Il s’avère à l’heure actuelle que la réforme du statut de l’animal dans le code civil a une portée plus symbolique que concrète. L’animal n’acquiert pas de personnalité juridique et aucune catégorie intermédiaire entre les personnes et les biens n’est créée. Le code civil ne voit pas sa division traditionnelle bouleversée : la division binaire entre les personnes et les biens, formant la summa divisio, ancrée dans la conception général du droit reste intacte. L’introduction de l’article 515-14 du code civil n’a pas modifié cette conception classique. Les auteurs de l’amendement ont souhaité tranquilliser le monde agricole inquiet d’un éventuel changement du statut juridique de l’animal en affirmant que « ni la chasse, ni la pêche, ni la consommation de viande ni les pratiques d’abattages conformes aux textes en vigueur ou la corrida ne sont évidemment remises en cause » . Ainsi, le but de cette réforme ne consiste pas à mieux protéger l’animal puisque les mêmes règles continuent à s’appliquer. Il convient de rappeler que c’est l’ensemble des règles de droit qui vient définir le statut juridique. Le fait d’imposer un statut juridique sans modifier les règles de droit, c’est-à-dire le régime juridique, ne peut avoir d’effet.

Cependant l’article 515-14 met en avant la spécificité de l’animal « être doué de sensibilité » : l’animal est d’abord protégé avant d’être soumis au régime des biens ce qui marque une rupture avec le régime antérieur qui accordait à l’animal une protection parce que ce dernier était un bien. Il convient de remarquer que de nos jours, certains animaux sont les alters égos de l’homme. Dans certaines hypothèses la personnification est poussée à son zénith : certains propriétaires n’hésitent pas à créer des pages au nom de leur animal sur des célèbres réseaux sociaux afin de mettre en ligne les différents exploits de leur fidèle compagnon. Malgré cette personnification, il semble difficile de pouvoir accorder la personnalité juridique à l’animal et ce pour plusieurs raisons fondamentales. Certains auteurs affirment que l’homme et l’animal ont une nature commune car ils sont tous les deux des êtres vivants et doivent ainsi faire partie de la même catégorie : celle des sujets de droit. Si l’animal devient un sujet de droit au même titre que l’homme alors la question de l’expérimentation ou de recherche scientifique sera très sensible : en effet, dès lors que l’animal est considéré comme sujet de droit il dispose donc de droits et de devoirs dont la liberté d’aller et venir et l’obligation de donner son consentement ou assentiment avant d’être manipulé au même titre que l’homme qui a le droit au respect de son intégrité physique. Or, l’animal n’a pas la possibilité de s’exprimer, il faudra ainsi créer une sorte système de tutelle pour qu’un homme désigné comme tuteur puisse donner l’assentiment pour manipuler l’animal et ainsi réaliser des expériences et recherches à des fins scientifiques. Mais comment savoir que l’animal est d’accord alors qu’il ne peut s’exprimer clairement ? Il est très difficile de répondre à cette question. De plus, les animaux mis en cage se voient privés de leur liberté d’aller et venir ce qui n’est pas possible dès lors que la qualité de sujet de droit leur est attribuée. Se pose également la question de la responsabilité qu’elle soit pénale ou civile. En effet, si l’animal se voyait reconnaitre la personnalité juridique, il serait exposé à des obligations auxquelles il ne pourrait échapper. Ainsi, sur le plan pénal, cela reste inconcevable, d’autant plus que certains humains sont exonérés de leur responsabilité pénale (abolition de discernement par exemple). Concernant la responsabilité civile, cette dernière est de deux sortes : contractuelle et délictuelle. La responsabilité contractuelle d’un animal est très difficile à mettre en œuvre car elle suppose un engagement contractuel dont la validité est soumise aux quatre conditions cumulatives de l’article 1108 du code civil à savoir son consentement, sa capacité à contracter, un objet certain qui forme la matière de l'engagement et une cause licite dans l’obligation. Or, l’animal ne peut être partie à un contrat car on ne peut recueillir son consentement et le droit ne lui reconnait pas de capacité juridique. L’engagement de la responsabilité délictuelle parait également impossible car si nul n’est censé ignorer la loi, l’animal n’a pas conscience et connaissance de la notion d’illicéité. Uniquement les dommages causés par les animaux appropriés sont réparés par le biais de leur propriétaire ou de la personne qui en a la garde dès lors qu’elle a en l’usage, le contrôle et la direction – conditions cumulatives posées par l’arrêt « Jousselin » du 5 mars 1953 de la deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation. Il semblerait que la réforme opérée par la loi du 16 février 2015 a accordé à l’animal une demie-personnalité juridique : l’animal serait un demi-sujet de droit. Cela signifie qu’il est titulaire de droits mais débiteur d’aucune obligation. C’est ce qu’il ressort à la lecture des différents textes de protection de l’animal. Ce dernier a le droit de vivre dans des conditions adaptées à son espèce, il a le droit de vivre car toute atteinte volontaire ou involontaire à sa vie est prohibée etc. En contrepartie, il n’a aucune obligation : aucun texte, que ce soit le code civil, le code de l’environnement ou le code rural et de la pêche maritime, ne le contraignent à effectuer certaines actions ou ne lui dictent la conduite à tenir en lui indiquant ce qui est autorisé et ce qui est proscrit.

En affirmant la sensibilité de l’animal dans le code civil, la France adopte donc la même position que l’Autriche, la Suisse et l’Allemagne qui ne considèrent plus l’animal comme une chose mais comme un être vivant prenant donc en considération l’évolution de la société, l’état des connaissances scientifiques actuelles et l’éthique du XXIème siècle donnant lieu à une réforme humaniste du statut de l’animal. Cependant, le chemin à parcourir reste long pour que la France reconnaisse un droit à la dignité aux animaux comme cela a été le cas récemment en Inde dans une décision du juge Singh qui a considéré que les oiseaux ont le droit de vivre dignement. La réforme opérée par la loi du 16 février 2015 constitue une première étape vers la mise en place de mesures plus concrètes qui pourront peut-être conduire à la création d’une troisième catégorie au sein du code civil : celle des animaux. L’évolution du statut juridique de l’animal est désormais entre les mains du juge : en effet, il va falloir se référer à la jurisprudence afin de voir quelle est la réelle portée du nouvel article 515-14 du code civil. Il sera intéressant d’observer la façon dont le juge civil interprétera l’article précité et la façon dont il prendra en considération la reconnaissance de la sensibilité des animaux et leur sortie de la catégorie des biens meubles ou immeubles en matière de responsabilité civile ou d’attribution de l’animal à la suite d’une désunion de ses propriétaires. Cette évolution n’est donc pas un point d’arrivé victorieux mais un point de départ ambitieux. Elle va permettre de déverrouiller le débat juridique qui est le seul capable de permettre l’élaboration de règles juridiques protectrices des animaux en prenant en compte la sensibilité propre de ces derniers.