Sous la pression exercée par les citoyens de plus en plus sensibles à la condition animale, l’Etat a décidé de prendre les devants en essayant, tout d’abord, d’établir un régime juridique de l’animal contemporain. La première étape de ce projet a été la promulgation de la loi n°99-5 du 6 janvier 1999 qui a modifié les articles 524 et 528 du code civil en distinguant l’animal des choses inertes. Cet effort reste toutefois insuffisant car il ne mentionne pas les spécificités de l’animal dont les caractéristiques essentielles sont d’être vivant et sensible. En mai 2005, a été remis au Garde des Sceaux, Dominique Perben, qui avait lui-même demandé à Suzanne Antoine , un rapport contenant des propositions et observations destinées à élaborer un régime juridique cohérent pour l’animal domestique préconisant « l’insertion dans le code civil du nouveau concept d’animal-être sensible ». Il s’agit de la seconde étape marquant les efforts étatiques quant à la volonté d’améliorer la condition animale. Ce rapport recommandait de retenir en priorité une proposition tendant « à une extraction complète de l’animal du droit des biens, conformément à sa véritable nature d’être sensible qui doit prévaloir sur son aspect de valeur marchande ». Pour ce faire, le rapport suggérait deux options :

- l’extraction de l’animal de la catégorie des biens en ajoutant au livre II un titre particulier intitulé « des animaux » ;
- laisser l’animal dans la catégorie des biens mais en créant une nouvelle catégorie de bien réservée aux animaux qui deviendraient des biens protégés en raison de leur nature particulière.

Ce rapport n’a jamais été suivi d’une proposition de loi car aucune suite n’a été donnée à ces suggestions. Quelques mois plus tard, sous l’égide de l’Association Henri Capitant et sous la direction du professeur Hugues Perinet-Marquet, un groupe de travail composé d’universitaires et de professionnels du droit a eu pour mission, en 2006, de réfléchir à un renouveau pour le livre II « Des biens et des différentes modifications de la propriété », qui, depuis sa rédaction en 1804 n’a fait l’objet que de modifications minimes et inadaptées à la société. Deux ans après le début des travaux, a été publié en 2008 un avant-projet proposant une réécriture totale des textes mais ne bouleversant pas les principes fondamentaux du droit civil français. Elaboré à une époque où la France était un pays essentiellement agricole, le régime juridique de l’animal n’est plus adapté à notre société moderne et urbaine et c’est pour cette raison que cet avant-projet visait également la modification du régime juridique de l’animal. Très novateur, l’avant-projet propose une réécriture totale de l’actuel titre Ier « De la distinction des biens » des chapitres I et II relatifs aux immeubles et aux meubles. Ne sont pas reprises les dispositions relatives aux animaux immeubles attachés au fonds , aux pigeons des colombiers et aux lapins des garennes . L’article 528 disparaît, qui malgré la réforme de 1999, continuait à caractériser l’animal qu’en raison de sa possibilité de se mouvoir par lui-même. C’est dans le titre Ier que l’avant-projet propose d’intituler « Du patrimoine et des biens qui le composent » que seraient introduites les dispositions relatives aux animaux à savoir :

- l’article 520 : « sont des biens au sens de l’article précédent, les choses corporelles ou incorporelles faisant l’objet d’une appropriation, ainsi que les droits réels ou personnels tels que définis aux articles 522 et 523 » ;
- l’article 521 : « sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des choses corporelles » ;
- l’article 526 du titre II « De la distinction des meubles et des immeubles » réaffirme la division traditionnelle des biens en reprenant le principe selon lequel « tous les biens sont meubles ou immeubles » ;

L’article 521 ne signifie pas que l’animal est assimilé à une chose, il signifie simplement que les animaux suivent le régime des choses corporelles. En résumé, cet article signifie que l’animal est un bien, il est soumis au régime des choses corporelles mais c’est un bien protégé par des lois particulières. Cependant, cet avant-projet n’appréhende l’animal que sous l’angle de sa fonction économique. L’animal reste une chose corporelle car il est susceptible d’appropriation. L’avantage de cet avant-projet est qu’il ne fige pas le droit des animaux, il peut être enrichi de nouveaux textes venant compléter le régime juridique de l’animal. Bien qu’ambitieux, ce projet n’a connu aucune suite juridique.

Afin de clarifier la question du statut de l’animal et de sa place juridique au sein de la société, le gouvernement a déposé une proposition de loi du 7 octobre 2013 reconnaissant à l'animal le caractère d'être vivant et sensible dans le code civil. L’objectif de ce projet de loi consiste à mettre en conformité les articles 524 et 528 du code civil avec le droit européen qui a considérablement évolué en matière de protection animalière. Aux termes du projet de loi, la notion de sensibilité serait centrale. L'aptitude de l’animal à ressentir la douleur et à éprouver d'autres émotions devrait être une des bases indispensables à la définition du statut juridique de l’animal. En raison de la valeur propre de l'animal, il devrait nécessairement sortir du titre Ier du livre II du code civil intitulé : « De la distinction des biens ». Cependant, le projet de loi ne compte pas modifier son régime actuel d'appropriation, ni même reconnaître le statut de sujet de droit à l’animal : il consiste à reconnaître ses particularités par rapport aux biens. Le livre II du code civil serait intitulé « Des animaux, des biens et des différentes modifications de la propriété » dans lequel serait inséré un titre Ier A « Des animaux ». L’animal serait définit à l’article 515-14 : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité en ce qu'ils sont dotés d'un système nerveux supérieur les rendant scientifiquement aptes à ressentir la douleur et à éprouver d'autres émotions. Ils sont placés dans des conditions conformes aux impératifs biologiques de leur espèce et au respect de leur bien-être ». Ce projet de loi connaitra le même sort que les autres propositions relatives à la modification du statut de l’animal dans le code civil.

Ces importants travaux précurseurs n’auraient pas réussi à entrer dans le code civil si un fort mouvement social n’avait pas convaincu le législateur de la nécessité de les prendre en compte.

La Fondation 30 Millions d’Amis, face à ces échecs, décida, en 2012, de lancer une pétition afin que le législateur reconnaisse le caractère d’être sensible de l’animal. La campagne médiatique engagée par cette fondation se fondait sur le reproche adressé au code civil de ne pas faire de distinction entre un chien et une chaise. Le rapport Antoine a constaté que « la très timide réforme de la loi du 6 janvier 1999 n’a rien résolu parce qu’elle est restée a stade de modification d’une simple phrase, qui n’en est pas devenue plus claire pour autant ». En quelques mois, la pétition a recueilli plus de 800 000 signatures. Ne souhaitant pas s’arrêter en si bon chemin, la fondation a soutenu la démarche de 24 intellectuels qui demandent, dans un manifeste que l’on appelle « Manifeste des 24 » rendu public le 24 octobre 2013 « que les animaux bénéficient d’un régime juridique conforme à leur nature d’être vivants et sensibles et que l’amélioration de leur condition puisse suivre son juste cours, une catégorie propre doit leur être ménagée dans le code civil entre les personnes et les biens ». Les écrivains, les philosophes, les scientifiques et les historiens qui ont signé ce manifeste rappellent que « les animaux ne sont pas des êtres humains, ce n’est pourtant pas la proclamation d’une dignité métaphysique, mais certains attributs - capacité à ressentir le plaisir et la douleur notamment - que les humains partagent avec au moins tous les vertébrés, qui enracinent les droits les plus fondamentaux ». Ce manifeste a été l’élément déclencheur ayant permis au législateur de faire évoluer le statut de l’animal dans le code civil.

Fut ensuite déposé le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures en novembre 2013 par le gouvernement au Sénat discuté en janvier 2014. Ce projet de loi s’intéressait, en particulier au statut juridique de l’animal. Suite à de nombreuses discussions houleuses, plusieurs amendements ont été déposés dont le n°59 dit « Glavany » destiné à faire reconnaître la sensibilité de l'animal par le code civil. Cet amendement proposait d’insérer un article 515-14 avant le titre Ier du livre II qui disposerait que « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens corporels ». L’amendement n°59 a été préféré par le Gouvernement à un amendement « Untermaier » qui proposait d’introduire dans le code civil les mêmes innovations mais dans un livre II intitulé « Des animaux, des biens et des différentes modifications de la propriété » ce qui aurait permis d’affirmer de manière limpide que les animaux ne sont plus des biens. Tout le monde aurait eu la certitude que les animaux n’étaient plus des biens et que la réforme aurait créé dans le code civil une catégorie sui generis, intermédiaire entre les personnes et les biens. Cependant l’amendement « Glavany » a été adopté de manière précipitée pour répondre à une forte demande d’évolution du régime juridique de l’animal reconnaissant dans le code civil, sa nature d’être sensible. Cependant, certaines fondations et associations de protection des animaux s’en étaient prises avec véhémence à cet l’amendement. L’auteur de ce dernier, Jean Glavany, fut Ministre de l’Agriculture pendant que la France subissait la crise de la vache folle. Amateur de corrida, Jean Glavany fut soupçonné de constituer une manœuvre politique destinée à empêcher, jusqu’au moins la moitié du siècle, tout débat parlementaire relatif à des questions animalières pouvant conduire à un durcissement du régime applicable aux animaux.

Cet amendement a soulevé de nombreuses interrogations de la part des éleveurs et des chasseurs le soupçonnant d’annoncer la fin de la ruralité. En effet, le code civil constitue la base de notre législation civile moderne avec une force symbolique loin d’être négligeable. Les éleveurs et les chasseurs craignaient que la reconnaissance du caractère sensible de l’animal n’impacte voire n’interdise leurs activités. Il n’est pas concevable d’imaginer que la réforme du statut dans le code civil ne puisse impacter, de quelque manière que ce soit, leurs activités eu égard à deux facteurs importants. Dans un premier temps, les éleveurs produisent de la viande afin de répondre aux besoins de la population toujours grandissants. Leur imposer de nouvelles contraintes reviendrait à mettre en danger leur activité qui connaît déjà de nombreuses difficultés notamment quant aux prix de la viande dans la filière porcine. Depuis quelques mois, les éleveurs de porcs se plaignent de la baisse des cours de la viande à la sortie de leur ferme si bien que leur salaire a fortement diminué au cours des ces dernières années et n’atteint même pas le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC). Industriels (abatteurs, transformateurs) et distributeurs se renvoient la balle pour ne pas endosser la responsabilité de la crise. Si l’introduction de la sensibilité animale dans le code civil aurait eu pour conséquence de mettre à la charge des éleveurs de nouvelles obligations, leur survie aurait été fortement compromise. En effet, la mise en place de nouvelles mesures nécessite des moyens financiers or les éleveurs ne disposent pas de ces ressources financières. Les deux seules solutions possibles auraient été l’endettement, sans savoir si l’éleveur serait capable d’assumer ces nouvelles charges financières sur le long terme, ou la faillite. Concernant les chasseurs, bien qu’ils considèrent la chasse comme une activité de loisir, ils servent à réguler les populations des espèces d’animaux sauvages afin qu’ils ne soient pas en surnombre et qu’ils ne nuisent pas aux agriculteurs.

Le projet de loi a finalement été adopté le 30 octobre 2014. Alors que l’amendement « Glavany » pouvait avoir des airs de cavalier législatif, il a été validé par le Conseil Constitutionnel lequel, par une décision 2015-710 DC du 12 février 2012 a estimé l’ensemble de la loi conforme à la Constitution. La promulgation de la loi n°2015-177 le 16 février 2015 entérine définitivement le débat. Depuis cette date, « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, ils sont soumis au régime des biens ».