I. Présentation des agences de notation extra-financière

Les agences de notation sont apparues en premier lieu dans le secteur financier afin de « faciliter l’évaluation par les opérateurs de marché et les autorités de surveillance, de la capacité des entreprises à rembourser leurs dettes, de la solvabilité d’un débiteur potentiel ou de la qualité des valeurs mobilières émises par un emprunteur ». Les agences de notation financière sont ainsi nées aux Etats-Unis, dans un contexte de désintermédiation du milieu financier : les entreprises ayant la possibilité de se financer sans recourir aux banques et autres établissements de crédit, elles se sont mises à émettre des obligations financières à destination d’investisseurs variés. Or, un investisseur souhaite connaître la santé financière de son débiteur. Alors, le rôle des agences de notation est de noter, en toute indépendance, la santé financière des émetteurs pour permettre aux investisseurs de connaître les risques de leurs investissements. Leurs notes sont par ailleurs des indicateurs précieux pour les analystes financiers : des notations « précises et fiables [ont] une grande importance tant pour le marché que pour les autorités publiques ». Les agences sont des intermédiaires quasiment obligés des entreprises et des investisseurs.

Les notations extra-financières sont apparues au cours des années 1980-1990. « De même que les notations des agences financières visent à transformer l’incertitude en ratio calculable, la notation sociétale permet de synthétiser la performance sociétale des entreprises en un indicateur plus simple. » Mais le recours aux agences de notation extra-financière par les sociétés de gestion pose la question de la transparence de leur politique d’investissement.
Contrairement aux organismes de notation financière qui sont peu nombreux et d’une grande ampleur, les organismes de notation extra-financière sont divers et nombreux. Il s’agit donc d’une activité fortement concurrentielle. En effet, les organismes de notation financière sont organisés selon une multiplicité de formes juridiques. Le guide de l’ORSE distingue deux types de structures, les structures à but lucratif et les sociétés sans but lucratif.
Les organismes à but non lucratifs peuvent être des associations spécialement créées pour cette activité (comme par exemple l’agence EIRIS), des associations existantes qui ont ensuite décidé d’opérer également cette activité, des associations qui se sont dotées d’une filiale à but non lucratif (comme par exemple : forum Ethibel devenu après fusion avec Vigéo : Vigéo Belgium).
Les organismes à but lucratif sont des sociétés privées qui peuvent être soit des agences de notation, c'est-à-dire des sociétés qui ont pour activité unique l’analyse et la notation sociétales (par exemple l’agence Vigéo), soit des cabinets de conseil spécialisés dont tout ou partie de l’activité est la notation extra financière (exemple : BMJ Ratings), soit encore des sociétés dont les actionnaires sont d’autres organismes d’analyse sociétale (par exemple Scoris GmbH).
Mais la notation extra-financière peut également être effectuée dans le cadre d’un autre modèle. Il s’agit de l’internalisation de la recherche extra financière. Actuellement, les sociétés de gestion ont amorcé des recherches d’analyses extra financière et ce système est en train de devenir le modèle de référence. Un auteur souligne que ce modèle est « à saluer » car il permet au gestionnaire de mieux connaitre les sociétés qu’il analyse.
Par analogie avec ce qui existe pour les agences de notation financière, deux types de notations peuvent être distinguées : la notation déclarative et la notation sollicitée. et contrairement au mouvement de la notation financière, les notations effectuées ont d’abord été déclaratives, ce qui est la règle, avant d’être sollicitées, ce qui est aujourd’hui encore l’exception.

La notation sollicitée est une notation effectuée sur demande des sociétés analysées et la notation déclarative est celle qui est spontanée et qui s’adresse aux investisseurs. Chacune répond à une attente différente.
La notation sollicitée est demandée par entreprise qui souhaite mesurer par la société son degré d’exposition aux risques sociaux et environnementaux et pouvoir se comparer par rapport aux autres sociétés de leur secteur. .Pour cette notation, la société participe à la fourniture d’informations, qui peuvent donc être plus nombreuses que les informations sur lesquelles est basée la notation déclarative. Ensuite, la société peut souhaiter communiquer sa note, ceci dans une stratégie marketing. Plusieurs auteurs ont souligné le risque de conflits d’intérêts. Si l’agence de notation est une société privée, elle peut être en conflits d’intérêts avec la société qu’elle analyse : cela peut être l’hypothèse d’une agence de notation dont le capital est publique, c'est-à-dire dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé et qui seraient détenus par des sociétés qu’elle analyse ou au contraire, il peut s’agir d’une agence de notation privée qui détient des titres des sociétés qu’elle analyse. Un autre conflit d’intérêt peut résulter de l’existence de deux analyses, l’une déclarative et l’autre sollicitée, car les informations sur lesquelles elles sont basées sont différentes. Or, les agences de notation ont comme atout leur indépendance.

La notation déclarative répond aux attentes des investisseurs qui peuvent ainsi avoir une information comparée sur les sociétés. Pour effectuer ce type de notation, l’agence utilise les données publiques sur les critères ESG et d’autres sources puis compare les sociétés par secteur (certaines analyses portent sur des PME mais cela est plus compliqué car il n’y a pas données publiques).
La notation extra-financière répond ainsi à divers objectifs de notation. Le guide de l’ORSE distingue six objectifs, qui peuvent être combinés : informationnel, d’évitement, managérial, l’approche en risques et opportunités, de performance ou normatif. Dans tous les cas, derrière la notation, il y a toujours la notion de risque, qui peut être indirect, comme la baisse du cours de l’action de la société notée, ou direct, si les informations recherchées pour la notation peuvent servir de base à la mise en œuvre d’une responsabilité environnementale ou pénale par exemple.

La méthodologie de la notion repose sur un processus en trois étapes : la collecte de l’information, le traitement de l’information puis l’évaluation. Les sources d’informations sont plurielles, il y a quatre principales : les informations publiques, le questionnaire soumis à la société, l’entretien avec la direction et les informations fournies par les parties prenantes, en particulier les ONG et les syndicats. Les grilles d’évaluation de chacune des informations recueillies diffèrent pour chaque agence. Un auteur souligne qu’il ne faut pas une grille unique d’évaluation car il y a une pluralité d’approches des investisseurs et que l’agence peut adapter son évaluation en fonction des valeurs des investisseurs qu’elle a identifiées.

Pour autant, il doit y avoir des limites à la liberté des agences de notation car il ne peut y avoir d’arbitraire à la sélection des critères. Or, la présentation des critères n’est pas toujours transparente. Une autre difficulté est issue des distorsions dans la collecte des informations. En effet, en fonction des exigences du droit national en matière de publicité d’informations pour les sociétés cotées, certaines sont nécessairement plus transparente que d’autres, ce qui peut créer une distorsion dans la notation.

II. La responsabilité des agences de notation extra-financière

Il n’existe pas d’encadrement juridique des activités des organismes de notation extra-financière spécifique. Mais, rappelant que les agences de notation extra-financière ne sont pas concernées par la réglementation des agences de notation financière, l’Autorité des marchés financiers s’est saisit de la question dans un rapport de 2010 dont l’objet était en réalité les obligations d’informations des sociétés. L’AMF recommande « que les sociétés qui communiquent sur le résultat d’une notation extra-financière, présentent également les principaux critères qui ont conduit à cette notation ou procèdent à un renvoi vers leurs sites internet ou celui de l’agence de notation extra-financière ».

En l’absence de régime juridique applicable à la notation extra-financière, la responsabilité des agences peut être appréhendée sur le fondement du droit commun.

La notation déclarative est divulguée par l’agence de notation hors de toute relation contractuelle avec la société ou avec les investisseurs. En l’absence de contrats, le fondement de la responsabilité de l’agence est nécessairement délictuel. Sa mise en œuvre est donc subordonnée à la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien entre les deux. La preuve du préjudice peut être difficile à établir pour les émetteurs mal évalués : en termes de préjudice financier, ils peuvent prouver par exemple qu’une mauvaise notation a fait fuir des investisseurs et en termes de préjudice moral, ils peuvent prouver qu’une mauvaise notation en matière sociale et environnementale a nui à leur réputation, leur image… Mais pour les agences, la notation « relève de la liberté d’opinion et d’expression », donc elles considèrent qu’elles ne peuvent pas engager leur responsabilité pour le seul exercice de leur droit. Ainsi, la faute ne peut être la seule mauvaise notation. En revanche, il pourrait être soutenu que des manquements à des obligations jurisprudentielles en matière de fourniture d’informations peuvent être à l’origine de fautes. En effet, la jurisprudence considère que la divulgation d’informations doit respecter certaines caractéristiques, ainsi, il faut fournir une information complète (ce qui oblige le conseiller à s’informer par lui-même, actuelle et vraie (il doit donc vérifier la fiabilité des données et des sources et il doit être transparent sur la fiabilité des informations).

Dans le cadre de la notation sollicitée, un contrat est formé entre la société et l’organisme de notation. Il s’agit d’un contrat de renseignement par lequel l’agence est tenue de produire une notation en échange d’une rémunération. L’obligation de fournir une notation peut être composée d’une obligation de conseil, qui est nécessairement de moyen, et d’une obligation de production d’une note, qui doit être une obligation de résultat, comme l’a justement souligné un auteur. Comme les agences de notation ont accès à des informations confidentielles dans le cadre de ce type de notation, le MEDEF a publié en décembre 2011 un guide des « Six bonnes pratiques pour optimiser les relations avec les organismes d’analyse ISR ». Il s’agit d’établir des bonnes pratiques en matière de : compréhension et respect réciproque des rôles et contraintes de chacun ; transparence du processus d’analyse ; déontologie, indépendance et conflits d’intérêts ; expériences, compétences, processus de notation et enjeux méthodologiques ; transparence du pré-rapport et droit de réponse et propriété, confidentialité et responsabilités. En effet, il existe un désaccord entre le MEDEF et les agences de notation qui veulent être transparentes sur les informations car pour elles, la transparence est le fondement de la responsabilité sociétale des entreprises. Le fondement de la responsabilité de l’agence de notation dans ce domaine est donc le contrat. Sa mise en œuvre est donc subordonnée à l’existence d’une faute de l’agence dans le cadre de son conseil professionnel. Il est possible de s’interroger sur la validité des clauses limitatives de responsabilité dans le contrat de notation. Il existe une controverse doctrinale entre les auteurs qui considèrent que la limitation de responsabilité est incompatible avec la notion de conseil et ceux qui pensent qu’elle est valide en principe mais que pour être valable, elle ne doit pas porter sur une faute lourde ou une faute intentionnelle ou une faute qui risquerait de vider l’engagement de sa substance en portant sur l’objet même du conseil. Dans ces cas, « les clauses limitatives de responsabilité [que les conseillers] opposeraient à un émetteur pourraient être invalidées ou inefficaces.

En l’absence d’un véritable cadre juridique satisfaisant, les auteurs considèrent que l’autorégulation de l’activité est nécessaire. Dans cet objectif, les professionnels de la notation extra-financière ont multiplié les initiatives en faveur d’une professionnalisation du marché de l’analyse sociale. Pour assurer la transparence et le suivi de leur méthodologie, les agences de notation ont mis en place des comités de surveillance indépendants de leur équipe d’analystes et, contrairement aux agences de notation financières à l’origine, elles publient leur méthodologie. Cependant, elles ne les publient pas au public, mais seulement à leurs clients investisseurs pour qu’elle reste confidentielle.



Sources :
- « L’investissement éthique, analyse juridique», thèse de Elizabeth FORGET soutenue le 20 septembre 2013
- « L’analyse financière en droit français à la lumière du droit européen et des droits anglais et nord-américain », Thèse de Karine GABAÏ
- Guide des organismes d’analyse sociale et environnementale, ORSE (Observatoire sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises), Octobre 2012
- Recommandation n°2010-13 de l’AMF, Rapport sur l’information publiée par les sociétés cotées en matière de responsabilité sociale et environnementale
- Site Novethic et Glossaire Novethic
- Site Morningstar