cette étude d'impact, il est nécessaire de dresser un panorama de la législation applicable aux perturbateurs endocriniens à l'échelle européenne.

I. La législation européenne

En octobre 1998, le Parlement européen a adopté une résolution invitant la Commission à prendre des mesures relatives aux substances chimiques entraînant des troubles endocriniens. Il demandait à la Commission européenne que « soit adoptée dans l’Union européenne, avant la fin 1998, une définition provisoire des perturbateurs endocriniens, afin d’améliorer la comparabilité des résultats de la recherche, que cette définition soit autant que possible harmonisée d’emblée avec celle adoptée par les pays membres de l’OCDE et qu’elle concerne à la fois l’homme et les espèces sauvages » . Le Parlement invitait également la Commission européenne à prendre des mesures dans ce domaine afin d‘améliorer le cadre législatif, de renforcer les efforts de recherche et d’informer le public. Quelques mois plus tard, le 4 mars 1999, le Comité Scientifique de la Toxicité, de l’Ecotoxicité et de l’Environnement (CSTEE) a publié un rapport sur les effets des perturbateurs endocriniens sur la santé de l’homme et des animaux sauvages. Ce comité rassemble des experts indépendants et reconnus, il a été créé en 1997 par l’Union Européenne afin de rendre son avis sur des thèmes de santé publique et d’environnement dans des domaines particuliers de la toxicité, de l’écotoxicité de certains agents toxiques ou de perturbateurs endocriniens pour l’homme, la faune et les écosystèmes. Il dispose d’une compétence particulière pour les questions scientifiques relatives à l’examen de la toxicité et de l’écotoxicité de composés chimiques, biochimiques et biologiques dont l’utilisation peut s’avérer nocive pour la santé humaine et l’environnement. Le CSTEE relève de la Direction générale sur la santé et la protection des consommateurs. Suite à cette étude, la Commission a élaboré une stratégie afin d’aborder la question des perturbateurs endocriniens nocifs à la santé et à l’environnement qu’elle a publié le 17 décembre 1999. Dans cette stratégie, la Commission présente une série de mesures à court, moyen et long termes ainsi que quatre éléments clés qui sont à la base d’une série de mesures recommandées : la nécessité d’approfondir la recherche, la nécessité d’une coordination internationale, la nécessité d’une information de la population et la nécessité d’une action politique. Premièrement, la Commission souligne l’importance de la recherches et rappelle que plusieurs programmes de recherches ont été lancés à l’échelle de l’Union Européenne afin d’améliorer les connaissances scientifiques sur les perturbateurs endocriniens. Par ailleurs, compte tenu de la complexité de cette problématique, la Commission déclare qu’il est indispensable que soit mis en place une «coopération et une coordination entre les principales parties intéressées, non seulement dans le cadre de l’Union Européenne, mais également au niveau mondial, afin de mettre en commun les connaissances et d’éviter la duplication des efforts. » Elle rappelle que lors de la réunion au sommet sur l’environnement des dirigeants des Huit, à Miami en 1997, une déclaration a été adoptée afin de coordonner les efforts de recherche sur la perturbation endocrinienne. De plus, comme le mentionne la Commission, il est primordial qu’il existe une coopération et une coordination internationales afin que les mesures règlementaires adoptées soient prises en considération des aspects commerciaux internationaux. Au regard des préconisations du Parlement européen, la Commission conçoit que la population n’a pas été suffisamment informée sur la problématique des perturbateurs endocriniens et qu’il est donc nécessaire de « trouver des voies de communication appropriées pour la diffusion régulière de données fiables à la population, en tenant dûment compte des approches spécifiques déjà adoptées individuellement par certains Etats membres ».
Dans un premier temps, la Commission européenne prévoit l’établissement d’une liste de substances prioritaires pour une évaluation visant à déterminer leur rôle dans la perturbation endocrinienne. Lorsque la Commission mentionne cette liste en 1999 elle prévoit que ce document servira à recenser les substances à tester en priorité, à recenser les substances pouvant être ou étant déjà prises en compte par la législation communautaire en vigueur concernant l’identification des dangers, l’évaluation et la gestion des risques, à identifier les lacunes dans les connaissances et enfin à définir les cas particuliers d’utilisation par les consommateurs, notamment le cas des groupes de consommateurs potentiellement plus vulnérables comme les enfants. En 1999, la Commission européenne a donc pleinement conscience du danger que constituent les perturbateurs endocriniens puisqu’elle recommande l’adoption des mesures sur la base du principe de précaution.
Le Parlement européen a publié le jeudi 26 octobre 2000 une résolution relative aux perturbateurs endocriniens dans laquelle il exprime son soutien envers la stratégie de la Commission visant à établir, d’ici la fin 2000, une liste des substances qui sont effectivement ou sont suspectées d’être des perturbateurs endocriniens. Le Parlement européen invite également la Commission à procéder, d’ici le milieu de l’année 2001, à une « analyse des instruments juridiques existants relatifs au perturbateurs endocriniens » et il considère qu’il sera nécessaire que le futur cadre juridique européen pour les produits chimiques comporte une législation spécifique propre à ce problème majeur. Il insiste également pour que les Etats membres et la Commission diffusent très largement les informations concernant les perturbateurs endocriniens, action qui doit être réalisée dans le cadre de la mise en oeuvre du principe de droit à l’information. Le Parlement préconise donc une vingtaine d’actions qui viennent à nouveau souligner la volonté de cette institution à ce que des mesures soient prises à l’échelle européenne.
Par la suite, la Commission européenne a publié quatre rapports relatifs à la mise en oeuvre de la stratégie élaborée en 1999. Le dernier rapport publié par la Commission à ce sujet date du 8 octobre 2011. La Commission européenne s’était engagée à présenter pour décembre 2013 « des propositions de mesures concernant les critères scientifiques spécifiques pour la détermination des propriétés de perturbation endocrinienne ». Six mois après la date limite pour présenter les critères d’identification des perturbateurs endocriniens, la Commission européenne a finalement publié une feuille de route sur la définition des critères des perturbateurs endocriniens dans le cadre des règlements européens sur les pesticides 1107/2009 et sur les biocides 528/2012, elle y présente quatre options pour les critères retenues. Premièrement, la Commission européenne propose qu’aucun changement ne soient effectués et que les éléments contenus dans les règlements continuent de s’appliquer. La deuxième hypothèse envisagée est de définir les perturbateurs endocriniens au regard de la définition retenue par l’OMS et le Programme international sur la sécurité des substances chimiques et d’introduire une évaluation des risques. La troisième solution proposée par la Commission est de s’appuyer sur cette définition en introduisant néanmoins des catégories supplémentaires afin de l’étoffer, tel que par exemple une catégorie consacrée aux perturbateurs endocriniens présumés. Enfin, la quatrième et dernière proposition de la Commission s’appuie une nouvelle fois sur la définition de l’OMS mais en introduisant le niveau de dose comme élément de caractérisation des dangers représentés par les perturbateurs endocriniens.
Puis, en septembre 2014, la Commission européenne a lancé une consultation en ligne pour faciliter la définition de critères applicables aux perturbateurs endocriniens comme le requéraient les règlements relatifs aux produits biocides et aux produits phytopharmaceutiques. Lors du lancement de cette consultation du public, Janez Potocnik, membre de la Commission européenne chargé de l’environnement a déclaré que : « Les perturbateurs endocriniens ont suscité un vaste débat : le monde scientifique envoie des signaux pressants, le grand public et les milieux politiques sont de plus en plus préoccupés et mobilisés, tandis que certaines parties prenantes doutent encore. L’Europe veille, nous avons besoin de ces critères pour améliorer la protection et donner à l’industrie la sécurité dont elle a besoin. Les citoyens et les parties prenantes peuvent nous aider à décider en connaissance de cause ». Pourtant, la législation en vigueur relative aux produits biocides et aux produits phytopharmaceutiques impose à la Commission de spécifier les critères scientifiques pour la détermination des propriétés de perturbation endocrinienne des substances chimiques. Dans l‘attente de la définition des nouveaux critères, des critères provisoires de protection sont appliqués.


II. Le lancement d’une étude d’impact


Très récemment, lors d’une conférence organisée par la Commission européenne le 1er juin 2015, Martin Seychell a annoncé le lancement d’une étude d’impact sur les critères d’identification des perturbateurs endocriniens. Il a déclaré que « nous ne devons pas sous-estimer la complexité du sujet, il faut faire les bons choix. D’un point de vue scientifique, il y a encore des divergences sur les impacts d’une définition des perturbateurs endocriniens pour la santé, l’environnement, mais aussi pour l’industrie.. ». Avant de s’intéresser concrètement au contenu de cette étude d’impact, il convient de définir l’étude d’impact afin d’en comprendre les enjeux.
La Commission européenne envisage l’étude d’impact des réglementations comme un ensemble d’étapes logiques à suivre lors de la préparation des propositions normatives. Durant ce processus sont réunies des informations sur les avantages et les inconvénients des options politiques envisageables par le biais d’un examen de leurs impacts potentiels, l’ensemble de ces informations sont ensuite remises aux décideurs politiques. Comme l’explique Thomas Delille dans son article intitulé La dimension interinstitutionnelle des études d’impact des réglementations dans l’Union européenne à l’ère de la « réglementation intelligente » , « cet outil administratif est destiné à améliorer la qualité et la cohérence des procédés de développement des actions politiques, en permettant un jugement mieux informé et en identifiant d’éventuels compromis nécessaires ». Bien évidemment l’étude d’impact ne se substitue point au jugement politique, il s’agit d’un outil aidant à la prise de décision politique. En l’occurrence, l’étude d’impact va analyser les quatre options d’identification des perturbateurs endocriniens présentées par la Commission européenne en juin 2014. Plus de 700 substances chimiques seront étudiées et passées au crible dans cette étude d’impact afin de déterminer quelles substances pourraient être classées perturbateurs endocriniens selon les critères d’identification retenus. Le Centre commun de recherche (JRC) a été chargé d’établir une méthodologie. Ce centre vise principalement à apporter un soutien scientifique et technique aux politiques de l’Union Européenne, c’est une interface entre la recherche technologique et les applications concrètes de celle-ci au sein de l’Union. La méthode retenue se développe en deux phases. La première concernera l’étude de 35 substances tandis que la seconde portera sur les impacts sectoriels des différentes options envisagées. Comme l’explique Ladislav Miko, membre de la direction sanitaire et alimentaire de la Direction Générale Santé : « Nous savons que choisir une définition aura un impact sur d’autres politiques. Il y a des divergences scientifiques sur la prise en compte de l’exposition potentielle ». Le lancement de cette étude d’impact permettra donc de déterminer s’il est nécessaire pour l’Union Européenne de réglementer l’utilisation des perturbateurs endocriniens en prenant en compte le danger ou le risque. Tandis que le danger se caractérise comme étant toute source potentielle de dommage ou de préjudice à l’égard d’une chose ou d’une personne, le risque est la probabilité qu’une personne subisse un préjudice ou encore des effets nocifs pour sa santé en cas d’exposition à un danger.
Néanmoins, compte tenu du temps que prendra la réalisation de cette étude, l’issue des travaux européens sur l’identification des perturbateurs endocriniens est repoussée à la fin de l’année 2016. Bien évidemment, la problématique des perturbateurs endocriniens soulève de nombreux enjeux économiques pour les industriels.